Fête du Christ Roi (année B, Jn 18,33b-37)
Nous voilà déjà à la fin de cette année liturgique dont ce dimanche sera le dernier. Occasion de porter notre regard – encore et toujours – sur Celui qui nous rassemble et nous accompagne au long des temps : Jésus Christ. Mais que vient faire ici cette histoire de royauté ? Est-ce pour nous rappeler le terme de la vie terrestre du Christ et fermer l’évangile ? Ou bien pour nous renvoyer à notre propre fin – au sens de finalité – et nous ouvrir à la richesse d’une vie éclairée par sa Parole ?
La Passion selon Jean
Cette fête du Christ Roi de l’Univers nous propose cette année d’entendre un extrait de la passion de Jésus, tiré de l’évangile selon Saint Jean. La comparution de Jésus devant le procurateur Pilate est un moment fort (et phare) de son Évangile (Jn 18,28 – 19,16). Dans le passage précédent Jésus comparaissait devant Hanne, l’un des grands prêtres. Jean est très sobre au regard des autres évangélistes. Le Nazaréen n’y est interrogé que sur ses disciples et son enseignement sans accusation de blasphème[1. En fait, son procès a eu lieu bien avant et en son absence en Jn 11,47-57, à cause des signes accomplis et de la crainte des Romains.]. La comparution devant Pilate permet à l’évangéliste de se faire écho d’un paradoxe étonnant : plus il est accusé, plus il est humilié, plus il est fragilisé et plus se révèle la vraie royauté de Jésus.
Roi livré
En ce temps-là, Pilate appela Jésus et lui dit : « Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus lui demanda : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? » (18,33-34)
On s’étonnera que Pilate passe de ce grief confus, à un autre très précis. Es-tu le roi des Juifs ? La question paraît saugrenue. Jésus lui a été livré enchaîné par ses coreligionnaires juifs. Il ne peut donc être leur roi, du moins aux yeux du monde. Cependant la question ironique de Pilate nous renvoie à une attitude de foi. Celle-ci oblige à être plus attentif à la profondeur intérieure qu’à la surface apparente. Non pas voir l’homme avec le regard du monde – qui accuse et haït sans raison – mais le monde et l’homme avec le regard de Dieu – qui justifie et aime jusque dans la déraison. Ainsi l’évangéliste nous invite-t-il à contempler cette royauté non dans la livrée[2. Pour mémoire. Livrée (n.f.) : vêtement distinctif et soigné porté par les domestiques d’un souverain (déf. CNRTL)] mais dans la livraison, le dénuement et l’outrage.
Témoins de la royauté du Christ
Cette parole de Nathanaël est la seule qui n’associe pas la royauté aux signes et prodiges de Jésus, ni à sa ‘conquête’ de Jérusalem, mais à sa filiation, à sa relation unique à Dieu. À cette occasion, Jésus lui avait promis qu’il verrait des choses plus grandes encore. Et nous y voici.
Derrière ce titre de roi, se cache donc une profession de foi. L’évangéliste nous rappelle que les témoins de la royauté du Christ sont en premier lieu ses disciples, ces autres qui le lui ont dit à son sujet. Ses disciples qui, à l’écoute de Sa Parole, s’attachent au Seigneur jusqu’à le suivre.
D’une royauté à l’autre
Pilate répondit : « Est-ce que je suis juif, moi ? Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi : qu’as-tu donc fait ? » Jésus déclara : « Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. » (18,35-36)
À la question sur sa culpabilité : Qu’as-tu donc fait ? Jésus ne répond pas. Du moins pas de manière directe. Certes, il n’a pas à répondre puisqu’il n’a rien fait de mal. Son seul crime est de se revendiquer d’un royaume qui n’est pas celui des hommes. Il est du Royaume de Dieu que nul ne peut voir, à moins de naître de nouveau (Jn 3,3) comme Jésus le rappelait à Nicodème. Être roi à la manière de Jésus ne s’exprime pas en termes de conquêtes, de gardes armés, de batailles mais relève d’un monde, celui de l’Évangile, et d’un Autre, d’un Tout-Autre.
Le pouvoir romain (et mondain) pense avoir le droit, au sens juridique, de faire mourir. Le pouvoir du Christ tient, quant à lui, au droit de vivre, de faire vivre. Christ est roi, mais sans armée, c’est à dire sans pouvoir de contrainte. Il est roi mais d’un royaume sans frontière qui n’est pas de ce monde, c’est à dire sans richesse économique pour dominer. Alors que peut-il faire ? À quoi bon être roi ? La croix et la résurrection seront la réponse ultime contre ce pouvoir fallacieux et mondain sur les autres et sur la vie. Ces tentations mondaines qui, hélas, atteignent parfois chacun dans son désir de manipuler, séduire, contraindre, voire faire taire à jamais.
La ‘voix’ royale
Pilate lui dit : « Alors, tu es roi ? » Jésus répondit : « C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. » (18,37)
Jésus fait entendre la voix du Père, une voix royale pour une voie à suivre. Celle-ci ne consiste pas en une conquête militaire ‘à la romaine’. Cette voie est celle d’un amour donné jusqu’au bout, s’abaissant pour laver les pieds de ses disciples (13,1sq), d’un amour livré pour le monde, pour ses brebis (10,11), pour ses amis (15,13). Christ est ainsi Tout-Autrement roi, pour révéler le Père et nous faire renaître à la vie. Une vie qui n’est plus égoïsme, monarchisme asservissant, mais don dans l’humble service royal de Dieu et son prochain. Christ, roi de l’Évangile, nous invite à abandonner nos pouvoirs mondains, pour renaître et appartenir à ce Royaume où se vit, au quotidien, des relations humbles et vraies entre Dieu et les hommes.