Parallèles : Mt 13,1-23 | Lc 8,4-15
Au bord de la mer, en mer, près de la mer, lirons-nous. En quoi cette mer est-elle si importante ? Ce genre de répétition n’est jamais anodin chez Marc. Le cadre géographique revêt donc un rôle particulier.
La parabole de la mer (4,1-3a)
Mc 4, 1 Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer de Galilée. Une foule très nombreuse se rassembla auprès de lui, si bien qu’il monta dans une barque où il s’assit. Il était sur la mer, et toute la foule était près de la mer, sur le rivage. 2 Il leur enseignait beaucoup de choses en paraboles, et dans son enseignement il leur disait : 3a « Écoutez !...
Au bord de la mer
Jésus, à la vue de la foule, doit se déplacer en mer et laisser son auditoire sur le bord, à terre. Or, dans la parabole qui suit, il sera justement question de terre et de bord du chemin. Jésus, depuis sa barque, jette sa parole à cette foule innombrable. La mer jouera également un rôle important et éclairant à la fin de ce chapitre avec le récit de la tempête apaisée (4,35-40). En ce Ier siècle, ces eaux, par leurs abysses et leurs soudaines tempêtes, représentent le danger et la mort, la fragilité de la vie des hommes. En plaçant Jésus sur la mer face à la foule du rivage, Marc esquisse déjà la figure du Ressuscité de Pâques, victorieux de la mort, et semeur de Vie. Mais n’anticipons pas.
Cette distance entre Jésus et la foule n’est pas sans rappeler également celle mentionnée par le Deutéronome entre Dieu et son peuple. En réponse à la crainte du peuple, Dieu demandait à Moïse de monter seul vers Lui et de rapporter par la suite ses paroles au peuple resté au bas de la montagne. Mais toi, tu te tiendras ici auprès de moi, je te dirai tous les commandements, les lois et les coutumes que tu leur enseigneras et qu’ils mettront en pratique dans le pays que je leur donne en possession (Dt 5,31). La distance met en relief l’autorité divine de Jésus. Écoute Israël ! (Dt 6,4 Shema Israël) ainsi commençaient les paroles de Moïse à son peuple. Jésus reprend ce même impératif : Écoutez ! Il s’adresse à la foule de la même manière que Moïse enseignant les lois du Seigneur à son peuple. L’ensemble du cadre, préparant au discours en paraboles, vient authentifier l’autorité divine de Jésus et de son enseignement – un terme répété trois fois. Marc décrit Jésus assis : peu pratique pour parler à une foule éloignée, mais cette position rappelle celle d’un maître enseignant ses disciples. Une invitation à écouter (lire) et accueillir ses paraboles (4,1-34) comme un enseignement divin.
Paraboles semées pour le Royaume
Marc laisse la parole à Jésus. Là encore, l’évangéliste n’a pas placé ce discours au hasard. À la suite du rassemblement au bord de la mer et à la maison, Jésus avait redéfini l’avènement du règne de Dieu en termes de lutte contre le mal, de fraternité et de conversion à la volonté de Dieu. Mais au fond qu’est-ce que cela signifie ? Le mode d’expression choisi, la parabole, va permettre ainsi de raconter l’indicible, d’éclairer les consciences pour amener à une conversion. Nous le verrons à l’occasion des prochains chapitres. Le discours de Jésus sera composé de cinq paraboles. La première (4,3-20) raconte l’histoire d’un semeur, les deux suivantes s’appuient sur un thème plus domestique : la lampe (4,21-23) et la mesure (4,24-25). Enfin, les deux dernières mentionnent explicitement le royaume de Dieu à partir de paraboles reprenant des images agraires : celles de la moisson (4,26-29) et de la semence du sénevé (4,30-32).
Avec ces cinq paraboles, trois thèmes se dessinent et s’interpellent. La proclamation de la Parole (telle une semence jetée en terre), la révélation d’un mystère (une lampe) et l’avènement du règne de Dieu (comparé à une moisson et à une graine de sénevé). Ces cinq paraboles forment une unité qui révèle tout le mystère de l’Évangile : depuis Jésus semant sa parole jusqu’à l’avènement du règne, en passant par la révélation d’un mystère et son accueil. Mystère qui – nous le verrons – renvoie à celui de la croix. L’unité est également construite par les termes de don, de réception, d’écoute. Faire la volonté de Dieu (3,35) n’est pas ici décrit comme une obéissance servile à des règles, à des préceptes de la Loi de Moïse, mais en termes d’accueil et d’adhésion libre à une Parole.
Une seule parabole
Les cinq paraboles de Jésus décrivent donc un mouvement depuis les semailles jusqu’à la maturité et la moisson, et cela au niveau de chacune des paraboles agraires. On retrouve ce même mouvement pour l’ensemble des cinq paraboles : celle du semeur insistant sur les semailles (4,3-20), les deux dernières sur la moisson (4,26-34). Entre les semailles et les récoltes, il y donc ce temps d’attente (et de maturation) à la maison que suggèrent les paraboles de la lampe et de la mesure (4,21-26). Comme s’il y avait un temps de semailles pour le règne avant son avènement définitif. Jésus, ce semeur de paraboles, fait percevoir à ses disciples l’avènement d’un règne qui croît de manière grandiose et porte du fruit de façon impensable et gracieuse. Mais entre ce semeur et sa récolte, il y a un mystère qui doit être révélé et compris comme le montreront l’aparté aux Douze (4,10-12) et les paraboles domestiques (4,21-25).
La parabole du semeur donne déjà beaucoup d’éléments de compréhension. Sa première section décrit la parole de Jésus à la foule au bord de la mer de Galilée. Cette évocation rappelle le rassemblement de la multitude au même endroit et dans les mêmes conditions (3,7,-12). Jésus est bien ce semeur généreux. Puis s’ensuit une parole aux Douze, en aparté, qui nous rappelle leur instauration sur la montagne (3,13-19) et qui nous préparera aussi à entendre les paraboles de la lampe et de la mesure (4,21-25). Enfin, Jésus explique sa parabole de manière allégorique en insistant sur l’accueil de la Parole de Dieu, rappelant ainsi la thématique de l’accueil du règne (3,26-34). (voir schéma ci-dessous).
Tout est lié : le semeur, le moissonneur, les graines et les oiseaux du ciel. Tout est lié : le ministère de Jésus, ceux qui l’écoutent et le règne de son Père qu’il veut nous révéler. Tout est lié pour la moisson. Tout est lié pour nous élever depuis le profond de la bonne terre (4,3) jusqu’au ciel lumineux (4,32). Unique parole d’un semeur venu afin que nous trouvions refuge à l’ombre de ses branches, sur les rives d’une mer apaisée.