Notre désert aujourd’hui est un lieu d’affliction et de tristesse, d’ordures et d’anéantissement…
Tel un oiseau de nuit
Je ressemble au corbeau du désert, je suis pareil à la hulotte des ruines Ps 101,7
Ce verset est extrait du psaume 101(102 hb), dans la traduction officielle de la liturgie. Je cite la traduction car si l’on regardait les autres éditions nous entendrions le corbeau du désert ou bien la corneille, le choucas mais aussi le pélican ou le hibou. Quel est donc cet oiseau du désert qu’évoque le psalmiste ? Il demeure assez énigmatique au regard de nos traductions. Le nom hébreu qaat (קָאָת) qui le désigne proviendrait de la racine qé (קֵא) signifiant vomissure, pouvant évoquer les pelotes de réjections. Notre oiseau du désert serait probablement une chouette comme le confirme son doublet la hulotte des ruines qui serait le même type d’oiseau, et poétiquement le même oiseau. Avec ce hibou l’hébreu joue avec les mots. Cos (כּוֹס) peut se traduire signifie hibou ou coupe.
Je ressemble à la chouette du désert, je suis pareil à la hulotte des ruines Ps 101,7
Je ressemble à un oiseau de nuit, taciturne et solitaire, oiseau impur, habitant les déserts et les ruines, ces lieux inhabités et désolés. Mon nom ressemble à une vomissure au désert, et à une coupe de désolation – Notre désert aujourd’hui est un lieu d’affliction et de tristesse, d’ordures et d’anéantissement…
Mes jours s’en vont
Le psaume 101 est un cri de désespoir. C’est d’ailleurs un des rares psaumes qui porte un titre aussi explicite : Prière de l’affligé qui défaille et déverse sa plainte devant le Seigneur. Tout est dit. Le psalmiste se répand en plaintes :
Seigneur, entends ma prière : que mon cri parvienne jusqu’à toi ! Ne me cache pas ton visage le jour où je suis en détresse ! Le jour où j’appelle, écoute-moi ; viens vite, réponds-moi ! Mes jours s’en vont en fumée, mes os comme un brasier sont en feu ; mon cœur se dessèche comme l’herbe fauchée, j’oublie de manger mon pain ; à force de crier ma plainte, ma peau colle à mes os. Je ressemble au corbeau du désert, je suis pareil à la hulotte des ruines : je veille la nuit, comme un oiseau solitaire sur un toit. (Ps 101,2-8)
Tel un vulgaire oiseau de nuit, le psalmiste se désole au fond de ses ruines. Sa vie brûle comme le feu d’un désert, asséchant sa langue et son cœur, affamant son être et sa vie. Le désert … aride, torride, famélique. Avec lui, nous sommes au plus profond de la misère et du désespoir. La mort est à la porte et rien ne semble vouloir éclairer l’horizon exceptés cette prière et ce cri qui montent vers Dieu en cette nuit désertique : viens vite, réponds-moi !
Le jour, mes ennemis m’outragent ; dans leur rage contre moi, ils me maudissent. La cendre est le pain que je mange, je mêle à ma boisson mes larmes. Dans ton indignation, dans ta colère, tu m’as saisi et rejeté : l’ombre gagne sur mes jours, et moi, je me dessèche comme l’herbe.101,9-12
Tout semble contre lui. Ses ennemis le harcèlent avec fureur. Dieu même semble l’avoir rejeté. Seul, il ne reste que cendres et larmes, deuils et lamentations, et la mort qui approche. Qui donc est cet affligé ? L’évocation des ruines, de la cendre, des ennemis et du rejet de Dieu, nous mènent au lendemain de la chute de Jérusalem, en 587. La ville du roi et du Temple n’est plus que ruine, feu, cendres et cadavres. La ville, qui avait désertée l’Alliance, est abandonnée de Dieu. Le psalmiste connaît ses torts et ceux de son peuple : injustice, idolâtrie, corruption, compromission, oubli de la Parole de Dieu, etc. Mais ses torts n’enlèvent rien à son désespoir.
Son cri rejoint bien des nôtres. Dans ces moments où tout semble se liguer contre nous, les uns puis les autres et Dieu peut-être. Dieu vers qui nous crions : tu m’as saisi et rejeté. Tout est sec y compris nos larmes. Tout pourrait finir, s’il n’y avait au fond de nous, ce dernier espoir qui nous tourne vers Dieu avec un cœur peut-être rempli de colère, d’écœurement ou de désespoir.
Mais toi Seigneur
Ainsi, le psalmiste désespéré s’adresse à Dieu attendant de lui une réponse immédiate : viens vite, réponds-moi ! Cette prière qu’il jette à la face du Seigneur, ce retour qu’il en espère, il ne l’attend seulement pour lui-même. Sa vie n’est rien face à l’Espérance qu’il met en Dieu, encore et toujours.
Mais toi, Seigneur, tu es là pour toujours ; d’âge en âge on fera mémoire de toi. Toi, tu montreras ta tendresse pour Sion ; il est temps de la prendre en pitié : l’heure est venue. Tes serviteurs ont pitié de ses ruines, ils aiment jusqu’à sa poussière. 101,13-15
Celui qui se plaignait, à juste titre, est celui qui espère pour d’autres, avec d’autres : les habitants de Sion, la Jérusalem en ruine mais toujours aimée de ses habitants… jusqu’à sa poussière. Ce n’est pas l’amour de son architecture ou de son histoire, ce ne sont pas les pierres qui sont aimées, mais celles et ceux et Celui qui les habitent. Le Temple et le roi ne sont plus. Mais le peuple de l’Alliance demeure, un peuple qui fait mémoire de ce Dieu unique qui les a fait monter d’Égypte. Et sous ses cendres, au fond de ses ruines, notre oiseau du désert solitaire découvre non un Dieu qui l’a abandonné et rejeté, mais un Dieu qui montre sa tendresse, présent tout comme lui à cette désolation. L’oiseau nocturne revient au jour pour contempler ses frères. Si l’orgueil du peuple l’avait jeté dans la débâcle, les voilà qu’ils se découvrent serviteurs. L’humiliation se change en humilité, la contrition en consolation et la complainte en cantique. L’heure est venue, l’heure où le jour se lève pour notre oiseau du désert, et se déploie sur un avenir qui n’est plus uniquement le sien mais celui de ses frères et sœurs, celui de Dieu et de Sion comme nous le laisse entendre la suite du psaume :
Les nations craindront le nom du Seigneur, et tous les rois de la terre, sa gloire : quand le Seigneur rebâtira Sion, quand il apparaîtra dans sa gloire, il se tournera vers la prière du spolié, il n’aura pas méprisé sa prière. Que cela soit écrit pour l’âge à venir, et le peuple à nouveau créé chantera son Dieu (101,16-19) Et pour aller au dernier verset : Les fils de tes serviteurs trouveront un séjour, et devant toi se maintiendra leur descendance (101,29)
Il n’y a plus de corbeau, de chouette, de choucas et autres volatiles dans les nocturnes ruines du désert. Il y a maintenant un homme qui espère, debout face à l’avenir, recréé avec ses frères par le Seigneur de miséricorde qui entend la prière du spolié.
Les références
- La série « 40 déserts » sur https://www.aularge.eu/blog/40-deserts-2/
- 10.000, film de Roland Emmerich (2008) avec Steven Strait, Camilla Belle.