Dans le livre du prophète Ézéchiel, la vigne autrefois luxuriante c’est Israël, le peuple de Dieu qui, au temps d’Ézéchiel, est un pays détruit, soumis à la puissance Mésopotamienne, exilé sur une terre étrangère. C’est l’évocation du désert de la désolation.
La vigne plantée au désert
Ta mère était comme une vigne plantée au bord des eaux. Elle était féconde et touffue, car les eaux étaient abondantes. Elle eut des tiges vigoureuses qui devinrent des sceptres royaux ; elle grandit en taille et s’éleva au milieu des branchages ; on l’admira pour sa hauteur et le grand nombre de ses pampres. Mais elle a été arrachée avec fureur et jetée à terre ; le vent d’est a desséché son fruit ; elle a été brisée, ses tiges vigoureuses ont séché, le feu les a dévorées. Et maintenant, elle est plantée au désert, dans un pays de soif et d’aridité. Un feu est sorti de ses tiges, il a dévoré ses sarments et ses fruits. Plus de tiges vigoureuses, plus de sceptre royal ! » Ce chant est une complainte, qu’il serve de complainte ! Ez 19,10-14
Cette vigne qui s’était pourtant développée se retrouve dans un désert qui signe ici sa fin. Qu’est-ce qui a conduit cette vigne ‘édénique’ à une telle destinée ? Le prophète Ézéchiel, un peu plus loin, au chapitre 28, reprend les mêmes expressions pour l’image d’un Éden perdu, à propos de l’orgueil d’un roi :
Tu étais en Éden, dans le jardin de Dieu, entouré de murs en pierres précieuses : … Ta conduite fut exemplaire depuis le jour de ta création jusqu’à ce que fût trouvée en toi l’injustice. Par l’activité de ton commerce, tu t’es rempli de violence et de péchés. … Ton cœur s’est enorgueilli à cause de ta beauté. Tu as corrompu ta sagesse à cause de ton éclat. Je t’ai jeté à terre, je t’ai offert en spectacle aux rois. Ez 28,13-17
Le récit de la création de Gn 2-3 peut faire aussi écho à ce drame de l’Exil. Il peut répondre à cette question : pourquoi le peuple est-il maintenant loin de cette terre promise et donnée au peuple de l’Alliance ? Pourquoi être exclu de cet Éden divin ? Plus fondamentalement la question se pose encore aujourd’hui. Si Dieu a créé un Éden pour notre bien et notre bonheur, pourquoi vivons nous en étant marqué par le mal, la souffrance, l’injustice et la mort. Ézéchiel et d’autres prophètes désigneront le péché du peuple comme la cause essentielle de cet exil : l’orgueil des rois, l’idolâtrie des prêtres, l’injustice du peuple envers les pauvres… Bref, la rupture de l’Alliance, un terme sur lequel nous reviendrons.
Un jardin perdu
- lire Gn 3
Que nous dit Gn 3 ? Le récit commence par l’introduction d’un nouveau personnage étrange, ce serpent qui parle. Il n’est ni divin, ni démon. Il est décrit comme l’une des créatures… Mais le texte s’intéresse moins à ce qu’il est qu’à ce qu’il dit. Il est celui qui déforme la parole de Dieu : Alors, Dieu vous a vraiment dit : “Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin” ? Bien plus, il introduit la défiance vis-à-vis de Dieu en insinuant que le plan divin et l’interdit de manger le fruit de la connaissance du bien et du mal ne préservent pas l’homme et la femme de la mort, mais protège Dieu d’une concurrence. Pas du tout, vous ne mourrez pas, dit le serpent. Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. Le mal, le péché est ce qui brise la relation entre l’homme et Dieu. Le serpent introduit ici la tentation de devenir dieux autant que Dieu lui-même, ayant donc pouvoir sur le bien et le mal, sur la mort et la vie… mais l’homme n’est pas Dieu.
Cependant, après avoir mangé le fruit défendu, l’homme et la femme ne meurent pas de manière immédiate. Ceux qui voulaient devenir comme des dieux deviennent honteux de leur nudité (leur état de créatures) et se cachent du Seigneur lui-même (leur créateur). Les arbres ne sont plus beaux à voir et aux fruits savoureux mais servent à donner des feuilles pour se vêtir. La création est détournée de son objet. La scène est comique voire grotesque et veut souligner la perte de leur vraie dignité que leur assurait une relation de confiance avec Dieu. Ils ont préféré suivre leur ambition suggérée par une parole de mensonge, que croire en leur filiation garantie par la Parole de Dieu. Le lien avec ce dernier est devenu une relation de peur.
A qui la faute ?
L’homme accuse Dieu qui a placé la femme à ses côtés, la femme accuse le serpent, … mais aucun des deux ne reconnaissent leur péché – il y a ici une solidarité dans la faute. Homme et femme ont leur part de responsabilité, et aucun ne demandent pardon. Pourtant Dieu ne cherche pas d’abord à les condamner, à les blâmer mais il LES cherche, eux qui se cachent. Il NOUS cherche, et nous invite à parler en vérité nue, à ne pas se cacher derrière des faux-semblants, semblables à des feuilles de figuiers périssables. Cette rencontre avec le Seigneur, au sein même d’une perdition, aurait dû leur permettre de reconnaître leurs faiblesses et leurs torts. Grâce perdue. Il en va de même pour nous. Malgré tout, Dieu continue à être auprès d’eux, comme de nous, ses créatures et à en prendre soin… en les revêtant ici de peau.
Que dire alors de la punition de Dieu : la souffrance dans l’accouchement pour la femme, le combat, le travail à la sueur de son front et la mort …. L’éloignement de Dieu a engendré souffrance et mort, c’est le constat du récit parabolique et mythique. Il s’agit moins d’une punition que d’une conséquence du mal. Les deux n’étant pas non plus à opposer. De même, les sanctions ne sont pas de l’ordre de la malédiction (excepté pour le serpent). Car s’il est vrai que désormais, le couple humain est séparé de la vie d’avec Dieu à cause du péché, il n’en demeure pas moins qu’ il est appelé à vivre (pain) et à donner la vie (enfantement), y compris au sein de la désolation. Enfantement et pain : des mots qui sont loin d’être nuisibles ! Et l’homme Adam, tiré de la terre, donne un nom à la femme Eve, ‘Hava’ la vivante. Ce nom est lui aussi plein d’Espérance au sein de désert (ce non-Eden) qui désormais est le leur. Alors le Seigneur Dieu le renvoya du jardin d’Éden, pour qu’il travaille la terre d’où il avait été tiré.
Rien n’est perdu
Le récit de Gn 3 veut nous montrer combien la faute, le péché, le mal – c’est à dire ici la surdité à la Parole de Dieu comme Parole de Vie – nous éloigne de Dieu. Cette sortie de l’Éden, engendre souffrance et condition mortelle, finitude mais porte en elle aussi l’espérance. Car la vie demeure, et un chemin de réconciliation se dessine et se dessinera, dans le livre de la Genèse avec Noé, Abraham, Jacob, puis plus tard avec Moïse, les prophètes, jusqu’à – de manière ultime – Jésus-Christ, par l’enfantement (incarnation) et le pain (passion).
Ézéchiel, au chapitre 36,33-36, sait que son Seigneur ne laissera pas son peuple définitivement dans ce désert d’exil . Il sait que la sanction sert à la réconciliation et ouvre un temps nouveau pour une alliance nouvelle :
Ainsi parle le Seigneur Dieu : Au jour où je vous purifierai de toutes vos fautes, je ferai que les villes soient habitées et les ruines rebâties; la terre dévastée sera cultivée, après avoir été dévastée, aux yeux de tous les passants. Et l’on dira : ” Cette terre, naguère dévastée, est comme un jardin d’Éden, et les villes en ruines, dévastées et démolies, on en a fait des forteresses habitées. “ Ez 36,33-36.
Dans ce désert … il y a une oasis à découvrir, un Éden qui nous attend. Le prophète Isaïe (Is 51,3) nous dira demain quelque chose de similaire.