parallèles : Mt 22,23-33 | Lc 20,27-38
Après le groupe des pharisiens et hérodiens, se présente maintenant celui des sadducéens. Parti religieux, les sadducéens regroupent, pour l’essentiel, des familles sacerdotales. Il n’est donc pas étonnant de les rencontrer dans ce Temple dont ils ont la charge.
Les sadducéens et la Loi (12,18-19)
Mc 12, 18 Des sadducéens – ceux qui affirment qu’il n’y a pas de résurrection – viennent trouver Jésus. Ils l’interrogeaient : 19 « Maître, Moïse nous a prescrit : Si un homme a un frère qui meurt en laissant une femme, mais aucun enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance à son frère.
La croyance en la résurrection
Pour la première fois est soulevée, de manière formelle, la croyance en la résurrection. Mais que vient faire cette réflexion particulière, ici et à ce moment ? Rien dans le contexte ne nous préparait à une telle question. Jusqu’ici le récit de Marc n’a fait allusion à une résurrection qu’à propos de celle de Jésus1. Un autre point surprenant est la mention de la loi léviratique qui oblige un homme à susciter une descendance pour son frère, mort sans enfant, en s’unissant à sa veuve2 (Dt 25,5-10).
La résurrection des morts est ici liée à l’autorité de la Loi. Les sadducéens fondent leur théologie sur la Torah seule – alors que les pharisiens intègrent à leur foi les livres prophétiques, d’autres écrits et leurs propres traditions. Or, dans la Torah – confiée à Moïse par Dieu – il n’est pas question de résurrection des morts. Les sadducéens en nient donc l’existence à l’inverse des pharisiens qui s’appuyaient sur des textes comme Isaïe3, Ézéchiel4 ou les livres des Martyrs d’Israël5.
En faisant appel à l’autorité de la Loi de Moïse, les sadducéens veulent remettre en cause la compétence du maître concernant le domaine discuté de la résurrection des morts. S’il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, y a-t-il à espérer de lui une résurrection ? de quelle manière ?
La résurrection de la femme aux sept ‘maris’ (12,20-23)
12, 20 Il y avait sept frères ; le premier se maria, et mourut sans laisser de descendance. 21 Le deuxième épousa la veuve, et mourut sans laisser de descendance. Le troisième pareillement. 22 Et aucun des sept ne laissa de descendance. Et en dernier, après eux tous, la femme mourut aussi. 23 À la résurrection, quand ils ressusciteront, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Un désordre annoncé ?
Nous sommes en présence d’une véritable casuistique. Le cas est particulièrement exagéré mais veut justement montrer le ridicule d’une croyance en la résurrection des morts. Car, pour les sadducéens, Moïse n’aurait pas rapporté une telle loi divine sur le lévirat pour qu’à la résurrection règne un tel désordre dans les relations humaines. Pour le dire autrement, la Loi de Moïse vient contredire la croyance d’une résurrection des morts.
Les sadducéens ne s’attaquent pas seulement à la foi des pharisiens en un salut éternel pour les justes, mais à une conception de la résurrection des morts similaire à un retour à la vie lors du jour dernier. Une fois encore, Jésus est obligé de choisir son camp : celui des sadducéens qui contestent toute idée d’immortalité humaine, celui des pharisiens qu’il vient de contredire précédemment ou celui de la croyance populaire. En filigrane, le récit renvoie également aux annonces de la Résurrection de Jésus lui-même. Comme précédemment, Jésus ne fera pas appel aux préceptes de la Loi de manière casuistique. Sa démonstration sera plus fondamentale.
La puissance créatrice de Dieu (12,24-27)
12, 24 Jésus leur dit : « N’êtes-vous pas en train de vous égarer, en méconnaissant les Écritures et la puissance de Dieu ? 25 Lorsqu’on ressuscite d’entre les morts, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans les cieux. 26 Et sur le fait que les morts ressuscitent, n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse, au récit du buisson ardent, comment Dieu lui a dit : Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? 27 Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Vous vous égarez complètement. »
Des relations renouvelées
La réponse de Jésus remet en cause la compétence même des sadducéens qui ne prennent pas en considération toute l’Écriture et oublient l’agir créateur de Dieu. Ce dernier point permet de penser la résurrection non comme une continuité mais comme une recréation. Il n’est plus possible de la concevoir comme une simple réanimation même dans un au-delà. À la résurrection, les relations elles-mêmes sont recréées dans un attachement privilégié avec le Créateur, à l’image des anges auxquels les sadducéens ne croient pas non plus. Tout est recréé dans la véritable puissance de Dieu : donner et redonner vie.
Jésus n’explique pas le comment d’une résurrection, il renvoie au pourquoi. Ainsi, toutes les conceptions de la résurrection sont bouleversées. Depuis l’incroyance des sadducéens jusqu’à la croyance populaire. Tout est à revoir. Mais tout n’est pas nouveau.
Dieu des vivants dès l’origine
Car Jésus en appel à Moïse, la référence des sadducéens. Ainsi, il leur prouve sa maîtrise des livres de Moïse6. Jésus ne regarde pas la résurrection comme une question tournée uniquement vers la fin. En prenant appui sur le récit du buisson, Jésus pointe l’origine, celle de la révélation de Dieu à Moïse (Ex 3). La Torah présente déjà ce dessein de Dieu en faveur d’une résurrection. Il se donne à voir et à entendre comme étant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Certes, aux yeux de tous, ils sont morts avant Moïse. Mais, selon Jésus, en se réclamant de ces patriarches, le Seigneur se manifeste comme Dieu porteur d’une promesse de Vie. Il ne saurait être un Dieu des morts.
Contre les maris défunts sans descendance, Jésus offre la triple figure des patriarches : Abraham, Isaac, Jacob. Il rappelle combien, dans le récit de la Genèse, la puissance de Dieu donne vie malgré la conception des hommes. À Dieu tout est possible (10,27). Ainsi, n’a-t-il pas donné à Abraham et Sara âgés une terre et une descendance (Gn 21), des jumeaux à Rebecca, épouse stérile d’Isaac (Gn 25,21), et un retour en grâce au paria Jacob (Gn 27-28), père des douze tribus d’Israël ? Ces trois patriarches montrent combien Dieu donne vie au-delà de l’entendement humain. Moïse lui-même n’est-il pas le témoin de l’œuvre de Dieu, faisant sortir son peuple de la servitude égyptienne et le sauvant d’une mort certaine (Ex 14) ? La résurrection ouvre les vivants à la vraie postérité, qui ne se réduit pas à un au-delà.
Ainsi, Jésus offre une autre compréhension de la résurrection qui ne s’intéresse pas au comment. Sa réponse sur la résurrection des morts met en avant les vivants depuis l’origine. Ainsi, elle n’est plus déterminée en termes de fin, de lieu et de liens maritaux pour les uns ou les autres. Elle devient le dessein même de Dieu pour tout son peuple, au sein d’une Alliance éternelle déjà conclue avec Abraham et Moïse. Elle est puissance créatrice et salvatrice de Dieu, pourvoyeur de vie, qui n’abandonne pas sa création à la dégradation, à l’esclavage, ni à la mort. Le Christ redéfinit la compréhension de la résurrection, non seulement en cet endroit, mais depuis son origine jusqu’à la croix et au matin de Pâques.
- Si l’on excepte le retour à la vie de fille de Jaïre (5,42) et l’idée d’Hérode que Jésus fut le baptiste ressuscité (6,16). ↩︎
- Du latin, levir, beau-frère. La loi visait à protéger la pérennité d’une famille. Le nom du défunt, sans héritier, ne serait pas perdu et ses biens ne se seraient pas dispersés et resteraient dans le clan familial. ↩︎
- Is 26,19 Que tes morts revivent ! Que mes cadavres se relèvent ! ↩︎
- Éz 37,9 Tu diras à l’esprit : ainsi parle le Seigneur Dieu. Viens des quatre vents, esprit, souffle sur ces morts, et qu’ils vivent. ↩︎
- 2M 7,9 …le roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle, nous qui mourons pour ses lois. ↩︎
- Le livre de Moïse désigne ici les cinq rouleaux de la Torah, comprenant Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. ↩︎