Dimanche, 20ème Semaine du Temps Ordinaire — Année B – Évangile selon saint Jean (6,51-58)
Vie et alliance jusque dans la chair
En ce temps-là, Jésus disait à la foule : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (6,51-52)
Précédemment, la prétention de Jésus, ce fils de Nazaréens, à se prendre pour le pain “descendu du ciel”, avait suscité bien des incompréhensions. Maintenant, le voilà déclarer qu’il donnera sa chair à manger… Une affirmation suscitant querelles et désaccords houleux. La chair[1. en grec σάρξ sarx, en hébreu בָּשָׂר basar] dans le langage biblique s’entend pour parler, non de la ‘viande’, mais du corps et de la personne dans toutes ses dimensions. Le corps de chair comprend l’idée de créature vivante tels les animaux lors du récit du déluge : De tout ce qui vit, de tout ce qui est chair, tu feras entrer dans l’arche deux de chaque espèce (Gn 6,19), mais aussi de l’être humain et des relations humaines : c’est la chair de ma chair (Gn 2,23) s’écrit Adam à propos d’Ève ; Il est notre frère, notre chair (Gn 37,27) dit Juda à propos de Joseph.
Si la chair de l’homme exprime sa faiblesse et sa finitude (Lv 13,10), sa faillibilité et son éloignement du Dieu Saint, Dieu regarda la terre et la vit corrompue, car toute chair avait perverti sa conduite sur la terre (Gn 6,12), elle fait aussi partie intégrante de l’Alliance de Dieu. Ainsi Noé déclare : L’arc sera dans la nuée et je le regarderai pour me souvenir de l’alliance perpétuelle entre Dieu et tout être vivant, toute chair qui est sur la terre. (Gn 9,16). De même, pour l’instauration de la circoncision : vous aurez la chair de votre prépuce circoncise, dit le Seigneur, ce qui deviendra le signe de l’alliance entre moi et vous. (Gn 17,11). La chair que Jésus se propose de donner à manger représente toute sa vie et toute sa personne : ses actes, ses paroles, son amour, la qualité de ses relations humaines, jusqu’au lien privilégié avec son divin Père. Ainsi son don est sans limite, total et plénier.
⇒ Entre le mépris et l’adulation de la chair, il y a un vaste espace, auquel le Christ vient donner sens, et où nous pouvons nous épanouir de toute notre chair dans le respect de soi et de sa santé, au cœur de notre relation nuptiale, dans le souci fraternel, au sein de la Création. La lecture ou la relecture de l’encyclique du pape François Laudato Si’ est un bel éclairage de ce point de vue.
Chair et sang du Fils de l’homme
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. (6,53-56)
Si l’expression ‘manger ma chair’ pouvait encore s’entendre de manière symbolique : prendre exemple sur la vie de Jésus, se nourrir de ses actes et ses paroles, l’évangéliste entraîne ses auditeurs plus loin encore. Boire le sang fait référence à la croix du Christ, à son sang versé pour la multitude et par amour. Dans ce même évangile, un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau (Jn 19,34). Ce Fils de l’homme glorieux et vainqueur sur le mal, venant dans la nuée des Cieux établir le pouvoir et le règne de Dieu (selon Dn 7,13), se présente sous les traits inattendus du futur crucifié. Car, pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes (Jn 12,32). Manger sa chair, boire son sang, devient dès lors une communion à ce Dieu que Jésus révèle jusque sur la croix. Sa vraie nourriture, sa vraie boisson, sa véritable chair, son sang véritable, c’est cet amour livré, donné, pour révéler le visage du Père. Un amour auquel nous sommes invités à communier.
⇒ Demeurer… Le Christ ne s’offre pas pour nous rendre plus parfait, plus fort. Lui qui s’est abaissé jusqu’à être exposé sur une obscène croix, Lui qui nous a aimés même au cœur des moqueries, Lui que le Père a ressuscité d’entre les morts, s’offre encore pour être avec nous, demeurer en nous, y compris dans nos faiblesses, nos égarements, nos détresses, pour nous redonner vie. C’est la folie de Dieu de vouloir en son Fils, nous aimer au-delà de tout.
Vie et eucharistie
De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. » (6,57-58)
Ces dernières paroles viennent mettre un point final au discours du pain de vie fait à Capharnaüm – il restera à entendre la réaction des disciples. La dimension eucharistique est très présente dans tout ce passage. À la lumière de la venue du Verbe fait chair, de ses actes et de ses paroles et de la Croix et la Résurrection, nous ne pouvons que rendre grâce (en grec eucharistein, εὐχαριστεῖν ) pour cet événement inouï. Mais le mystère serait vain s’il n’était que l’évocation d’un passé. C’est l’action actuelle du Christ que nous célébrons à chaque eucharistie. C’est sa présence qui se donne à nous qui demeure jusque dans notre chair, encore et toujours, pour nous attirer à lui et vers le Père. Non pour nous donner davantage de ‘force’, de ‘pouvoir’, mais pour nous aimer et nous inviter à aimer à son image. Cette communion nous ouvre ainsi à cette vie en Dieu pleinement révélé, cette amitié divine, fraternelle et éternelle comme lui-même le disait à ses disciples selon l’évangéliste :
⇒ Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes amis, si vous faites ce que je vous commande. … Voici ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. (Jn 15,13-17)