Premier désert
Si Gn 2 décrit le tout premier désert, ce mot ne se rencontre pour la première fois qu’en Gn 14,6 :
Au cours de la quatorzième année, arriva Kedorlahomer et les rois qui l’accompagnaient. Ils battirent les Refaïtes à Ashtaroth-Qarnayim, les Zouzim à Ham, les Émim à Shaveh-Quiriataïm et les Horites dans leur montagne de Séïr jusqu’au chêne de Parane qui est au bord du désert. Gn 14,5-6
Cela ne vous évoque sans doute pas grand-chose. Mais si je vous parle d’Abram (Abraham), de Loth et de Melkisedeq, les choses sont-elles plus claires ? Ce premier mot de désert est évoqué à l’occasion d’une guerre, celle de quatre rois venus des fins fonds de la Mésopotamie pour vaincre cinq rois cananéens. Ces révoltes et ces batailles ne sont pas sans évoquer la chute du royaume de Juda et des royaumes voisins au temps de Nabuchodonosor et qui précipita les fils d’Israël en exil. Indépendamment à cette évocation, la guerre des rois a ici atteint les frontières du désert.
La guerre des rois
Puis [Kedorlahomer et les rois qui l’accompagnaient ] s’en retournèrent et arrivèrent à la source du Jugement, c’est-à-dire Cadès ; ils ravagèrent tout le territoire des Amalécites et battirent aussi les Amorites qui habitaient à Haceçone-Tamar. Sortirent alors le roi de Sodome, le roi de Gomorrhe, le roi d’Adma, le roi de Seboïm et le roi de Bèla, c’est-à-dire Soar. Ils se rangèrent en ordre de bataille dans la vallée de Siddim, face à Kedorlahomer, roi d’Élam, Tidéal, roi de Goïm, Amrafel, roi de Shinéar, Ariok, roi d’Ellasar : quatre rois contre cinq ! La vallée de Siddim était creusée de puits de bitume. Dans leur fuite, le roi de Sodome et le roi de Gomorrhe y tombèrent, et les autres s’enfuirent vers la montagne. Les ennemis prirent tous les biens de Sodome et de Gomorrhe, ainsi que tous leurs vivres, et ils s’en allèrent. Ils prirent aussi Loth et ses biens et s’en allèrent. Loth était le neveu d’Abram et il habitait Sodome. Gn 14,7-12.
Au cours de ces combats, Loth est fait prisonnier et exilé. Abram part pour le libérer. Il vaincra les rois mésopotamiens, et un autre roi, également prêtre, Melkisedeq, bénira Abram au nom du Tout-Puissant. La guerre a atteint le désert. Mais la guerre fait aussi surgir des déserts, des espaces sans vie et dévastés. Ce désert évoqué incidemment nous rappelle également celui que vit personnellement Abram à ce moment du récit. Rappelons cette promesse divine d’un avenir glorieux , d’une terre et d’une descendance nombreuse à cet araméen déjà âgé, sans enfant en raison de la stérilité de son épouse Saraï :
Le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, … Gn 12,1-9
Drames sur la terre promise
Mais qu’advient-il après cette promesse pour laquelle Abram a tout quitté sur la parole de Dieu ? Sitôt après arrive un double drame celui d’une famine obligeant une fuite vers la terre d’Égypte… La terre promise serait-elle une terre de famine ?
Gn 12,10-20 Il y eut une famine dans le pays et Abram descendit en Égypte pour y séjourner car la famine accablait son pays…
Puis Loth se sépare d’Abram à cause de la mésentente entre leurs bergers. C’est la division du clan familial et Loth choisit la meilleure terre… Pauvreté et division : deuxième drame.
Gn 13,10 Loth leva les yeux et il vit que toute la région du Jourdain était bien irriguée… 11 Loth choisit pour lui toute la région du Jourdain et il partit vers l’est. C’est ainsi qu’ils se séparèrent. Gn 13,1-18
Voici donc maintenant la guerre et la captivité de Loth et son clan : troisième drame.
La foi d’Abram au désert
Famine, division, guerre et exil… quelle est donc cette terre promise à Abram ? Sa vie est à ce moment un véritable désert. Mais le récit de Gn 14 précède l’Alliance entre Dieu et le patriarche pour le renouvellement de la promesse divine de Gn 15. Nous sommes donc, avec ce désert et cette guerre, à un moment charnière. Le vieil Abram, souvent décrit comme serviable voire timide, est décrit de manière unique comme un vaillant chef militaire. Cela est à dessein. Car sa victoire n’est pas un succès comme les autres. Les cinq rois malgré leurs forces n’ont rien pu faire contre les envahisseurs. Embourbés, ils n’ont pas même bataillé. C’est un berger du désert qui part pour les vaincre. Sa course le mène plus au nord que la frontière de Dane, au-delà de Damas.
Dès qu’Abram entendit que son frère avait été capturé, il mobilisa trois cent dix-huit hommes de guerre qui appartenaient à sa maison et mena la poursuite jusqu’à Dane. Durant la nuit, il se déploya contre ses ennemis, lui et ses serviteurs, il les battit et les poursuivit jusqu’à Hoba, au nord de Damas. Il ramena tous les biens, il ramena aussi son frère Loth et ses biens, ainsi que les femmes et tous les gens. Gn 14,14-16.
Ce n’est pas un homme d’état, ni un chef militaire qui revient victorieux, c’est l’homme de foi, et c’est bien ce que chante Melkisédeq.
Melkisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin : il était prêtre du Dieu très-haut. Il le bénit en disant : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Et Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris. Gn 14,18-21
Le dime d’Abram constitue sa réponse : celle d’un croyant qui par son offrande rend grâce à son Dieu. Mais Abram va plus loin encore. Il refuse les honneurs qui lui sont dû ainsi que les récompenses. Il ne désire rien que ce qu’il a déjà obtenu : le salut des siens. L’homme de foi bénit le vrai Dieu mieux que Melkisedeq.
Le roi de Sodome dit à Abram : « Donne-moi les personnes et garde pour toi les biens. » Abram lui répondit : « J’ai levé la main vers le Seigneur, le Dieu très-haut qui a fait le ciel et la terre, et j’ai juré que je ne prendrais rien, pas même un fil, pas même une courroie de sandale, rien de tout ce qui t’appartient. Tu ne pourras pas dire : “C’est moi qui ai enrichi Abram.” Rien pour moi ! Seulement ce que les jeunes ont mangé et la part des hommes qui m’accompagnaient, Aner, Eshkol et Mambré. Qu’ils prennent eux-mêmes leur part ! » Gn 14,22-24
Ce récit nous permet de comprendre cette foi d’Abram dont il sera question en Gn 15,6 Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. Malgré la guerre qui atteint le désert, et en dépit de son propre désert, la foi d’Abram n’a pas défailli. Pour ce neveu qui lui a pourtant pris les meilleures terres, il n’a eu aucune rancune ni hésitation pour œuvrer à son salut, sans en tirer aucune gloire ni fortune. Abram donne déjà à percevoir le mystère du Christ, le juste du Seigneur comme le désigne le centurion au pied de la croix (Lc 23,47). Humble et admirable Abram qui dans son désert poursuit sa route sachant que Dieu l’accompagne.
Les références podcast
- Un taxi pour Tobrouk, film de Denys de la Patellière avec Lino Ventura, Ch. Aznavour, Maurice Biraud (1961)
- Genèse 14 :https://www.aelf.org/bible/Gn/14