Parallèles : Mt 28,1-8 | Lc 24,1-11 | Jn 20,1-2
Veillée Pascale (année B) – Mc 16, 1-7
Comparé aux autres récits de la résurrection, celui de Marc donne dans une grande sobriété. Cependant, il n’est pas sans nous surprendre : avec la présence d’un jeune homme dans le tombeau vide, la crainte des femmes et surtout l’absence de manifestation du Ressuscité.
Le premier jour de la semaine (16,1-4)
Mc 16, 1 Le sabbat terminé, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des parfums pour aller embaumer le corps de Jésus. 2 De grand matin, le premier jour de la semaine, elles se rendent au tombeau dès le lever du soleil. 3 Elles se disaient entre elles : « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » 4 Levant les yeux, elles s’aperçoivent qu’on a roulé la pierre, qui était pourtant très grande.
La fin du sabbat et le commencement
La fin du sabbat marque le commencement d’une nouvelle semaine après celle de Pâque et de la Passion (14,1 – 15,42). Pour la première fois depuis le ministère galiléen1, Marc emploie le terme de sabbat. Jésus, ce Fils de l’homme maître du sabbat (2,28), œuvrait, ce jour sacré, chassant l’esprit impur (1,21), sauvant un homme d’une main desséchée (3,2-4). Ainsi, la mention du sabbat permet déjà d’envisager une issue favorable après la mort de Jésus. Marc insiste sur ce commencement renouvelé en usant d’expressions comme : de grand matin, premier jour, soleil levé, contrastant avec l’épisode de la croix. En ce premier jour de la semaine, toute la création est déjà éveillée après le soir de la crucifixion (15,42) et la venue des ténèbres (15,33). La Vie pointe à l’horizon.
Trois femmes
Trois femmes2 viennent parfumer le corps de Jésus avec des aromates. Ce sont les trois mêmes qui contemplaient, de loin, la mort de Jésus : Marie de Magdala, Marie mère de Jacques (et José) et Salomé (15,40). Les témoins du crucifié seront aussi les témoins du tombeau vide. L’objet de la venue de ces femmes rappelle également l’épisode de l’onction à Béthanie (14,3-9) où une femme anonyme parfuma Jésus en vue de son ensevelissement, épisode qui ouvrait le récit de la Passion. Par ces rappels, la croix devient le passage incontournable pour comprendre ce premier jour de la semaine qu’est celui de la Résurrection. La nouveauté de celle-ci n’efface pas la croix, au contraire, la croix éclaire le tombeau vide.
Une pierre et des aromates
Si l’embaumement a déjà eu lieu à Béthanie du vivant de Jésus, la venue des femmes paraît bien vaine. Pour quelles raisons se déplacent-elles ? Certes, au premier abord, nous pensons d’emblée au soin dû au défunt que le sabbat n’avait rendu possible. Cependant, la description de Marc peut nous surprendre : elles viennent ayant acheté des aromates pour, littéralement, enduire3 le corps de Jésus. Or, habituellement, une seule huile suffit pour la préparation d’un défunt. Les aromates font partie, dans la Bible, des biens précieux et sont souvent associés à l’or et à la royauté4. Marc fait en sorte que les femmes ne viennent pas seulement pour une toilette mortuaire : leur venue, avec ces biens précieux, achetés, vient honorer la Seigneurie du crucifié.
Qui nous roulera la pierre ?
À l’inverse, en cette heure très matinale, où l’on croise peu de monde dans les rues, leur déplacement paraît improvisé. Il est tôt et leur question arrive un peu tard : Qui nous roulera la pierre ? Celle-ci est si grande que ces trois femmes ne peuvent la déplacer seules. Qui le fera ? La réponse est suggérée par l’usage du passif. Comme pour le voile du sanctuaire, l’action de Dieu est à l’origine de ce déplacement. Dieu a ouvert le tombeau du crucifié et cette ouverture sans témoin, sans bruit, ni trompette, est aussi la marque de son amour pour son fils crucifié et maintenant délivré de son tombeau. Ainsi, ce premier jour rappelle ce troisième jour que Jésus par trois fois avait annoncé : ils le tueront et, trois jours après, il ressuscitera (8,31; 9,31; 10,34). Dieu n’a pas abandonné son fils à la mort. Mais pour le moment, les femmes n’en sont encore qu’à la découverte extérieure. Il leur faut entrer plus en avant dans le tombeau et dans le mystère du crucifié pour entendre une parole de Vie.
Le tombeau vide (16,5-7)
16, 5 En entrant dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. Elles furent saisies de frayeur. 6 Mais il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. 7 Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit.” »
Un jeune homme
Dans ce tombeau, le seul corps est celui d’un jeune homme vêtu de blanc, rappelant les habits glorieux du Christ lors de la Transfiguration. Il est assis à droite, place privilégiée qui lui accorde toute légitimité et autorité pour témoigner. Une telle indication n’est pas seulement de l’ordre du détail : le jeune homme manifeste ainsi que le siège promis (10,34) pour l’avènement du règne est maintenant occupé. Le crucifié a inauguré le règne de Dieu. Ce n’est plus tout à fait un tombeau. Le cadavre silencieux n’est plus et a laissé place à la vie, à la parole et à la nouveauté suggérées par la jeunesse du messager.
Ce dernier n’est pas sans rappeler cet autre (ou même) jeune homme lors de l’arrestation de Jésus (14,51-52). Ce sont les deux seules occurrences du mot jeune homme (neaniskos/νεανίσκος) dans l’évangile de Marc. Ce dernier à quitter, nu, Jésus au mont des Oliviers, devient dès lors le premier à témoigner, de blanc vêtu, de sa Résurrection. L’un et l’autre se confondent dans cette proximité perdue et retrouvée avec le Christ. Ce jeune homme du tombeau préfigure et symbolise tout disciple revêtu du vêtement blanc baptismal.
Renaître avec le Christ
Ainsi la Résurrection n’est pas de l’ordre d’un simple constat. Elle est renaissance d’une foi qui permet de poursuivre ce rassemblement déjà entrepris autour de la croix. Elle rassemble, réconcilie, ces disciples qui ont abandonné leur maître ou l’ont renié à l’image de Pierre, seule figure explicitement mentionnée. La parole de foi ne renvoie pas à l’ici du tombeau vide, mais au Crucifié-Ressuscité qui les attend en Galilée.
La parole du jeune homme ouvre un avenir à ce qui avait tout d’une fin. Il n’est pas ici. Le lieu où on l’a déposé est vide, signe de la victoire sur la mort. Le lieu de vie est maintenant ailleurs et le témoin du tombeau vide renvoie les femmes à trois lieux de rencontre : la Galilée, ses disciples avec Pierre et sa parole comme il vous l’a dit. Trois lieux qui n’en sont qu’un.
Marc nous incite à revivre son Évangile, éclairés maintenant à frais nouveau par la foi de la Croix et la parole du tombeau vide. Revenir en Galilée signifie reprendre la marche à ses côtés, en laissant les filets, en prenant sa croix à la suite de Celui qui inaugure le règne du Père. Les femmes qui ont contemplé la croix de leur Seigneur sont appelées à rejoindre les hommes qui ont déjà contemplé le Fils transfiguré de Gloire. Ce sont ces témoins de la Gloire et ces témoins de la Croix qui, ensemble, permettent de s’approcher au mieux du Seigneur et le suivre. Le retour en Galilée est une invitation à redevenir les compagnons de Pierre, des disciples, de Marie de Magdala et des femmes aux aromates pour être de ceux qu’Il rassemble, pour être un de ses frères, une de ses sœurs qui fait la volonté du Père. Jésus-Christ, Fils de Dieu, fait ainsi naître et renaître, et le disciple et l’Église.
Chez Marc, le Christ est absent de la scène du tombeau vide et ne se manifestera pas aux femmes. Car sa présence est en Galilée, c’est-à-dire, aussi, en nos Galilée. Jésus Fils de Dieu rejoint l’aujourd’hui de nos vies. Vainqueur de la mort, le Christ, invisible à nos yeux mais bien vivant, précède toujours et encore son Église. Le retour en Galilée n’est pas seulement un déplacement géographique. Le Christ appelle ses disciples à revenir au bord du Lac, à réentendre son appel, ses paroles et ses actes à la lumière de sa Passion et de sa Résurrection. Ce comme il vous l’a dit ne se réfère pas seulement à une parole (14,26-32) qui s’accomplit maintenant. Avec l’annonce du jeune homme au tombeau, toute Sa parole demeure à jamais une parole de vie. Vivre de Jésus Crucifié-Ressuscité revient à vivre de sa parole semée et de sa vie toujours donnée, et se laisser relever de nos faiblesses, de nos faillites et de nos reniements.
Ce surprenant effroi final (16,8)
16, 8 Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Une réaction particulière
Nous sommes ici en présence de la vraie finale de Marc, le dernier verset de son évangile. Les suivants (16,9-20) sont connus depuis les Pères de l’Église, tel saint Jérôme, pour être des additions – nous en reparlerons. D’anciens manuscrits témoignent eux-mêmes de cette fin abrupte. Ce passage (16,1-8) constitue donc la fin de l’Évangile – et ce dernier verset peut nous questionner.
Marc surprend, comme toujours. Contrairement aux autres évangiles, le Ressuscité est le grand absent : il n’apparaît pas. Contrairement à Matthieu (Mt 28,8), il n’y a pas de joie chez les femmes. Contrairement à Luc, il n’y a pas de rencontre avec le Christ sur le chemin (Lc 24,13-35). Ni comme en Jean, à la maison (Jn 20,19-23) ou au bord du Lac (Jn 21,1-14). Pas même d’Ascension glorieuse (Lc 24,50-53). La finale est sèche et pourrait paraître décourageante : fuite, peur, tremblement et surtout silence.
Certes, l’effroi dont il est ici question suggère plutôt cette crainte biblique que les croyants expriment face à Dieu5. Elle exprime l’importance de l’événement, l’action vivifiante de Dieu face à laquelle elles sont en présence et surtout leur foi en Celui-ci : Jésus ressuscité, Celui qu’elles ont suivi depuis la Galilée jusqu’à la Croix, est vraiment le Fils de Dieu.
L’étonnant silence
Mais que penser de leur silence : elles ne dirent rien à personne ? Celui-ci est plus symbolique que factuel. Il laisse place à la seule parole du jeune homme et à la parole de Jésus comme il vous l’a dit. La crainte ne désigne pas la peur de témoigner, mais rappelle la crainte des disciples lors de la tempête apaisée : Ils furent saisis d’une grande crainte, et ils se disaient entre eux : « Qui donc est-il, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » (4,41) ou de la marche de Jésus sur les eaux : Ils le virent tous et ils furent affolés. Mais lui aussitôt leur parla ; il leur dit : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » (6,50).
La foi en la Résurrection nécessite ce faire-mémoire, cette anamnèse, à partir de la croix. Tout relire, tout contempler dans un silence. Saisir la portée universellement salvifique de la venue du Christ est nécessaire pour que la parole devienne témoignage et que le témoin devienne disciple et serviteur du Christ. Il aurait été contradictoire pour Marc de décrire des femmes conquérantes et triomphantes, quand le cri de victoire est celui de la croix auquel nous sommes renvoyés. Si les femmes se taisent, c’est que, parmi les personnages de l’Évangile selon Marc, elles sont les seules à avoir fait le chemin depuis la Galilée jusqu’au Golgotha, chemin des disciples fidèles qui accueillent la semence de sa Parole jusqu’à l’ombre gracieuse de la Croix. Leur présence est déjà leur parole. Leur crainte dit déjà leur foi.
Dès lors, le silence des femmes ne signifie pas l’échec de leur mission, mais la naissance d’une foi appelée à mûrir, à se laisser former par la présence du Christ Crucifié-Ressuscité. Ce silence nous renvoie à la voix du commencement de l’évangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu (1,1). Silence laissant place à Sa voix, et à notre Espérance.
- Le terme sabbat est présent en 1,21 ; 2,23-28 ; 3,2-4 ; 6,1-6 et 15,42 avec le mot préparation du-sabbat (prodabbatôn/προσάββατον) ↩︎
- Les récits des évangiles sur la découverte du tombeau vide, diffèrent. Pour Marc, les femmes sont Marie de Magdala, Marie mère de Jacques (et de José) et Salomé (15,40, 16,2), et découvrent un jeune homme vêtu de blanc assis à droite dans le tombeau. Pour Matthieu, il n’y a que deux femmes qui se rendent au tombeau : Marie de Magdala et l’autre Marie, pour y découvrir l’ange du Seigneur assis sur la pierre roulée (Mt 28,1). Luc (Lc 24,10) cite Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Jeanne parmi d’autres femmes venues au tombeau à l’intérieur duquel se manifestent deux hommes aux vêtements éblouissants. Quant à Jean (Jn 20,11), il privilégie la personne de Marie de Magdala qui, seule, aperçoit deux anges assis à l’endroit où était déposé le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre au pied. ↩︎
- Marc utilise le verbe aleiphô /ἀλείφω signifiant oindre, enduire un corps, notamment pour le soin. Le même verbe était utilisé en 6,13 pour parler de l’onction des malades par les apôtres. ↩︎
- En 2R 20,3 le roi Ézéchias est fier de montrer ces richesses dont son or et ses aromates à des ambassadeurs étrangers. La reine de Saba (2Ch 9) offre au roi Salomon, avec l’or et les pierres précieuses, des aromates incomparables. Sur un lit d’aromates le roi Asa sera inhumé (2Ch 16,14) ; et c’est avec des aromates que la reine Esther se parfume. Dans le livre du Cantique des Cantiques, les amants sont souvent comparés aux plus précieuses des aromates (Ct 1,3 ; 4,10 …) ↩︎
- Dans la Bible, la crainte des croyants face à Dieu exprime leur respect mais aussi la peur d’être face à Dieu ayant pouvoir de vie et de mort. Ainsi Adam au jardin Gn 3,10 ; Jacob après le songe divin de Béthel Gn 28,17 ; les Hébreux après le passage de la mer Ex 14,31 ; etc. ↩︎