C’est loin d’être l’épisode le plus célèbre de la Bible ; il est probable qu’il fasse partie des moins connus. Un seul verset qui a de plus l’inconvénient de se situer au sein d’une généalogie ; ces longues listes de descendances que nous ne lisons presque jamais.
Voici les fils de Sibéone : Ayya et Ana. Ce fut Ana qui trouva les sources d’eau chaude dans le désert, en faisant paître les ânes pour son père Sibéone. Gn 36, 24.
Étrange histoire
Voici les fils de Séïr le Horite, habitant le pays : Lotane, Shobal, Sibéone, Ana, Dishone, Écer et Dishane. Ce sont les chefs horites, fils de Séïr, dans le pays d’Édom. Les fils de Lotane furent Hori et Hémam, la sœur de Lotane était Timna. Voici les fils de Shobal : Alvane, Manahath, Ébal, Shefo et Onam. Voici les fils de Sibéone : Ayya et Ana. Ce fut Ana qui trouva les sources d’eau chaude dans le désert, en faisant paître les ânes pour son père Sibéone. Voici les enfants d’Ana : Dishone et Oholibama, fille d’Ana. Gn 26,20-25.
Et je m’arrête ici pour ne pas être encore plus ennuyeux. Cette généalogie-là, d’où est tiré notre verset, a encore moins d’intérêt car, elle ne concerne pas un illustre patriarche comme Abraham, Isaac, ou Jacob ; pas même Ésaü son frère dont la généalogie nous est décrite auparavant. Ici se dresse la liste des descendants de Séïr le Horite, population païenne et trans-jordanienne du Néguev, là où part s’installer Ésaü.
Bref, notre ami Ana, qui trouva les sources chaudes, est l’inconnu du jour, sans lignée biblique, ni fait héroïque. La découverte de ces sources chaudes est mentionnée sans aucune précision géographique mise à part celle du désert. Ce qui rajoute encore à l’étrangeté de ce verset. Qui plus est, dans la région aride et désertique de Séïr (Néguev) quel est intérêt de découvrir des sources chaudes ; le tourisme de masse étant peu développé dans cette région et à cette époque patriarcale comme au temps de la rédaction… Alors pourquoi avoir conservé ce verset à propos de sources et d’ânes dans une généalogie improbable ? Et pourquoi en parler aujourd’hui ?
Et pourtant
Ce verset nous rappelle que les livres de la Bible ne sont pas un compendium de règles de bonne morale à suivre comme des ânes. Ni même seulement un volume contenant d’héroïques épopées de pères exemplaires, ni même des louanges dithyrambiques données à nos dévotions. Non il y a aussi des histoires modestes, des récits anodins, des discours fastidieux, des généalogies ennuyeuses et autres versets insignifiants à nos yeux. Insignifiants car nous n’en tirons aucune leçon, aucune méthode pour devenir meilleur, ni plus religieux. Pour autant faut-il se satisfaire des seuls versets qui nous plaisent, généralement ceux qui nous flattent ?
Notre ami Ana aurait pu rester dans les pâturages ordinaires et traditionnels de son père. Il aurait pu se contenter de ses habitudes coutumières et continuer à devenir un bon fils et un bon pasteur. Mais sa découverte nous permet de comprendre qu’il est allé plus loin que d’habitude, qu’il s’est engouffré dans des passages jusque-là inconnus. A moins que ce soient les ânes qui l’y conduisirent. Peu importe Ana trouva les sources d’eau chaude dans le désert, en faisant paître les ânes pour son père Sibéone.
Découvreur inutile
Nous pouvons toujours paître nos ânes à travers les mêmes textes bibliques, ceux qui nous rassurent et nous contentent. Pourtant, il existe aussi des passages inexplorés de nous, et qui débouchent sur un inattendu. En faisant paître les ânes pour son père Sibéone, Ana trouva les sources d’eau chaude dans le désert. Il lui aurait été bien plus utile de découvrir des sources d’eaux fraîches, plus fabuleux encore, dans ce désert, des prés d’herbes vertes, plus merveilleux des mines d’or, d’agent ou de saphir ou simplement de cuivre. Ce qui aurait fait son succès et sa gloire, sa fortune et sa renommée. Non, Ana trouva les sources d’eau chaude dans le désert déjà bien chaud.
Le fils et pasteur est devenu découvreur d’un lieu unique mais qui ne sert à rien, sauf à la contemplation peut-être, au repos sans doute, au soin éventuellement. Sera-t-il un meilleur fils, sera-t-il un meilleur pasteur d’ânes. Non. Sa découverte rapportera-t-elle quelque chose à son père ? Pas sûr. D’autant que rien ne nous en est dit. Mais elle nous profite à tous, gracieusement. Elle nous est livrée comme si ces sources étaient connues de tous et que tous pouvaient en user. Ana trouva les sources chaudes, qui n’ont pas même suffit à sa renommée ou si peu : il faut, un âne comme moi, pour aller jusqu’à ce verset oublié.
Dans cette parole de Dieu qui nous est confiée, nous ne trouvons pas toujours ce que l’on cherche. D’ailleurs cette aventure est arrivée à bien d’autres. Saul cherchait les ânesses égarées de son père et il trouva la royauté par l’onction de Samuel (1S 9-10). Même livre, même prophète qui confiera la royauté à l’un des fils de Jessé mais non l’aîné, ni le plus fort… mais à celui-là même qu’on avait oublié, gardant le troupeau paternel, David (1S 13). Dieu lui-même ouvre des perspectives impensables : Abraham l’araméen âgé, Jacob le voleur de bénédiction, Moïse le fugitif, et nous pourrions poursuivre ainsi longtemps.
Nous-mêmes nous pensons trouver, dans les Saintes Écritures, des bonnes recettes d’une vie meilleure et les meilleures réponses à nos questions. Et puis, un jour on y trouve Quelqu’un qui nous apparaît telle une source chaude qui fait que l’on s’y arrête et que l’on s’y plonge avec d’autres et avec bonheur.
Voici les fils de Sibéone : Ayya et Ana. Ce fut Ana qui trouva les sources d’eau chaude dans le désert, en faisant paître les ânes pour son père Sibéone. Gn 36,24.
Ana n’était rien. Qu’un nom dans une généalogie de païens. Que le second fils d’un Sibéone méconnu. Lui-même troisième fils de Séïr le Horite (Gn 36,20). Et pourtant ce fils cadet, ce conducteur d’âne insignifiant vient nous ouvrir à des eaux chaudes qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans la Bible. Il nous invite à promener nos ânes au-delà de nos pré carrés confortables, pour être les découvreurs de cet Inattendu chaleureux qui se révèle continuellement, à chaque page, à chaque passage, y compris dans les passages de nos vies.
Les citations et références sonores (podcast)
- Gn 36,4 https://www.aelf.org/bible/Gn/36
- Retrouvez le texte de cette publication et les autres « 40 déserts » sur https://www.aularge.eu/blog/40-deserts-2/
- De l’eau… de l’eau, chanson de Georges Moustaki, album « Dans mon hamac » (1964)