Découvert récemment, un papyrus du IInd siècle retrace les faits et gestes des premiers disciples depuis la découverte du tombeau vide jusqu’à la Pentecôte. Ce manuscrit rapporterait le témoignage même de Matthias, disciple du Seigneur, celui qui sera appelé à devenir Apôtre (Ac 1,25).
Chapitre 4
Le confinement et la promiscuité n’aidaient en rien notre petit groupe à retrouver l’unité que Jésus avait créée : les divisions se faisaient de plus en plus sentir. Seule la peur des autorités du Temple et des Romains nous rassemblait, bien malgré nous, dans la maison de Joseph Barsabbas. D’après ce que nous rapportaient les femmes, dans Jérusalem les rumeurs les plus folles se répandaient : certains avaient vu Jésus au sommet du Temple, d’autres disait qu’il avait discuté avec Pilate. Quelques individus se faisaient même passer pour lui. S’il ne s’agissait de mon maître, j’aurais trouvé cela risible. On le voyait partout !
C’est alors que je me risquais à quitter la maison. Je voulais marcher, respirer, prendre l’air de la ville, de ses rues étroites, de ses marchés, de la vie… Quittant le quartier de Sion je descendais vers la vieille ville pour me rendre au Temple. Mais à peine avais-je franchi les premières marches qui mènent au portique que deux hommes mirent la main sur moi. Me retournant je reconnus deux des apôtres : Barthélémy et Philippe. Chaque jour, ils étaient là et espéraient que l’un de nous vint au Temple. La nouvelle du tombeau vide, l’apparition aux femmes : ils étaient au courant.
Pour parler plus discrètement, ils me conduisirent dans la ville haute chez Nicodème le sanhédrite[1. Jn 3,1-21 ; 7,50 ; 19,39] où avaient également trouvé refuge Simon[2. Il peut s’agir ici de Simon le Zélote] et Matthieu. Pour eux, cela ne faisaient aucun doute : « Jésus était bien l’Envoyé, le Messie de Dieu ! Sa résurrection atteste que proche est le jour du Seigneur comme l’ont annoncé les prophètes : ils ont conspiré contre le messie du Seigneur mais il s’est réveillé en sa sainte demeure[2. Le texte mêle le Psaume 2 et Zacharie 2,12-17]. Dieu va venir maintenant juger Israël et établir son Royaume, ce dont Jésus lui-même parlait !» Ils ne tarissaient pas de citations et d’explications dans lesquelles je me perdais, parlaient de révolte, de guerre… Etaient-ils devenus fou ? Ils en arrivaient à me faire peur : s’ils avaient raison ?
Lorsqu’ils vinrent avec moi à la maison, tous se réjouirent. Là, ils nous apprirent la mort de Judas l’Iscariote qui suscita en moi un étrange sentiment de soulagement et de tristesse. Mais bien vite les débats reprirent. Simon, Matthieu, Philippe et Barthélémy ne démordaient pas de leur vision d’un avènement proche du Jugement de Dieu, tandis que d’autres continuaient d’affirmer que si Jésus avait été le messie de Dieu, il ne serait pas mort sur une croix.
C’est la magdaléenne qui vint mettre fin au débat. « Vous avez tout quitté pour suivre le même homme, et entendu ses mêmes paroles qui sortaient de sa bouche. Faut-il donc que vous vous divisiez maintenant ? Ne le voyez-vous pas ? C’est comme s’il voulait vous rassembler à nouveau ! » Tous nous restâmes silencieux, longtemps. Sans Jésus, nous étions perdus, comme des brebis sans berger. Le lendemain, Simon-Pierre vint me voir. Des Douze, excepté Judas, il ne manquait que Thomas. Il me confia donc la charge d’aller à sa recherche afin que tous ceux que Jésus avaient choisis soient désormais réunis : qui sait, peut-être alors viendrait-il ?
Commentaire
Chacun des disciples y va de sa théorie au sujet du Christ, faisant de lui un prophète d’hier crucifié, un messie apocalyptique, voire simplement le souvenir-fantôme d’un ami… L’avènement de la fin du monde, ou plus précisément : l’avènement du Jugement divin est au cœur de ce passage. La venue du Messie est associée, en ce premier siècle, au bouleversement du monde. Le Messie advient afin de rétablir la Justice de Dieu contre les méchants ou les impies. Cette attente du retour du Christ, la parousie, caractérisera l’ensemble de ce premier siècle. La communauté des disciples de Jésus est ainsi décrite, ici, comme le rassemblement des sauvés.