Vendredi (1ère sem. de carême)
“Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.” (Mt 5,20-26)
Bien souvent, nous distinguons, dans notre vie de foi, notre pratique cultuelle et nos actes de charité. Il y a nos lieux de culte et nos lieux de vies. Un espace (liturgique) où nous rendons gloire à Dieu, et un espace (social) où nous exerçons notre foi dans la charité et la fraternité. Nous le savons l’un ne peut se passer de l’autre. Faire du culte ou de la fraternité chrétienne, le seul autel de notre foi, c’est vivre sa foi autour d’un autel de passe, c’est-à-dire d’un autel qui se passerait d’une dimension théologale ou caritative, ou ecclésiale… Or, fraternité et culte sont deux mots indissociables dans toute la tradition biblique et, dans l’évangile selon Matthieu, Jésus vient nous le rappeler : non seulement ils sont inséparables mais plus encore le souci du frère est aussi un culte rendu à Dieu.
Toute la tradition biblique nous le rappelle, depuis le prophète Amos : Dans vos offrandes, rien qui me plaise; votre sacrifice de bêtes grasses, j’en détourne les yeux; éloigne de moi le brouhaha de tes cantiques, … Mais que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable ! (Am 5,21-24)
En passant par Isaïe : Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci: dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé? (Is 58,6-7)
Et même le Décalogue : Le septième jour, c’est le sabbat du Seigneur ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni aucune de tes bêtes, ni l’émigré que tu as dans tes villes, afin que ton serviteur et ta servante se reposent comme toi. (Dt 5,14)
En reprenant ce décalogue, Jésus veut donner sens à toute l’Écriture : le culte véritable intègre la dimension fraternelle. Présenter son offrande, la laisser pour se réconcilier et revenir pour la présenter. Offrande et réconciliation vont ici de pair. Laisser son offrande destinée à Dieu pourrait paraître plus important. Mais la vie fraternelle et ecclésiale est elle-même offrande : une offrande de soi pour ce frère qui peut être un adversaire. Il ne s’agit pas seulement d’amitié de surface, mais de réconciliation : renouer avec ce frère parfois détesté, comme Christ renoue avec chacun, lui qui a tout réconcilié par lui et pour lui, et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix (Col 1,20). Ainsi, cette réconciliation concerne tout autant le culte liturgique que la vie fraternelle.
La conduite du Seigneur est étrange pour reprendre les termes d’Ezéchiel, et nous conduit à cette même attitude : aimer jusqu’à s’offrir, jusqu’à réconcilier… une attitude que le Christ manifestera jusque sur cette Croix : le lieu même où il se révèle pleinement Fils de Dieu. Offrande et réconciliation Dieu nous les donne pour que nous le célébrerions jusque dans nos vies, gracieusement.