Et les Douze nominés sont… (Mc 3,13-19)

Parallèles : Mt 10,1-8 | Lc 6,12-16

Dès le premier pas de Jésus au bord de la mer de Galilée, quatre disciples avaient répondu à son appel (1,14-20). Après son enseignement sur les rives du lac à Capharnaüm, il avait aussi appelé Lévi à le suivre (2,13-17). Le même scénario se répète maintenant : sitôt le rassemblement de la foule au bord de la mer, Jésus réitère ses appels et, cette fois, de manière plus large et publique.

Douze apôtres

Un troisième appel

Ce troisième appel ne se limite pas en effet à quelques-uns, de manière privative. La disposition tripartite de cet épisode le montre bien :

  1. un appel large au sommet, non-limitatif 3,14
  2. une mission particulière pour douze d’entre eux 3,14-15
  3. le choix nominatif des Douze 3,16-19.

Marc montre combien l’institution des Douze n’est pas un en-soi. Elle s’inscrit dans un appel plus vaste et généreux. Les Douze sont choisis parmi la multitude, au sein d’un rassemblement d’appelés, c’est-à-dire ecclésial1. L’évangéliste donne ainsi une certaine solennité à ce choix des Douze par le récit précédent relatant la présence d’une foule venant des quatre coins de l’horizon, mais aussi par l’appel de disciples au sommet d’une montagne et le choix nominatif des Douze. Cet aspect est propre à Marc. Matthieu comme Luc relateront cet appel de manière bien différente2.

Douze apôtres

Sur la montagne (3,13)

Mc 3, 13 Puis, il gravit la montagne, et il appela ceux qu’il voulait. Ils vinrent auprès de lui,

Une vue perçante et une voix qui porte ?

La scène peut paraître étrange voire irréaliste. Jésus monte, seul, sur une montagne, et appelle, un à un, ceux restés en bas. Pour réaliser un tel exploit il fallait que la montagne soit vraiment proche de la mer, peu élevée et que Jésus ait à la fois une vue perçante, une bonne mémoire et une excellente voix. Même les monts alentours Arbel, Tabor ou celui dit des Béatitudes ne pourraient répondre à ces critères. Marc n’est pas un ignorant, ni un excentrique. La montagne anonyme est ici symbolique.

Elle décrit ce lieu biblique où se déroulent bien des manifestations divines comme étant un des lieux privilégiés de la rencontre entre Dieu et son peuple. L’évocation de cette montagne pourrait faire référence à plusieurs épisodes tels :

  • L’appel d’Abram (Gn 12,7-8) ou mieux celui de Moïse sur l’Horeb (Ex 3), tous deux en vue d’une mission et du don de la terre de Canaan.
  • Le séjour près du mont Sinaï où Dieu donna sa Loi et son Alliance (Ex 24,4) où à cette occasion Moïse éleva douze stèles pour chacune des tribus d’Israël.
  • La montagne de Sion désignant le Temple restauré après l’exil. Ainsi les prophètes désignent la montagne comme le lieu de l’avènement du Seigneur et de la restauration d’Israël. Michée 4,1-8; Abdias 1,17; Joël 3,5; etc. Citons pour exemple Joël 3,5 : car sur la montagne de Sion et de Jérusalem, il y aura des rescapés, comme l’a dit le Seigneur, et parmi, les survivants que le Seigneur appelle !

Ce rassemblement de rescapés annoncé par Joël, Marc ne l’a-t-il pas évoqué lors de l’épisode précédent en décrivant les guérisons de Jésus envers ceux qui souffraient de supplices, et maintenant sauvés et appelés ? Ainsi l’appel des disciples et Douze ne peut être nullement considéré comme l’initiative d’un maître de sagesse appelant ses élèves, mais comme celle d’un Seigneur appelant et rassemblant son peuple. Jésus sur la montagne revêt une posture divine, et son appel retentit comme un appel en vue d’un salut, un appel à entrer dans une alliance et un temps nouveau, celui du règne.

Douze apôtres

Une création politique dangereuse (3,14-15)

3, 14 et il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle 15 avec le pouvoir d’expulser les démons.

Douze

Le chiffre douze, bien évidemment, correspond aux tribus d’Israël. Choisir parmi les appelés, douze personnes, exprime un choix hautement politique dans notre évangile. Rappelons que cette instauration est publique, face à une foule venant depuis l’Idumée jusqu’à Sidon, depuis le haut d’une montagne. Avec les Douze, Jésus paraît reconstituer l’ancien et grand Israël, celui des douze tribus. Cet acte, chez Marc, a une portée pleine d’espérance : Jésus affirme ainsi qu’avec lui le règne de Dieu advient.

Mais étrangement, le signe des Douze pourrait affirmer l’instauration non pas d’un règne spirituel mais DU royaume, celui d’Israël. L’épisode précédent rappelait justement les frontières de cet ancien état : Idumée, Jourdain, Tyr et Sidon, et Jérusalem sa capitale. Et Jésus en établit (litt. en fit) Douze. Ce n’est même plus un choix mais la création, l’institution d’un groupe particulier. Cette institution de douze apôtres revêt donc ici un aspect éminemment politique. Jésus voudrait-il reconquérir la terre sainte des mains des Romains et des hérodiens ? Prétendrait-il au trône de ces douze tribus ? Ou bien Marc souhaiterait-il opposer le règne du Christ à celui de l’Empire et des puissants ?

Certes, l’évangéliste précise que la mission des Douze consiste en la prédication et la lutte contre les démons. Mais là encore, cette mission décrite chez Marc a un aspect ambigu. Car il faut s’accorder sur le contenu de la prédication. Prêcher quoi ? Comme Jésus : le règne de Dieu (Cf 1,14.38-39). Si aujourd’hui bien souvent (hélas) l’expression règne ou royaume de Dieu renvoie à l’au-delà, il n’en est pas ainsi dans les évangiles. Annoncer le règne représente l’attente imminente d’une action du Seigneur dans le présent et le concret du peuple, y compris dans sa vie sociale et économique (donc politique). Chasser les démons : l’expression est quasi-militaire. Il s’agit bien de combattre le mal dans toutes ses dimensions : spirituelle, éthique… Or ce mal démoniaque peut aussi bien prendre le visage du péché et de la maladie que de l’injustice et de l’oppression romaine.

Ici, Marc ne donne pas à ces douze le titre officiel d’Apôtres, comme le feront Luc et Matthieu. Ils reçoivent un pouvoir, une autorité qui pourrait même les assimiler à des lieutenants. En prêchant et chassant les démons, ne tiennent-ils pas lieu de l’autorité de leur Seigneur poursuivant ainsi en son nom sa mission (1,39) ?

Douze apôtres

Douze lieutenants (3,16-19)

3, 16 Donc, il établit les Douze : Pierre – c’est le nom qu’il donna à Simon –, 17 Jacques, fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques – il leur donna le nom de « Boanerguès », c’est-à-dire : « Fils du tonnerre » –, 18 André, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques, fils d’Alphée, Thaddée, Simon le Zélote, 19 et Judas Iscariote, celui-là même qui le livra.

Divers et variés disciples

Si l’on ne peut faire le portrait de chacun, nous pouvons déjà repérer une certaine diversité chez ces Douze. Depuis les pêcheurs du lac jusqu’au cananite Simon (surnom donné aux résistants zélotes –encore un aspect politique). Ceux dont le nom du père semble reconnu par la société (les fils de) et les autres plus anonymes, jusqu’à celui qui le trahira.

Jésus demeure maître de son destin. La conspiration des pharisiens et des hérodiens n’arrête en rien sa mission. Maintenant, il appelle ses disciples de manière solennelle et constitue un groupe particulier et reconnu : les Douze dont fait partie Judas. Parfois il renomme, comme un père nomme ses enfants, comme le Seigneur renomma Abraham (Gn 17,5) ou comme Nabuchodonosor renomma ses vassaux et ses serviteurs (2R 24,17; Dn 1,7). Pierre, les Boanergès… des surnoms affectueux ou des noms de combats ?

Pierre, les fils du tonnerre, ces surnoms n’ont rien de pacifique et nous avons le droit d’être déstabilisés par cette précision de Marc. Où est ce gentil Jésus guérissant une belle-mère fiévreuse, un lépreux, mangeant avec les pécheurs… ? Que cherche donc à faire Jésus ? Quelle mouche le pique ici ? Serait-il devenu fou pour prétendre à la royauté ou la restauration d’Israël ?

  1. Le terme ecclésial / église, provient du grec ekkaléo/ἐκκαλέω signifiant appeler. ↩︎
  2. Le contexte du récit parallèle chez Luc (Lc 6,12,16) ne fera pas mention d’un précédent rassemblement d’une multitude, ni d’un appel plus vaste. De même chez Matthieu (Mt 9,35-10,16) qui soulignera au contraire la rareté des ouvriers de la moisson et omettra le cadre de la montagne. ↩︎
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