Cela fait plusieurs mois que nous marchons : le mage, moi l’éléphant et mon cornac. Voyager à mon dos n’est ni confortable, ni rapide, mais je suis la seule monture que ce vieux mage possède : cadeau d’un prince pour l’avoir guéri de ses maux. Jamais il n’avait réussi à me revendre : je suis un pachyderme borgne et lent.
Je n’ai jamais vu mon maître qu’à travers la fenêtre de sa maison au milieu de ses livres ou sur sa terrasse scrutant le ciel, comme s’il attendait un signe. Je ne sais si ce sont les livres ou le ciel, mais un jour ce signe semblait être advenu. Mon cornac, serviteur du mage, mit sur mon dos, selle, moult bagages et provisions. “Allons voir ce roi que Dieu nous envoie !” dit-il et nous partîmes ainsi vers une destination encore inconnue.
Nous avons voyagé longtemps avant d’arriver dans une ville nommée Babylone. Nous y avons passé plusieurs jours, mon maître y avait des amis. Je les entendais parler lorsqu’ils se retrouvaient le soir. Ils racontaient des histoires d’hommes qui n’étaient rien mais à qui un dieu parlait, des hommes nommés Abraham, Moïse… Je me délectais chaque soir de leurs paroles. Je n’avais jamais cru qu’il pouvait y avoir un seul dieu. Et ce dieu là aurait créé tout l’univers, même les éléphants ! Ce grand dieu n’était pourtant que le dieu d’un petit peuple dont faisait partie mon maître.
Lorsque nous avons quitté Babylone, un autre mage décida de nous accompagner. Et avec lui, un drôle d’animal : sans trompe, avec des jambes si frêles que je me demandais comment il pouvait tenir debout. Un animal plus handicapé que moi : si j’étais borgne, il était bossu. Les mages décidèrent de se rendre au seul endroit où ils pouvaient trouver un roi capable de sauver leur petit peuple. C’est ainsi que nous avons repris la route. La compagnie d’un autre animal n’était pas pour me déplaire. Hélas, ce dernier ne faisait que grommeler à chacune de mes interventions : quel chameau ! Heureusement, même si je ne pouvais leur répondre, la conversation des mages m’intéressait davantage. Nous avons fait route, remontant l’Euphrate et le Tigre jusqu’au Royaume d’Adiabène. Pourtant, je me demandais si la destination des mages était la bonne ? Pourquoi cherchaient-ils un roi, ailleurs que dans leur pays, capable de faire ployer le joug romain ? Je ne savais comment le faire comprendre.
J’ai bonne mémoire, une mémoire d’éléphant. Avec tout ce que j’avais entendu d’eux, l’histoire de Moïse, de Samuel, de David… Ce Dieu que j’avais appris à aimer, a toujours suscité juges, prophètes et rois au sein de son peuple pour le sauver. Aussi, j’étais persuadé qu’il fallait prendre la route de Jérusalem. Aussi, un soir, alors que les mages étaient assis auprès du feu, je m’approchais d’un pas que je voulais léger. De ma trompe, je pris discrètement un morceau de bois enflammé et m’écarta. Puis, inspirant de tous mes poumons, je me mis à souffler, envoyant ainsi la bûche
enflammée en direction de Jérusalem – depuis une tradition veut qu’il y ait une bûche à Noël. Les mages alors levèrent les yeux et virent ce qu’ils prirent pour une étoile. Mon stratagème marcha à merveilles : dès le lendemain, ils se myrrhe mirent en route vers le sud, accompagné d’un autre mage et son cheval.
Chaque soir, j’opérais ainsi. Le camélidé comme le cheval furent mes complices en détournant l’attention des hommes. Les mages regardaient ainsi l’ “étoile”. Et dès le lendemain, nous partions
dans sa direction. Quelques mois plus tard, nous arrivâmes à Jérusalem, et ainsi je les conduisis jusqu’au palais du roi… mais là c’est une autre histoire qu’un jour je vous raconterai.