Les Confessions de Mr Bœuf de la Crèche.
Je ne suis pas très populaire, beaucoup moins que mon compagnon de crèche, l’âne. Une émission entière lui a été consacrée, à lui ! A moi, rien ! Il vrai qu’un âne paraît toujours plus sympathique qu’un bœuf. Il n’empêche : j’étais là aussi, en cette nuit que l’on appelle aujourd’hui Noël !
J’étais alors bien tranquille dans mon étable. Je pouvais enfin me reposer après une dure journée de labeur. Puis la porte s’est ouverte, laissant entrer un air froid désagréable accompagné de quelques silhouettes encore indistinctes à mes yeux. Ils sont entrés à la lueur d’une faible lumière : des humains ! Des humains avaient décidé de crécher dans mon étable. Ils ont pris de Ma paille pour en faire Leur lit ! J’avais beau mugir mon mécontentement, ils continuaient à vouloir squatter mon seul luxe ! L’un d’eux est venu me caresser le museau comme s’il essayait de m’amadouer. Ben voyons : je ne suis pas un chien ! Je suis un bœuf, et vos caresses, monsieur l’humain, ne m’intéressent guère. Je veux Mon calme, Ma tranquillité et dormir !
Je redoublais de mugissements quand ils ont placé à mes côtés … un âne ! Une sous-race d’équidé ! Eh oh ! Ca va pas non ! J’ai pas choisi la coloc’ avec les pauvres : je ne partagerai pas ma couche avec une machine à braire ! De coups de sabot, des petits coups de corne, et cet âne finira en saucisson avant l’aube, foie d’animal !
– Chut ! Fais pas de bruit : elle va accoucher ! me dit l’âne.
– Quoi ! En plus, elle va mettre bas sur ma paille ?! Elle ne peut pas faire ça ailleurs ?
– Ben on n’a pas eu le choix !
– Manquait plus que ça ! Comment je vais me reposer moi ?
– Ah toi aussi tu as voyagé? Tu viens de loin ? Nous on arrive de Nazareth. Nazareth c’est en Galilée, c’est beau la Galilée, tu connais ? ça fait plusieurs jours qu’on voyage. Nous nous sommes arrêtés à Beth-Shéan avant de rejoindre le Jourdain. J’aime bien la vallée du Jourdain, en plus j’ai des cousins qui habitent par là, mais je n’ai pas pu les voir, dommage ! Et après Jéricho, nous avons traversé Jérusalem. Wow ! C’est la première fois que je mettais les sabots dans la capitale. Ces rues, cette foule ! Le temple ! Mais on n’a pas eu le temps de visiter… Et toi, tu viens de loin ?
– De Bethléem.
– De Bethléem, wow ! … Mais nous sommes à Bethléem.
– C’est bien. Tu as le sens de l’orientation.
– Mais sinon, dans tes voyages, tu es allé jusqu’où ?
– Dans le champ d’Amos.
– Et c’est loin ?
– Non, juste à la sortie de Bethléem !
– Ben t’es pas un grand voyageur !
– Non, JE NE SUIS PAS UN VOYAGEUR !! Je suis un bœuf ! Je suis né à Bethléem, je travaille à Bethléem. Chaque jour, je laboure à Bethléem, je tire des charrues, des chariots, à Bethléem.Je travaille du matin au soir, à Bethléem ! Et J’AIMERAI DORMIR A BETHLEEM !
- Chut ! Regarde !
- Un petit d’homme !
- C’est beau hein ?
- Il crie fort !
- T’es pas un tendre toi ! T’as des enfants ?
- Je suis boeuf !
- Et alors ?
- …
- Il est si mignon.
– Ah non ! C’est pas hôtel ici !
– Ce sont des bergers !
– Je le vois bien ! Ils ne peuvent pas dormir à la belle étoile comme les autres bergers ? Ah, bon sang, cette odeur de moutons !
– Ben tu sens pas la rose non plus !
– Mais que font-ils ? Pourquoi ils restent là ?
– Oui, c’est étrange. On dirait qu’ils sont venus juste pour l’enfant !
– Mais c’est qui ces gens que tu m’as amené ? Des princes ?
– Non, lui est charpentier à Nazareth. Et elle : une fille du village.
– C’est idiot : personne ne se déplacerait pour voir un fils de charpentier.
– C’est que, à ce que j’ai entendu sur la route, l’enfant est un don de Dieu. Du moins, je crois que c’est quelque chose comme ça.
– Ça doit être un don spécial pour déplacer des pouilleux !
– … c’est peut-être un futur roi qui vient de naître ?
– Un futur roi ! Tu lis trop de contes de fée ! Et pourquoi pas le Fils de Dieu aussi ?
– Ah ouais ! Le fils de Dieu…
– ….
Il y eut alors un grand silence, entrecoupé de murmure. Les yeux des bergers étaient admiratifs et joyeux. Une indescriptible atmosphère régnait dans mon étable. Plus je regardais l’enfant, plus je me laissais aussi attendrir. Je ne savais alors pourquoi. Je mugissais de joie, et entrainés par mon chant, l’âne, les bergers, leurs moutons, se mirent, de leurs voix, à m’accompagner – c’est de là qu’est né l’expression musicale ‘faire un boeuf’.
merci pour cette page de calendrier… J’aime cette vision du boeuf qui finit par se laisser attendrir… accepter comme lui, même si c’est avec retard, de laisser une petite place au chaud pour un inconnu, une petite place au creux de son coeur pour un fils de Dieu fait homme…