Parallèles en fonction des péricopes
Dim. des Rameaux (B) 14,1-15,47
« Tous vous chuterez » (14,24) avait annoncé Jésus à ses disciples et apôtres lors du passage précédent. La scène de l’arrestation vient, déjà, illustrer cet abandon de Jésus par les siens.
Le baiser faux de Judas (14,43-44)
Parallèles : Mt 26,47-56 | Lc 22,47-53 | Jn 18,1-12
Mc 14, 43 Jésus parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva et avec lui une foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens. 44 Or, celui qui le livrait leur avait donné un signe convenu : « Celui que j’embrasserai, c’est lui : arrêtez-le, et emmenez-le sous bonne garde. »
Judas l’un des Douze
S’il est encore cité comme l’un des Douze, Judas en est totalement désolidarisé. Il vient depuis l’extérieur avec une foule armée. Il n’est plus l’Iscariote1, comme précédemment nommé (3,19 ; 14,10) mais l’homme et l’apôtre des commanditaires : grands prêtres, scribes et anciens. Tout est bouleversé en cette nuit et en ce jardin de Gethsémani.
Judas, l’apôtre choisi, trahit son maître. Une foule armée est située du côté des notables du sanhédrin2. La violence entre en scène : glaives, bâtons, et bientôt capture, mutilation, humiliation et crucifixion. L’hypocrisie est à son comble : le baiser, signe habituel d’amitié et de respect, devient le signal de la trahison et de la livraison. Et plus qu’un signal. En embrassant Jésus, Judas se fait physiquement proche de celui qu’il ose appeler rabbi mais pour le trahir. Il détourne ce titre qui exprime un véritable lien de proximité entre un rabbi-maître et son disciple, titre dont Pierre seul usait3. Judas est présenté, chez Marc, comme l’acteur principal de l’arrestation de Jésus, comme le maître de la trahison, enseignant à la foule armée le moyen de trahir, de capturer, de livrer celui qu’il aurait dû aimer et embrasser en vérité. C’est un proche disciple de Jésus qui se trouve être l’ennemi de l’Évangile.
L’arrestation (14,45-49)
Parallèles : Mt 26,47-56 | Lc 22,47-53 | Jn 18,1-12
14, 45 À peine arrivé, Judas, s’approchant de Jésus, lui dit : « Rabbi ! » Et il l’embrassa. 46 Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent. 47 Or un de ceux qui étaient là tira son épée, frappa le serviteur du grand prêtre et lui trancha l’oreille. 48 Alors Jésus leur déclara : « Suis-je donc un bandit, pour que vous soyez venus vous saisir de moi, avec des épées et des bâtons ? 49 Chaque jour, j’étais auprès de vous dans le Temple en train d’enseigner, et vous ne m’avez pas arrêté. Mais c’est pour que les Écritures s’accomplissent. »
Oreille et Écritures
La scène de l’arrestation est particulière à chaque évangile, notamment en ce qui concerne l’épisode de l’oreille tranchée. Marc reste le plus évasif sur l’identité de l’homme : un de ceux qui étaient là4 et ne rend compte d’aucune réaction de Jésus. Cette absence de précision donne à ce passage une portée parabolique et les interprétations peuvent diverger sans pour autant s’opposer.
Avec l’arrivée de Judas et sa troupe entrent non seulement le mensonge mais ses conséquences : la violence et la confusion, y compris dans le camp des disciples. Le mal est à l’œuvre, comme il le fut, après le mensonge du traître serpent (Gn 3,1) et au meurtre d’Abel (Gn 4,8). La réaction de Jésus rappelant son enseignement au Temple (11,15-18; 11,27-33; 12,1-44) nous renvoie à la parabole des vignerons homicides, ainsi qu’au double commandement de l’amour de Dieu et du prochain. L’absence de réaction de Jésus face à la violence a ainsi déjà eu son interprétation au Temple et sa réponse au Mal se révélera plus encore à la croix.
Les adversaires
Cependant, le récit de Marc insiste davantage sur l’identité du blessé que du coupable : le serviteur du Grand Prêtre. À travers cet anonyme5, c’est la compétence du Grand Prêtre qui est visée. Le geste symbolique vient, avec la blessure de l’oreille, atteindre le corps sacerdotal. La Loi de Moïse interdit l’exercice du culte à tout homme porteur d’une infirmité : Nul homme de la race du prêtre Aaron qui aura une difformité corporelle ne s’approchera pour offrir au Seigneur les sacrifices (Lv 21,21). Le geste voudrait ainsi, de manière symbolique, rendre compte de l’incompétence du Grand Prêtre et de ses acolytes, jusque dans le procès qui va suivre : leur autorité, comme leurs oreilles, est impropre à juger le Christ. Le procès est déjà faussé.
Jésus s’adresse à ses adversaires qui, avec Judas, représentent les notables du sanhédrin. À l’autorité du Temple, Jésus oppose l’autorité de son enseignement et des Écritures. Aucune citation explicite nous est donnée à propos de ces dernières. Déjà, par deux fois, Jésus avait mentionné l’accomplissement des Écritures au sujet du sort du Fils de l’homme trahi (14,21) et de l’abandon de ses disciples (14,27). Nous verrons également que les allusions à l’Écriture, cette fois plus explicites, ne manqueront pas lors du procès et de la crucifixion. Ce faisant, Jésus place sa Passion sous l’autorité de Dieu et son dessein que la Passion ne contredit pas. Elle n’est pas l’échec de Dieu face au mal, elle révélera le Salut de Dieu, Père, y compris au cœur du mal et de l’injustice des hommes.
Le jeune homme nu (14,50-52)
14, 50 Les disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent tous. 51 Or, un jeune homme suivait Jésus ; il n’avait pour tout vêtement qu’un drap. On essaya de l’arrêter. 52 Mais lui, lâchant le drap, s’enfuit tout nu.
Abandon et nudité
Ceux qui affirmaient avec force, il y a encore quelques heures, vouloir suivre Jésus jusqu’au bout, renoncent. Tous l’abandonnent. Tous déguerpissent. Jésus est désormais seul face à ses opposants. Ses disciples n’ont pas eu la force de veiller, de rester, de le suivre. Marc nous livre une scène énigmatique qui lui est propre. Après l’homme au glaive, un jeune homme au drap entre en scène. Certains ont voulu y voir Marc en personne, d’autres Bartimée, … mais il demeurera anonyme. Sans doute sera-t-il encore évoqué lors de l’épisode du tombeau vide où un même jeune homme, vêtu de blanc, apparaît aux femmes (16,5). Son vêtement, le drap, sera aussi rappelé lors de l’achat du suaire6 pour le corps de Jésus (15,46). La figure du jeune homme encadre donc la crucifixion.
Peut-être pourrait-il figurer la jeune communauté chrétienne de Marc. Celle-ci, marquée par les reniements et les délations lors des persécutions de Néron, doit s’appuyer sur la Passion de son Seigneur pour renaître, revenir réconciliée et proclamer sa Résurrection et son salut. Ou bien, cet anonymat renvoie-t-il à tout disciple qui, face à la Passion, peut se sentir démuni et nu devant la croix ?
Seul, bien seul, et pourtant lui seulement, le Christ est capable de vaincre l’injustice et la mort. Ainsi, ce jeune homme nu tel Adam (Gn 2,25) doit fuir ce lieu où le Mal agit, pour mieux revenir, lumineux, après la victoire du Christ, au tombeau vide (16,5).
- Iscariote : la signification de ce nom est discutée. Ish-Qeryoth signifierait l’homme de Qyrioth, peut-être ce village cité en Jos 15,16 ? D’autres interprétations font le parallèle avec le terme de sicaires (résistants juifs de la seconde moitié du Ier s.) ou avec l’araméen isqarya, l’homme du mensonge. ↩︎
- Les grands prêtres, scribes et anciens craignaient d’arrêter Jésus à cause de la foule : 11,18; 11,32; 12,12. ↩︎
- Dans l’évangile de Marc, ce titre de Rabbi n’apparaît que trois fois. En dehors de ce passage, il est mis dans la bouche de Pierre lors de Transfiguration (9,5) et à la vue du figuier desséché (11,21). ↩︎
- Dans la version de Matthieu (26,47-56), assez proche de Marc, c’est un de ceux qui entouraient Jésus qui frappe le serviteur. À la suite de cela, Jésus réagit contre ce geste. De même pour Luc (22,47-54) c’est aussi un de ceux qui entouraient Jésus qui tranche l’oreille droite – précise-t-il. En plus de sa réaction, Jésus guérit l’homme blessé. Chez Jean (18,1-12), c’est Simon-Pierre qui blesse le serviteur du Grand Prêtre, nommé Malchus. ↩︎
- Dans l’évangile de Jean, le serviteur porte le nom de Malchus (Jn 18,10). Dans les synoptiques, il reste anonyme. ↩︎
- Le terme grec sindôn (σινδών) désigne un fin linge de coton. Ce mot est utilisé ici et lors de la descente de la croix où il désigne le suaire acheté pour le corps de Jésus (15,46). ↩︎