Moïse était encore sur la montagne du Sinaï. Le Seigneur lui dit : « Va, descends, ton peuple s’est perverti, lui que tu as fait monter du pays d’Égypte. Ils n’auront pas mis longtemps à quitter le chemin que je leur avais prescrit ! Ils se sont fabriqué un veau en métal fondu. Ils se sont prosternés devant lui, ils lui ont offert des sacrifices en proclamant : ‘Israël, voici tes dieux, qui t’ont fait monter du pays d’Égypte.’ » (Ex 32,7-14)
“Ton peuple’… comme si le peuple n’était plus désormais celui de Dieu mais de Moïse, comme si le Seigneur en rejetait même la responsabilité sur Moïse. Cela ressemble à une dispute familiale où un père, reprochant les torts de son enfant, dira de lui à son épouse : ‘TON fils’. Ou encore un frère jaloux, suite au retour de son cadet indigne, dira à son père : ‘TON fils’ oubliant qu’il est aussi SON frère (Lc 15,11-32). Que faire donc de ce peuple indigne dans le lequel Dieu ne se reconnaît plus ?
La faute du peuple n’est certes pas à négliger. De prime abord, nous pourrions penser qu’ils se sont détournés vers des idoles, d’autres dieux sous la forme d’un veau d’or. Se tromper de sauveur en mettant sa foi dans des idoles, dans l’or et la réussite, ou tout ce qui brille à nos yeux… mais sans vie : voilà une tentation à laquelle nous pouvons parfois succomber : ‘Voici tes dieux !’, tes faux-dieux. Mais une autre compréhension est aussi possible et qui est à mon avis plus juste.
L’expression ‘Voici tes dieux, Israël’, peut aussi se traduire par ‘Voici ton Dieu, Israël‘, le mot Elohim pour désigner Dieu étant un mot pluriel. Ainsi la phrase ‘Voici ton Dieu… qui t’a fait monter d’Egypte‘ est plus compréhensible. Et finalement, ce péché serait ainsi pire que l’idolâtrie. Pour notre confort, nous pouvons nous fabriquer notre Dieu, et vouloir à tout prix qu’il nous ressemble, qu’il soit conforme à nos idées. Nous pouvons piocher dans la Bible, dans les Conciles, dans le Catéchisme… tout ce qui nous convient en oubliant tout le reste, de manière à ce que Dieu nous plaise. Comme une idole préhensible, que l’on tient en nos mains, nous voudrions avoir la main-mise sur Dieu.
La faute du peuple est de vouloir s’accaparer l’image de Dieu, selon sa conception, et par conséquent refuser qu’il se donne à voir en sa Parole, refuser sa révélation, refuser de se laisser convertir par lui. Mais, au contraire, nous sommes invités à nous laisser enfanter par lui chaque jour, à nous laisser libérer et transformer par sa présence, sans l’emprisonner dans nos idéologies de veaux trompeurs.
Il faudra l’intervention de Moïse pour rappeler à Dieu que ce peuple à la nuque raide demeure SON peuple, le Peuple de Dieu. Il faudra l’audace d’un Moïse pour rappeler justement à Dieu qu’il est miséricorde et non vengeance, qu’il est un Dieu de Vie pour un avenir, et non un Dieu de Veau destiné à la mort.