Ce verset est tiré d’un épisode de l’évangile selon Saint Luc (8,29) concernant la guérison d’un homme possédé au pays des Géraséniens.
et le démon l’entraînait vers les endroits déserts Lc 8,29
Vers les déserts
[Jésus et ses disciples] abordèrent au pays des Géraséniens, qui est en face de la Galilée. Comme Jésus descendait à terre, un homme de la ville, qui était possédé par des démons, vint à sa rencontre. Depuis assez longtemps il ne mettait pas de vêtement et n’habitait pas dans une maison, mais dans les tombeaux. Voyant Jésus, il poussa des cris, tomba à ses pieds et dit d’une voix forte : « Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu très-haut ? Je t’en prie, ne me tourmente pas. » En effet, Jésus commandait à l’esprit impur de sortir de cet homme, car l’esprit s’était emparé de lui bien des fois. On le gardait alors lié par des chaînes, avec des entraves aux pieds, mais il rompait ses liens et le démon l’entraînait vers les endroits déserts (lit. vers les déserts). 8,23-29.
Ce passage n’est pas propre à l’évangile selon saint Luc, je vous l’avais déjà présenté dans la version de l’évangile de Marc (5,1-20), et il se trouve aussi dans celui de Matthieu (8,28-34) qui lui parle de deux hommes possédés dans un récit plus concis. Il est toujours intéressant de regarder les versions d’un épisode dans les différent évangiles. Ainsi, Luc est le seul à faire référence aux déserts, ou aux endroits déserts comme le traduisent certaines éditions. Mais en fait, il est bien question de désert au pluriel : et le démon l’entraînait vers les déserts.
Je l’ai déjà signalé, le désert ici est lié, comme dans les traditions antiques, au monde du Mal et des forces maléfiques et démoniaques. Il n’est pas le lieu de l’épreuve, de la rencontre et de la conversion à Dieu. Ces déserts de ce chapitre sont à rapprocher de celui de notre brebis perdue, désert mentionné uniquement chez Luc. Et pour notre épisode l’évangéliste montre bien que notre homme est entraîné vers cet espace qui l’éloigne de Dieu mais aussi de sa propre humanité.
L’homme nu
Dans sa description de l’homme possédé, Luc est aussi le seul à mentionner explicitement le fait qu’il soit sans vêtement et sans maison. Depuis assez longtemps il ne mettait pas de vêtement et n’habitait pas dans une maison, mais dans les tombeaux.
C’est un homme de la ville disait l’évangile. Cependant il n’habite une maison mais les tombes autrement dit parmi les morts. C’est un homme de la ville, mais sans vêtement, c’est-à-dire sans ce qui caractérise le lien et le statut social. Il n’est pas au désert mais vit déjà en dehors. Il est en-dehors de toute vie, déshumanisé et désocialisé. Bien pire, possédé de nombreux démons, il est aussi paradoxalement, prisonnier des hommes. Luc, comme Marc, souligne ces chaînes et ces entraves qui l’empêchent, mais vainement, de rejoindre les déserts démoniaques. Virtuellement au milieu du site, mais réellement détaché de toute vie humaine et relationnelle. Il est seul et attiré vers encore plus de désert. C’est ce mal qui peut parfois nous ronger en nous faisant préférer la virtualité et le mensonge, y compris ceux des réseaux dit sociaux – qui paradoxalement peuvent nous isoler – que de nous confronter à la réalité, à la complexité mais aussi à la beauté des relations humaines.
Quel est ton nom ?
L’intervention de Jésus exprime justement une ré-humanisation.
Jésus lui demanda : « Quel est ton nom ? » Il répondit : « Légion ». En effet, beaucoup de démons étaient entrés en lui. Et ces démons suppliaient Jésus de ne pas leur ordonner de s’en aller dans l’abîme. Or, il y avait là un troupeau de porcs assez important qui cherchait sa nourriture sur la colline. Les démons supplièrent Jésus de leur permettre d’entrer dans ces porcs, et il le leur permit. Ils sortirent de l’homme et ils entrèrent dans les porcs. Du haut de la falaise, le troupeau se précipita dans le lac et s’y noya. 8,30-33.
Quel est ton nom ? La question de Jésus s’adresse explicitement au démon dans l’évangile de Marc. Mais ici chez Luc, c’est moins évident. Elle pourrait aussi s’adresser à l’homme. Les deux sont à entendre. Le nom c’est l’identité de la personne. Mais ici l’homme ne répond pas. Il n’est plus rien, il n’a plus de nom saut peut-être un pseudo : le démoniaque. Et paradoxalement, le démon – qui n’est pas homme – livre son nom ‘Légion’ qui n’est pas un nom, mais un mot commun. Ce terme ne dit pas qui il est – comme le ferait un nom – mais combien ils sont. En demandant un nom, Jésus permet de distinguer, et de délivrer, l’homme de ses démons, de ce qui le déshumanise. Et en renvoyant les démons vers ces cochons, animaux donc non-humains, il rétablit l’ancien démoniaque dans son identité d’homme et sa place réelle parmi les siens. C’est que nous lisons dans la suite;
Voyant ce qui s’était passé, les gardiens du troupeau prirent la fuite ; ils annoncèrent la nouvelle dans la ville et dans la campagne, et les gens sortirent pour voir ce qui s’était passé. Arrivés auprès de Jésus, ils trouvèrent l’homme que les démons avaient quitté ; il était assis, habillé, et revenu à la raison, aux pieds de Jésus. Et ils furent saisis de crainte. Ceux qui avaient vu leur rapportèrent comment le possédé avait été sauvé. Alors toute la population du territoire des Géraséniens demanda à Jésus de partir de chez eux, parce qu’ils étaient en proie à une grande crainte. Jésus remonta dans la barque et s’en retourna. L’homme que les démons avaient quitté lui demandait de pouvoir être avec lui. Mais Jésus le renvoya en disant : « Retourne chez toi et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi. » Alors cet homme partit proclamer dans la ville entière tout ce que Jésus avait fait pour lui. 8,34-39.
Les démons entraînaient le démoniaque vers les déserts et le silence, Jésus incite l’homme, désormais assis, plein de raison, à vivre au milieu des siens et à leur témoigner des bonnes œuvres de Dieu, des œuvres du Christ c’est-à-dire d’une Bonne Nouvelle, bien réelle, à la ville et au monde. Mais bien plus, et c’est encore une autre particularité de l’évangile de Luc, qui décrit l’homme aux pieds de Jésus. Cette position est celle de la reconnaissance du Seigneur. Sont ainsi aux pieds de Jésus, la pécheresse pardonnée (Lc 7,38), comme Jaïre suppliant pour son intervention pour sa fille (Lc 8,41), comme le lépreux samaritain reconnaissant (Lc 17,16). L’homme est à assis aux pieds de Jésus, et c’est aux pieds de Jésus, dans cette foi et proximité de disciples, que nous retrouvons notre humanité et notre vocation.
Retourne chez toi et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi…. Voilà notre action de grâce et notre mission…
Les citations et références sonores (podcast)
- Jésus et l’homme possédé, Lc 8,37-39 : https://www.aelf.org/bible/Lc/8
- Marc et le démoniaque de la Décapole, Mc 5,1-20 : https://www.aularge.eu/blog/2018/01/24/legion-de-cochons/
- La version de Matthieu, Mt 8,28-34: https://www.aelf.org/bible/Mt/8
- Retrouvez le texte de cette publication et les autres « 40 déserts » sur https://www.aularge.eu/blog/40-deserts-2/
- Nuits d’Arabie par Bernard Alane (VF), in Aladdin des studios Disney (1992)