Parallèles selon les péricopes
Dim. des Rameaux (B) 14,1-15,47
Abandonné de ses disciples, humilié par les soldats, raillé par les tous les autres, Jésus, crucifié, s’adresse à Dieu, en un cri tel un appel.
Le cri de Jésus (15,33-37)
Parallèles : Mt 27,45-54 | Lc 23,44-49 | Jn 19,28-37
Mc 15,33 Quand arriva la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. 34 Et à la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : « Éloï, Éloï, lema sabactani ? », ce qui se traduit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » 35 L’ayant entendu, quelques-uns de ceux qui étaient là disaient : « Voilà qu’il appelle le prophète Élie ! » 36 L’un d’eux courut tremper une éponge dans une boisson vinaigrée, il la mit au bout d’un roseau, et il lui donnait à boire, en disant : « Attendez ! Nous verrons bien si Élie vient le descendre de là ! » 37 Mais Jésus, poussant un grand cri, expira.
Silence de Dieu et cri du Fils
Nous pouvons – et tel est probablement le dessein de Marc – nous étonner de l’inaction, voire de l’abandon, de Dieu en ce moment dramatique que suggérerait le cri de Jésus : Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? … du moins au premier abord. Car inaction ne signifie pas absence. Les ténèbres et plus loin le déchirement du voile du Sanctuaire témoignent de la présence du Seigneur. Le cri de Jésus, reprenant le psaume 22(21), relève de la prière, d’un dialogue entre Jésus et le Père. Il exprime le surprenant manque, non pas de Dieu, mais de son intervention. Les passants, les scribes et les grands prêtres attendent un miracle qui prouverait et la puissance de Dieu et la messianité de Jésus. Pourquoi n’agit-il pas ? Or, Dieu ne se dévoile pas pour imposer sa volonté et sa présence tel un tyran ou un puissant de ce monde. Il est bien justement le Tout-Autre, Celui qui se donne à rencontrer jusque sur la croix du Fils et se laisse entendre dans ce silence ténu (1R 19,12).
N’est-ce pas justement là que s’accomplit la parole du prophète Amos qui proclamait : Il arrivera en ce jour-là, – oracle du Seigneur Dieu – que je ferai coucher le soleil en plein midi, et j’envelopperai la terre de ténèbres en un jour serein. Je changerai vos fêtes en deuil, et tous vos chants de joie en lamentations ; je mettrai le sac sur tous les reins, et je rendrai chauve toute tête ; je mettrai le pays comme en un deuil de fils unique, et sa fin sera comme un jour amer. Voici que des jours viennent, – oracle du Seigneur Dieu – où j’enverrai une faim sur la terre, non une faim de pain, et non une soif d’eau, mais d’entendre les paroles du Seigneur (Am 8,9-11) ?
Et en ce jour amer, en ce deuil du Fils unique, se laisse entendre la faim d’une parole du Seigneur. Ce dernier cri qui rejoint celui de l’aube de l’Évangile : dans ce désert et cet abandon, une voix crie (1,2-3). La parole du Seigneur est ce Fils sur la croix, il est lui-même la réponse à ce Pourquoi lancé dans ce cri.
Élie et l’amour du Père
Comme un dernier outrage, une dernière moquerie, les spectateurs ricanent de ce cri et méprisent le crucifié. Ils sont ceux qui ne voient pas et qui n’entendent pas (4,12). Sur la croix, ils ne voient ni le Christ, ni le Fils, et leurs oreilles confondent la prière de Jésus, sa soif de Dieu, avec une demande d’intervention d’Élie. Ainsi s’accomplit la parole du psaume 69,22 dans ma soif, ils m’abreuvent de vinaigre. S’ils se moquent, l’évocation du prophète Élie rappelle pourtant, avec vérité, que ce jour de crucifixion est aussi le jour du Seigneur annoncé (Mc 9,11, Ml 3,3). Présent avec Moïse, lors de Transfiguration, Élie nous renvoie à la parole de Dieu : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le. Ainsi, en citant Élie, les spectateurs, malgré eux, désignent dans le crucifié l’accomplissement même de la Parole de Dieu. Le Christ glorieux de la montagne est aussi ce Jésus aujourd’hui crucifié du Golgotha qui inaugure le règne du Père, non dans un jour de colère, de vengeance et de terrible jugement, mais dans un don de soi pour le salut de tous.
La mort de Jésus
Mais Jésus, poussant, un grand cri expira. Y compris dans la mort de Jésus, Marc met en avant le dernier cri. Il ne développe pas l’agonie du Christ, de même qu’il n’avait pas insisté sur les souffrances ou les instruments du crucifiement. Marc et sa communauté chrétienne sont hélas bien au fait de la cruauté d’un tel supplice. Mais il veut insister sur la condition de serviteur du Père et de fils bien-aimé, son humilité et sa fidélité vécues jusque dans l’humiliation de la croix. Le récit de la Passion est paradoxalement moins focalisé sur Jésus que sur son entourage, depuis Pierre jusqu’aux autres crucifiés en passant par les grands prêtres, les scribes, Pilate et ses soldats, Barabbas, Simon de Cyrène, et bientôt le centurion, Joseph d’Arimathée et les femmes de Galilée. Si Jésus nous laisse avec son cri et son pourquoi, le sens de sa mort est donné à la lecture croyante qui, à travers les attitudes des acteurs de la Passion, doit faire face à la croix non comme un lieu de savoir imposé, mais comme un lieu de rencontre offert à tous, y compris à un centurion romain.
Vraiment Fils de Dieu (15,38-41)
Parallèles : Mt 27,45-54 | Lc 23,44-49 | Jn 19,28-37
15, 38 Le rideau du Sanctuaire se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas. 39 Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » 40 Il y avait aussi des femmes, qui observaient de loin, et parmi elles, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, 41 qui suivaient Jésus et le servaient quand il était en Galilée, et encore beaucoup d’autres, qui étaient montées avec lui à Jérusalem.
Le voile déchiré
Le voile du Sanctuaire1 est maintenant déchiré. L’action divine, suggérée par l’usage du passif – le voile fut déchiré – ne se manifeste pas dans un acte grandiose, ni par la destruction du sanctuaire. Seul le voile est déchiré à l’abri des regards. Marc unit le Sanctuaire à la croix et à la mort du Fils. En Jésus, le Seigneur se dé-voile pleinement. Tel un nouveau Sanctuaire, il se donne à contempler à tous et c’est un centurion romain qui, le premier, pénètre dans ce mystère de la foi. Faisant face à Jésus crucifié, le voyant ainsi mourir dans ce cri, il le proclame vraiment Fils de Dieu. Le roi moqué, outragé, est maintenant divinement confessé. L’expression imparfaite dans la bouche des hommes possédés d’hier (3,11) peut prendre maintenant tout son sens, en vérité, sur la croix.
Avec la mort de Jésus, déjà un autre mouvement jaillit de la crucifixion. Aux trahisons, aux reniements, aux abandons, aux moqueries, succèdent maintenant les prémices d’une vague de foi. La croix devient semence d’un rassemblement de nouveaux disciples. Tourné vers Jésus crucifié, dans ce germe de foi, le centurion est rejoint, de manière narrative, par ces femmes, présentes de loin mais qui ont suivi Jésus depuis son ministère en Galilée jusqu’à sa Passion à Jérusalem. Un païen, des femmes, bientôt Joseph d’Arimathée et bientôt beaucoup d’autres.
La mise au tombeau (15,42-47)
Parallèles : Mt 27,55-61 | Lc 23,50-56 | Jn 19,38-42
15, 42 Déjà il se faisait tard ; or, comme c’était le jour de la Préparation, qui précède le sabbat, 43 Joseph d’Arimathie intervint. C’était un homme influent, membre du Conseil, et il attendait lui aussi le règne de Dieu. Il eut l’audace d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus. 44 Pilate s’étonna qu’il soit déjà mort ; il fit appeler le centurion, et l’interrogea pour savoir si Jésus était mort depuis longtemps. 45 Sur le rapport du centurion, il permit à Joseph de prendre le corps. 46 Alors Joseph acheta un linceul, il descendit Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans un tombeau qui était creusé dans le roc. Puis il roula une pierre contre l’entrée du tombeau. 47 Or, Marie Madeleine et Marie, mère de José, observaient l’endroit où on l’avait mis.
Joseph d’Arimathée
La mention des femmes, avec notamment Marie de Magdala, encadre le récit de la descente de la croix. Cet épisode insiste sur la réalité de la mort de Jésus. Joseph demande le corps, Pilate s’informe de sa mort et accorde le cadavre qui sera couvert d’un linceul et mis au tombeau. La pierre est roulée. Jésus est bel et bien mort. L’histoire pourrait être une fin si Jésus n’avait évoqué sa Résurrection, par trois fois annoncée. La pierre rejetée par les bâtisseurs – non celle du tombeau – s’apprête à devenir la pierre d’angle (12,10).
Un personnage nouveau fait son apparition : Joseph d’Arimathée2. Il est décrit comme un membre considéré du conseil, statut qui suggère son appartenance au sanhédrin qui a pourtant, unanime, condamné Jésus. Il est de ceux qui attendent le règne de Dieu. L’expression est vague et pourrait simplement désigner l’espérance en un rétablissement du royaume politique d’Israël. Il pourrait être un juif pieux, désireux d’obéir à la Loi en cette veille du sabbat et de descendre le corps avant la tombée de la nuit (Dt 21,22-233). Mais dans ce contexte, cette allusion au règne de Dieu donne à son action un tout autre éclairage.
Honorer ce corps
La manière dont il semble vouloir honorer le corps de Jésus est singulière : il ose se rendre chez Pilate, achète pour le corps un linceul neuf et lui offre une digne sépulture. Il est l’unique acteur de la mise au tombeau et prend ainsi soin du corps de Jésus comme si ce dernier aurait pu, déjà, combler son attente d’un règne de Dieu. La présence du centurion4 rappelle, à ce propos, l’étonnante conversion devenue possible face à la croix du Christ. Ce jour de ténèbres et de jugement n’est pas le jour de colère de Dieu envers ceux qui ont condamné et crucifié son fils. Ce jour est celui de la conversion et du pardon de Dieu pour qui s’ouvre à la foi dans la contemplation et l’accueil du Fils de Dieu, jusque sur cette croix. Aucun n’est exclu de cette grâce donnée à voir, pas même Joseph d’Arimathée, membre du sanhédrin, pas même le centurion du crucifiement, pas même ces femmes qui regardent où l’on dépose le corps de Jésus.
La nuit va tomber sur ce jour du sabbat, jour célébrant le septième jour de la Création que Dieu bénit et sanctifia, parce qu’en ce jour-là il chôma de toute l’œuvre qu’il avait créée en la faisant (Gn 2,3 / Ex 20,10-11). Ce septième jour célèbre aussi le Salut offert par le Seigneur : Mais le septième jour est un sabbat consacré au Seigneur, ton Dieu…Tu te souviendras que tu as été esclave au pays d’Égypte, et que le Seigneur, ton Dieu, t’en a fait sortir d’une main forte et d’un bras étendu : c’est pourquoi le Seigneur, ton Dieu, t’a ordonné d’observer le jour du sabbat (Dt 5,14-15). Une création nouvelle et une nouvelle délivrance attendent maintenant leur premier jour d’un matin de Pâque.
- En Exode 26,31 Dieu demande à Moïse de confectionner un voile pour le sanctuaire de la tente de la rencontre. Ce voile, présent dans le Temple de Jérusalem, sert de séparation entre le Saint et le Saint des Saints, espace sacré où demeurait l’arche d’Alliance – avant sa disparition – et où seul le Grand Prêtre entre une fois l’an, le jour de la fête des Expiations, jour du Grand Pardon. ↩︎
- Arimathée ou Arimathie est une localité sise à environ 30km au nord-est de Jérusalem (cf. carte). ↩︎
- Quand un homme, ayant commis un crime capital, aura été mis à mort, et que tu l’auras pendu à un bois, son cadavre ne passera pas la nuit sur le bois ; mais tu ne manqueras pas de l’enterrer le jour même, car un pendu est l’objet de la malédiction de Dieu, et tu ne souilleras pas ton pays, que le Seigneur, ton Dieu, te donne pour héritage (Dt 21,22-23). ↩︎
- Est-ce le même que celui qui se tenait au pied de la croix ? En reprenant le même terme le centurion l’évangéliste pourrait bien le suggérer. Historiquement nous ne pouvons rien affirmer, le personnage sert ici la stratégie narrative de Marc. ↩︎