C’est un peu contradictoire avec ce que nous avons entendu hier. Le désert des Géraséniens était celui des forces maléfiques. Et Dieu aujourd’hui entraîne son épouse (Israël) au désert, non pour la perdre, mais pour la séduire, la reconquérir.
Osée et Gomer
C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. Os 2,16.
Avant d’aller plus loin, il faut revenir à ce prophète Osée qui vécut dans le Royaume d’Israël au VIII°s. avant Jésus-Christ. C’est un des plus anciens livres de la Bible, écrit, en partie, avant l’Exil à Babylone. Osée lutte alors contre l’idolâtrie et surtout le syncrétisme qui ruinent non seulement la foi au Dieu unique de Moïse, mais aussi, par cette rupture d’alliance, les relations sociales. Car l’oubli de Dieu a entraîné le mépris de la Loi : parjure et mensonge, assassinat et vol ; on commet l’adultère, on se déchire : le sang appelle le sang. (Os 4,2) avec leur argent et leur or, ils se sont fabriqué des idoles (Os 8,4)…pour dire un peu l’ambiance règne selon le témoignage du prophète lui-même.
Et à son prophète, Dieu demande une mission bien étrange voire inconvenante. Comme son peuple, avec qui il avait scellé une alliance, s’en est allé vers d’autres dieux, le Seigneur demande à Osée d’épouser une prostituée du nom de Gomer. Par cet acte, Dieu veut dénoncer l’égarement de son peuple se prostituant à des divinités païennes dont Baal. Et de cette union naquirent trois enfants, dont les noms sont tout un symbole : Yzréeel, le lieu d’un massacre, Lo-Rouhamma qui signifie celle qui n’est pas aimée, et enfin au troisième enfant, Osée donne le nom de Lo-Ammi, c’est à dire : tu n’es pas mon peuple.
Ces naissances et ces noms expriment la colère du Seigneur envers son peuple. Il dit ainsi à propos d’Israël qu’il considère comme son épouse:
Je sévirai contre elle à cause des jours des Baals, quand elle brûlait pour eux de l’encens, se parait de ses anneaux et de son collier, et courait après ses amants. Et moi, elle m’oubliait ! – oracle du Seigneur. Os 2,15.
Un désert pour aimer
La colère de Dieu s’enflamme, mais celle-ci exprime ici tout son amour. C’est alors qu’advient le projet fou et inouï du Seigneur : reconquérir la fautive !
C’est pourquoi, mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur. Et là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du Val d’Akor (c’est-à-dire « de la Déroute ») la porte de l’Espérance. Là, elle me répondra comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle est sortie du pays d’Égypte. Os 2,16-17
Elle infidèle mais il fait tout pour lui montrer son amour. Il l’éloigne de sa ville, de ses amants, c’est-à-dire de son mal, pour être avec elle, au désert. Ce lieu est celui non des tentations, ni d’une répudiation ou d’une malédiction, mais c’est le lieu de l’intimité, du dépouillement et du mémorial.
Mémorial, car il s’agit de reprendre le chemin de l’histoire, de mettre ses pas dans ce désert où Dieu s’est révélé à son peuple, le nourrissant, le soutenant,… lieu des premières disputes et premières réconciliations comme au temps de sa jeunesse, au jour où elle est sortie du pays d’Égypte. Ce retour au désert est aussi un retour au dialogue. Mais non un dialogue pour dénoncer, critiquer, mais un dialogue qui s’appuie sur une parole sincère, aimante et constructive. Je vais l’entraîner jusqu’au désert, et je lui parlerai cœur à cœur.
Enfin ce dépouillement du désert, cette retraite dirions-nous aujourd’hui, est l’occasion de remettre au cœur de ce lien d’amour : le don. À l’écart de tout, Dieu manifeste son don de vie. Il donne et redonne : ses vignobles, son Espérance à celle qui pensait tout avoir grâce au commerce de ses amants. La gratuité est mise à l’honneur, ou mieux : la grâce.
Le mémorial, la Parole et le don … tout cela pour se réconcilier son peuple, les fils d’Israël, et renouer avec eux l’Alliance comme le souligne la suite du texte :
En ce jour-là – oracle du Seigneur –, voici ce qui arrivera : Tu m’appelleras : « Mon époux » et non plus : « Mon Baal » (c’est-à-dire « mon maître »). J’éloignerai de ses lèvres les noms des Baals, on ne prononcera plus leurs noms. En ce jour-là je conclurai à leur profit une alliance avec les bêtes sauvages, avec les oiseaux du ciel et les bestioles de la terre ; l’arc, l’épée et la guerre, je les briserai pour en délivrer le pays ; et ses habitants, je les ferai reposer en sécurité. Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse ; je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. Os 2,18-19
Une alliance féconde
Ce désir d’alliance est une volonté d’aimer plus que tout, au-delà de tout, même quand tout semble perdu. Le Seigneur est là, en attente d’une réconciliation pour laquelle il est prêt à donner et se donner. Et cette Alliance ne concerne pas seulement ces deux amants. Elle déborde dans le temps et l’espace. L’amour de Dieu construit l’avenir et bénéficie à toute la création. Ainsi les enfants retrouveront un vrai nom, et la création elle-même bénéficiera de ce lien scellé entre Dieu et les hommes :
En ce jour-là je répondrai – oracle du Seigneur ; oui, je répondrai aux cieux, eux, ils répondront à l’appel de la terre ; la terre répondra au froment, au vin nouveau et à l’huile fraîche, eux, ils répondront à la « Vallée-de-la-fertilité ». Je m’en ferai une terre ensemencée, J’aimerai celle qu’on appelait « Pas-Aimée » et à celui qu’on appelait « Pas-mon-Peuple », je dirai : « Tu es mon peuple », et il dira : « Tu es mon Dieu ! ». Os 2,20-25
On pourrait croire que l’Alliance entre Dieu et son peuple c’est-à-dire nous, que cette Alliance renouvelée en Christ, ne profite qu’aux seuls croyants, et se limite à nos prés carrés… Mais alors notre amour serait égoïste, élitiste et voué à l’échec, car il n’entrerait pas dans la logique du don débordant. Cette vie dans l’Alliance, dans la foi, vécue personnellement et ecclésialement, profite aussi à l’universalité de la création et aux générations futures. Cette Alliance fait de nous des semeurs de justice et de droit, de fidélité et de tendresse…
Dieu ne cesse de vouloir nous réconcilier et se réconcilier avec nous, comme Jésus pardonne à la femme adultère (Jn 81-11), pour ouvrir à tous, en commençant par les plus vieux, un chemin d’espérance et de fécondité.