Découvert récemment, un papyrus du IInd siècle retrace les faits et gestes des premiers disciples depuis la découverte du tombeau vide jusqu’à la Pentecôte. Ce manuscrit rapporterait le témoignage même de Matthias, disciple du Seigneur, celui qui sera appelé à devenir Apôtre (Ac 1,25).
Chapitre 12
J’étais donc devenu l’un des Douze. Cela ne bouleversa pas ma vie dans la communauté. Tout au plus, j’avais été chargé de la bourse commune, à la suite de Judas, afin de pourvoir au besoin de chacun. Comme au temps de Jésus, nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes et de quelques dons. Mais ces derniers se faisaient rares depuis sa condamnation.
Or, il arriva, alors que je me trouvais au Temple, sous le portique de Salomon, qu’un homme s’approcha. Je le reconnus : il était, comme moi autrefois, marchand d’épices et de vin. J’avais, bien des fois, commercé avec lui. Il s’appelait Joseph et était originaire de Chypre[2. Cet homme sera nommé plus tard, par les Apôtres, Barnabé. Ac 4,36]. C’était un homme pieux[3. Selon le livre des Actes des Apôtres, Joseph-Barnabé était lévite.]. Il était actuellement à Jérusalem pour la fête des Semaines et en profitait pour régler quelques affaires. Il me demanda, alors, à voir ce rabbi nommé Jésus qu’il avait écouté un jour au Temple. Il me savait l’un de ses disciples. Sa requête me mit dans l’embarras. Je commençais à lui expliquer ce qui était arrivé depuis le jour où Jésus avait été arrêté. Cette nouvelle l’emplit de tristesse. Je l’invitais à la maison afin de lui expliquer plus au calme la suite des événements. Je lui appris ainsi tout ce qui était advenu après la Pâque jusqu’au jour du départ de Jésus vers le Père. Il m’écoutait sans rien dire. Il ne parut nullement surpris, et ne manifesta aucun signe de mépris. Il resta un long moment en silence. Puis il me dit : « Je reviendrai demain. » Le lendemain, Joseph resta avec nous toute la journée, participant aux prières et au repas.
Le soir même, Joseph vint me voir et me dit : « Lorsque j’ai rencontré Jésus, il ne cessait de parler du Royaume de Dieu par de nombreuses paraboles. En vous regardant vivre ainsi, dans cette joyeuse communion fraternelle, je sais que sa parole a porté du fruit. Vous êtes manifestement une parabole vivante du Christ pour le Royaume. C’est ce qu’ont annoncé la Loi et les prophètes : ‘Désormais, il n’y aura plus de pauvres’ [3. Dt 15,4] et ‘ vous tous qui avez soif, venez vers l’eau, même si vous n’avez pas d’argent, venez, achetez et mangez. ‘[4. Is 55,1 et suiv.]. Nous avons discuté de longues heures avec Joseph. Sa connaissance de l’Ecriture nous emplissait de joie, et tel un prophète, il nous confortait dans notre foi. Depuis ce jour, Joseph fut surnommé « Barnabas »[5. Que le livre des Actes des Apôtres (Ac 4,36) traduit par ‘fils/homme du réconfort’.].
Commentaire
Il ne faudrait pas confondre la communauté de partage[6. Cf. Ac 2,42 et Ac 4,32, Ac 5,12-16] avec le pays des soviets, ni celui des Bisounours. Situées, dans le livre des Actes des Apôtres, juste après le discours de Pierre à la Pentecôte, les descriptions de la mise en commun des biens veulent souligner l’accomplissement de la venue du Royaume. Bien plus la communauté de partage inaugure un lien nouveau entre les disciples qui fera dire à Paul : «Il n’y a plu[s ni Juif, ni Grec; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ »(Ga 3,28). La reconstitution du groupe des Douze, la communauté de prière et de partage (κοινωνία / communion) et plus tard dans notre manuscrit, le don de l’Esprit, viennent ainsi configurer la communauté primitive au Royaume du Christ. Les disciples, par leur témoignage et la fraction du pain et unis à leur Seigneur, deviennent un signe visible, par l’Esprit reçu, du Royaume inauguré par le Christ.
Anna Mashal