Ivoire de plus près à Betlhéem

INous étions là, près de la porte de Jérusalem, la trompe basse, la bosse tombante et le crin ballant. Nous n’avions hélas pas pu empêcher nos maîtres d’entrer chez Hérode[1. voir épisode précédent ou le premier].
Pourvu qu’ils s’en sortent ! hennit le cheval.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? trompetai-je.
Ben à ton avis ? Qu’est-ce qu’il va leur faire le roi Hérode quand ils vont lui demander : “Où est le nouveau roi des Juifs ?”
Tu prends nos maîtres pour des naïfs ! grommela le dromadaire.
Mon regard croisa celui tout aussi inquiet du cheval, et ensemble nous poussâmes un même cri :  ILS SONT PERDUS !!
Mais  tandis que nous pleurions des larmes de crocodiles, soudain nous entendîmes la voix de nos mages.

  • En route vers Bethléem ! crièrent-ils.
  • Mais comment savent-ils cela, seule la brebis avait l’air au courant ? demandai-je à mes compagnons de route.
  • Hérode est un tyran bien informé doublé d’un fou. Nous ne savons à quel syndrome adhère Hérode, dit le dromadaire.

Ainsi, nous partîmes à la fois impatients et anxieux en direction de Bethléem. Et cette fois-ci, nul besoin d’étoile pour nous guider. Le voyage fut de courte durée, je ne pensais pas que cette ville était si proche de Jérusalem. ‘Ville’ est un bien trop grand mot pour cette bourgade. Toute la journée nous avons arpenté les rues cherchant un palais, une riche maison : en vain ! Alors que la nuit tombait, soudain une étoile se leva au coeur du village. Mes compagnons me regardèrent.
– Eh les gars, j’y suis pour rien : j’vous jure !
Ni une, ni deux, les mages nous remirent en marche et nous parvînmes devant une petite étable, juste au dessus de l’étoile. Les mages y pénétrèrent.

  • C’est ça la demeure d’un roi ?
    Non, généralement c’est un peu plus cossu, me répondit le dromadaire.
  • Qu’est-ce qu’on fait ? On entre ? demanda le cheval.
  • C’est que la porte est étroite pour un chameau, répondis-je.
  • Un dromadaire, je suis un dromadaire, pas un chameau !
  • Tu vois quelque chose, demandai-je au cheval.
  • Pas grand chose, j’aperçois un âne et un boeuf et quelques moutons.
  • Parfait ! on va entrer par derrière, et se faire discrets !
  • Tu es certain que nous pourrons tous tenir et passer inaperçu ? me demanda le dromadaire.
  • Je suis gris comme un âne, tu es beige comme un boeuf… je crains plus pour le cheval : sa crinière pourrait le trahir. Mais tentons le coup ! Allons-ivoire de plus près !

Nous pénétrâmes, non sans mal, dans la petite étable. Silencieusement, nous nous glissâmes entre le boeuf et l’âne gris, trop occupés à chanter pour nous remarquer. Il y avait là, endormi sur la paille, un enfant, que tous contemplaient.

  • Vous êtes sûrs qu’il s’agit bien de lui, du big-bosse ? dit le dromadaire.
  • Je crin crains que nous soyons venus pour rien ! répondit le cheval.
  • Je ne me trompe jamais, répondis-je. Il est certes petit et pas bien gros…
  • Pas très grand non plus, dit le dromadaire,
  • Ni très véloce, ajouta le cheval.
  • Mais justement !  Ce n’est pas un roi messie,  à la manière des hommes !
  • A la manière de qui alors ? demanda le cheval.
  • A la manière de Dieu ! nous dit soudainement le boeuf.

Cette remarque nous laissa sans voix, méditant et contemplant une telle divine fragilité.

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