Demain, 2ème dimanche de Carême, nous entendrons le récit de la Transfiguration, où Jésus manifeste sa gloire à trois de ses Apôtres, apparaissant aux côtés de Moïse et d’Élie.
J’ai déjà écrit à propos de ce passage de la Transfiguration (chez Luc et Marc) et de ces prophètes Élie et Moïse. Leur présence annonce l’avènement du temps messianique et l’accomplissement de toutes l’Écriture, depuis la Torah de Moïse jusqu’aux prophètes. Dans notre traversée de quarante déserts nous avons déjà parlé de Moïse et nous l’évoquerons encore. Dès lors, nous pouvons nous attarder sur Élie. Cette figure importante du livre des Rois, a fait lui aussi l’expérience du désert mais dans un contexte assez malheureux que nous rapporte le chapitre 19 du premier livre des rois.
Le désert d’Élie
Quant à lui (Élie), il marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : «Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères.» (1R 19,4)
Qu’est-ce qui a amené Élie au désert et à demander la mort ? Dans les récits les plus anciens, le désert n’est pas le lieu des tentations et des épreuves, ni celui du pèlerinage. C’est l’espace où règnent l’aridité et la mort, le lieu des forces démoniaques… là où, à l’opposé, les plaines fertiles et généreuses sont la bénédiction de Dieu. Élie fuit donc au désert, non pour s’y réfugier mais pour mourir. Il fuit son pays, mais il s’éloigne aussi de Dieu et de la vie. Pourtant il a bravé bien des épreuves : l’opiniâtreté du roi Achab, la famine à Sarepta. Il a défié la reine païenne Jézabel et ses prophètes du dieu Baal. Jusque-là l’histoire d’Élie est une histoire à succès, enfin presque… comme nous le laisse entendre le début de ce chapitre 19.
Le roi Acab avait rapporté à Jézabel comment le prophète Élie avait réagi et comment il avait fait égorger tous les prophètes de Baal. Alors Jézabel envoya un messager dire à Élie : « Que les dieux amènent le malheur sur moi, et pire encore, si demain, à cette heure même, je ne t’inflige pas le même sort que tu as infligé à ces prophètes. » Devant cette menace, Élie se hâta de partir pour sauver sa vie. Arrivé à Bershéba, au royaume de Juda, il y laissa son serviteur. (1R 19,1-3)
Dans cette présentation, l’on comprend que le prophète du royaume du Nord se rend dans le sud désertique, à Bershéba (ou Beer-Shev’a) pour sauver sa vie de la fureur vengeresse de l’épouvantable reine Jézabel… mais par la suite, la réaction du prophète va sans doute nous surprendre. Car de Bershéba, le prophète s’enfonce dans le désert du Néguev.
Quant à lui, il marcha toute une journée dans le désert. Il vint s’asseoir à l’ombre d’un buisson, et demanda la mort en disant : “Maintenant, Seigneur, c’en est trop ! Reprends ma vie : je ne vaux pas mieux que mes pères.” Puis il s’étendit sous le buisson, et s’endormit. (1R 19,4-5)
Il était parti pour sauver sa vie, voilà qu’après une journée de marche dans le désert il demande à mourir. « Je ne vaux pas mieux que mes pères ! » Que signifie cette remarque ? Les pères généralement désignent les Hébreux lors de la sortie d’Égypte. Cette génération qui a inauguré l’Alliance avec le Seigneur mais qui souvent s’en écarte comme nous l’a rappelé le psaume 94 « vos pères qui m’ont tenté et provoqué ». Plus largement, dans les livres des Rois, cette génération des pères est aussi associée à leur propension à l’idolâtrie. Mais ils n’ont pas obéi et ils ont raidi leur nuque comme l’avaient fait leurs pères, qui n’avaient pas fait confiance au Seigneur leur Dieu. 2R 17,14.
La faute du prophète
Provocation envers Dieu, idolâtrie … ? Mais qu’a pu bien faire Élie de si répréhensible au point de demander la mort ? Est-ce le fait de fuir, de « déserter » sa mission par peur, par crainte de la mort et de la vengeance de Jézabel – elle qui a déjà massacré bien des prophètes du Seigneur. Comme pour les Hébreux au désert, Élie refuse d’aller plus en avant et d’affronter les dangers en vue et le martyre. Sa fuite serait significative de son manque de foi envers Dieu et de son incapacité au don de soi. Sa marche serait un abandon, une désertion dont il prend conscience maintenant qu’il se retrouve seul, sans serviteur – qu’il a abandonné à Bershéba. Élie le prophète a-t-il déserté la mission du Seigneur par crainte ? Cette question a le mérite de nous interroger sur notre fidélité à notre mission de baptisé parfois inconfortable.
Mais n’y a-t-il pas autre chose que nous suggérerait cette mention des pères ? Revenons au contexte précédent ayant engendré le massacre des prophètes de Baal. Élie a défié le roi Achab. Il a organisé un concours entre lui et quatre cents prophètes du dieu cananéen. Deux bûchers sont construits, un pour l’offrande à la divinité païenne, un autre pour l’offrande du Seigneur. Chaque groupe invoque son Dieu pour qu’il embrase lui-même le bûcher. Bien évidemment le bûcher du Seigneur pourtant aspergé d’eau, s’enflamme à la prière d’Élie. L’enthousiasme est à son comble, le peuple chante les louanges du Seigneur d’Israël, et Élie fait égorger les prophètes de Baal.
Mais qui le lui a demandé ? Ni ce concours, ni l’égorgement ne sont de l’initiative de Dieu. Élie a voulu utiliser la force la puissance de Dieu pour asseoir son autorité… N’a-t-il pas en cela, comme les Hébreux au désert, tenté le seigneur pour satisfaire son seul désir ? De plus, le signe miraculeux n’a pas servi à manifester l’identité du Dieu d’Israël. Élie s’est servi de Dieu mais n’a pas servi le Seigneur. Le feu divin du Carmel a signé, paradoxalement, l’échec du prophète Élie. Ce dernier a exposé un dieu puissant, fort, dieu de mort et de vengeance ? Mais est-ce bien ainsi qu’est le Seigneur ?
Dieu au désert
C’est bien ce qu’entend lui démontrer le Seigneur avec sa sollicitude habituelle :
Mais voici qu’un ange le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange ! » Il regarda, et il y avait près de sa tête une galette cuite sur des pierres brûlantes et une cruche d’eau. Il mangea, il but, et se rendormit. Une seconde fois, l’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. » Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu. (1R 19,5-8)
Par son ange, Dieu révèle qu’il est Celui qui nourrit, non celui qui affame. Il est Celui qui parle au désert, non celui qui crie à la foule. Il est Celui qui touche pour faire vivre et non celui qui donne la mort. Ézéchiel dit à ce propos que le Seigneur ne prends pas plaisir à la mort de qui que ce soit, pas même du pécheur (Ez 18,20-32 ). En ce désert de mort, le Seigneur ouvre un chemin : celui de la conversion. Élie a encore tout à découvrir de son Dieu. Le prophète doit taire son orgueil pour se mettre à son écoute. Celui-ci le mène au lieu emblématique de sa manifestation au temps de Moïse, à l’Horeb, la montagne du Seigneur. C’est le Dieu qui donné vie à son peuple en le sauvant de la servitude qui s’adresse à Élie. La suite montrera justement que Dieu n’est pas dans le feu mais dans le silence d’une brise légère (1R 19,12) annonçant ainsi ce silence de la Croix et du samedi Saint où Dieu manifeste sa présence et son dessein.
Les références
- Élie au désert (1R 19) : https://www.aelf.org/bible/1R/19
- Ézéchiel 18 : https://www.aelf.org/bible/Ez/18
- La Transfiguration en Luc : https://www.aularge.eu/blog/2013/02/23/trois-deux-un-soleil/
- La Transfiguration en Marc : https://www.aularge.eu/blog/2018/02/23/jesus-transfigure/
- La série « 40 déserts » sur https://www.aularge.eu/blog/40-deserts-2/