Découvert récemment, un papyrus du IInd siècle retrace les faits et gestes des premiers disciples depuis la découverte du tombeau vide jusqu’à la Pentecôte. Ce manuscrit rapporterait le témoignage même de Matthias, disciple du Seigneur, celui qui sera appelé à devenir Apôtre (Ac 1,25).
Chapitre 6
Je me trouvais donc là, à la synagogue de Cana, où quelques hommes du village s’étaient rassemblés[1. Cf épisode précédent]. Les jumeaux s’y trouvaient avec leur père. Lorsque Thomas me vit, il eut l’air surpris. Il me fit signe de sortir. Mais, étrangement, je ne savais que lui dire : par où commencer ? Autant je m’étais surpris à relater ces derniers évènements, autant j’étais sans voix devant Thomas. J’avais peur de lui dire… et lui dire quoi ? D’où me venait cette peur étrange, cette boule au ventre, cette gorge sèche ?
Face à mon silence, Thomas me dit : « Ils nous recherchent ? ». « Non, lui répondis-je. Mais… », « Mais quoi ? » reprit-il. « Il est vivant ! » dis-je. Thomas resta un moment silencieux, dubitatif : « Comment ça vivant ? Il a survécu ? » Comment lui raconter ce que moi-même je n’avais pas vécu ? J’avais beau lui relater ces manifestations à quelques disciples, il ne fit que hausser les yeux, d’un air dépité. Il me prenait pour un fou, et ne voulait pas tenir compte de ces élucubrations. La seule phrase qui me vint à l’esprit fut : « Viens ! Les autres te demandent. »
Après un moment de silence, Thomas reprit : « Tout cela est fini. Nous sommes morts avec lui. Il est inutile de se revoir, de poursuivre le chemin. Sans lui nous ne pouvons plus rien faire. Sa mort a anéanti notre espérance. Mon avenir est désormais ici avec les miens : je ne veux plus perdre mon temps. Nous ne ferons rien avec de la nostalgie. » Je le comprenais : Thomas était encore jeune, un âge où l’on encore tout à construire : une vie de famille, un métier,… Je décidais d’en rester là, je repartirais seul à Jérusalem.
Le premier jour de la semaine, je repris donc le chemin. Mais quelle ne fut pas ma surprise de voir à la sortie du village, Thomas qui m’attendait. « Bon, je viens, mais juste pour en savoir plus. » C’est ainsi que nous sommes partis pour Jérusalem. A notre arrivée, les disciples étaient là, tout souriants : Jésus s’était manifesté, alors qu’ils partageaient ensemble le repas. Cette nouvelle, au lieu de me réjouir, me contraria : pourquoi n’avait-il pas attendu que je sois là, que Thomas soit revenu ? Ce dernier ajouta « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas »[2. Jn 20,25] Je voyais bien pourtant qu’en eux quelque chose avait changé : les querelles et les dissensions d’hier avaient laissé place à la paix. Pourtant, j’avais au fond de moi ce sentiment que cette paix ne me concernait pas. Etais-je digne de faire encore partie de ses disciples ? Il me fallait prendre un peu de recul et je décidais de partir pour un temps. Ce n’est qu’à mon retour que j’apprendrai que Jésus se manifesterait aussi à Thomas.[3. Jn 20,26-29].
Commentaire
Thomas est un des Douze apôtres (Mt 10,3, Mc 3,18, Lc 6,15). L’évangéliste Jean lui offre un rôle particulier. Il intervient lors du récit du relèvement de Lazare (Jn 11,16) et lors du dernier repas de Jésus (Jn 14,5). Il est connu pour être celui qui met en doute la parole de ses compagnons, après l’annonce de la Résurrection (Jn 20,24-31). Thomas est aussi appelé Didyme (Jn. 11,16 ; 21,2), nom signifiant “jumeau”, d’où la présence de ce dernier dans cette scène. Ce Judas, prénom tout aussi répandu que celui de Jésus, à l’époque, n’est pas à confondre avec Judas l’Iscariote, ni l’autre des Douze, Jude.
Anna Mashal
@Vieil imbécile – Merci pour ce ‘commentaire’ !
Je trouve votre “remplissage” de la vie de Thomas entre les deux manifestations du Cénacle fort intéressant. D’autant plus que mon imagination était partie dans une direction très différente :).
Je voyais plutôt Thomas très proche des autres, ayant dû s’absenter momentanément lors de la première manifestation. Pour parvenir à le convaincre, les autres apôtres lui avaient alors abondamment décrit les plaies du Christ, ce qui l’avait conduit à sa fameuse déclaration.
Contrairement au tableau du Caravage, j’imaginais que Thomas voyant le Christ avait perdu toute défiance et s’était jeté à Ses pieds, sa forfanterie devenant à ses yeux parfaitement absurde.
Cette interprétation légitimait et éclairait à mes yeux la tradition de la succession apostolique : le reproche du Christ visait le fait que Thomas n’avait pas cru les autres apôtres, et légitimait ainsi le fait que nous, lointains descendants spirituels de Thomas, devions croire au témoignage des apôtres et de leurs successeurs.
Votre version met un petit peu à mal cette interprétation dans la mesure où Matthias n’était pas encore apôtre… même si futur évêque on pourrait le considérer comme prédécesseur des prêtres ? 🙂
En revanche, elle enrichit considérablement la personnalité de Thomas puisque son absence n’est plus subie, mais choisie, fruit amer du découragement, ancêtre de l’aquoibonisme de Bernanos. Et qu’il lui faudra faire un effort considérable sur lui-même afin de vaincre sa tentation de la feuille morte.
Merci d’enrichir ainsi notre vision : bien content que vous ayez retrouvé ce manuscrit 🙂