Proclamation sur le Désert de la Mer. L’expression est des plus étranges à nos oreilles. Elle est même unique dans l’ensemble de la Bible.
Où est ce désert de la mer ?
Proclamation sur le Désert de la Mer. Is 21,1
Pour nombre de commentateurs, et le contexte semble le confirmer, ce Désert de la Mer évoquerait le royaume Babylonien dont le roi était parfois appelé le roi du pays de la mer, pays s’ouvrant sur le golfe persique, bordé du Tigre et de l’Euphrate, dont la puissance s’étend jusque sur la côte syrienne de la Méditerranée et jusqu’à la Mer rouge. Mais déjà dans ce titre, Isaïe annonce la ruine prochaine de l’empire.
Le désert de la mer, on pourrait croire à un oxymore, où le désert aride s’oppose à l’océan humide. Cependant il y a des déserts qui ressemblent à des océans de sable ou de pierre, et des mers désertiques dont les regards ne perçoivent ni vie, ni limite. Ce désert de la mer évoque l’immensité, l’expansion mais aussi la dureté du pouvoir Babylonien. Nabuchodonosor et ses successeurs règnent durant ce VIème s. av.J.C., sur des espaces presqu’infinis. Il n’y a presqu’aucune limite à ce pouvoir influent de Babylone qui a précipité la ruine de Jérusalem, son roi, son Temple, et son peuple.
Ce désert de la Mer ne nous est pas étranger. Il pourrait aussi évoquer ces velléités de toute-puissance qui règnent autour de nous et parfois même en nous. Vouloir toujours plus, avoir ce sentiment de contrôler ses actes sans que d’autres s’en mêlent, ou pire gouverner sa vie et celles des autres… Ce sentiment de domination, d’être le maître absolu de sa vie – et parfois de celles d’autrui – s’étend parfois dans les domaines qui nous paraissent les plus altruistes comme la charité, la piété, l’écologie ou l’humanisme… je vous laisse compléter les exemples. Même les bonnes causes peuvent servir de marchepied à notre orgueil, du moins pour beaucoup d’entre nous – je n’échappe non plus à cette règle. Mais c’est tellement rassurant de croire qu’on maîtrise bien des choses…
Isaïe souligne que cette immensité, cet océan puissant se révèle être désert, sans vie, sans fécondité. Ce désert de la mer est voué à la ruine. C’est ce qu’annonce le prophète, vers 538-539 av. JC.
Comme l’ouragan
Proclamation sur le Désert de la Mer. Comme l’ouragan qui traverse le Néguev, quelqu’un vient du désert, d’un pays terrible. J’ai reçu une sinistre vision : Un ravageur qui ravage ! Un dévastateur qui dévaste ! Montez, Élamites ! Mèdes, assiégez ! Je supprime toute plainte ! Voilà pourquoi mes reins se tordent de souffrance, les douleurs me saisissent comme celles d’une femme qui accouche ; ce que j’entends me bouleverse, ce que je vois me terrifie. Mon courage flanche, je tremble de peur : le crépuscule auquel j’aspire, Dieu le change en effroi. On dressait la table, on déroulait les tapis, on mangeait, on buvait. Soudain : Debout, les princes ; préparez vos boucliers ! Is 21,1-5
Isaïe connaît sa terre, et sait que ces immensités désertiques, tel le Néguev, peuvent être aussi frappées soudainement. Cet ouragan ravageur, dévastateur qui traverse l’empire de Babylone, ce sont ces alliés d’autrefois : Élamites, Mèdes qui se sont associés à la puissance perse. Le désert de la mer, devient maintenant l’amer désert d’une ancienne puissance soumise au jugement de Dieu.
Le prophète n’est pas pour autant dans la joie. Dans ce royaume puissant, mais aussi prospère, l’homme de Judée avait su bâtir une petite vie, tranquille, à l’ombre de Babylone. La prochaine chute de l’empire conquérant pourrait le réjouir, mais elle lui apporte la souffrance. Car s’ouvre un temps de guerre et de violences, mais surtout un temps d’incertitude. Isaïe sait que rien ne sera jamais plus comme avant, qu’un monde nouveau est à naître dans des douleurs d’enfantement, sans savoir ce qui va surgir : le pire ou le meilleur ?
Rien n’est sûr, et l’homme ne sait rien. Ses certitudes d’une vie bonne et tranquille, où l’on mangeait et buvait, vacillent maintenant sous les actions de Dieu, maître de l’Histoire. L’homme n’a rien vu venir et ne voit rien. Et on le comprend bien. Car l’orgueil, les certitudes comme l’indifférence rendent aveugle et sourd. Et il lui faut la voix du Seigneur, la Parole de Dieu pour l’éveiller à la volonté divine.
Place un guetteur.
Car ainsi m’a parlé le Seigneur : « Va, place un guetteur : ce qu’il voit, qu’il l’annonce ! S’il voit un char attelé de deux chevaux un attelage d’âne ou de chameau, qu’il fasse attention, qu’il redouble d’attention ! » Et le veilleur a crié : « Au poste de guet, Seigneur, je me tiens tout le jour. À mon poste de garde, je reste debout toute la nuit. Voici ce qui vient : sur un char attelé de deux chevaux un homme qui parle et dit : “Elle est tombée, Babylone, elle est tombée, et toutes les statues de ses dieux gisent par terre, brisées.” » Is 21,6-9
Place un guetteur, dit le Seigneur. On attend habituellement d’un prophète qu’il voit loin dans le temps et l’espace… Mais Dieu demande à Isaïe de désigner quelqu’un d’autre pour cette tâche Va, place un guetteur. Le Seigneur l’oblige à renoncer à une partie de son pouvoir. Ce renoncement se fait au profit d’un étrange veilleur. Il est présent jour et nuit, à son poste de guet, debout, et sa parole est une prière et une profession de foi. Au poste de guet, Seigneur, je me tiens tout le jour dit le guetteur. Ce dernier supplée à la faiblesse des hommes. Sa voix retentit pour Dieu et pour annoncer un monde nouveau : Elle est tombée Babylone avec toutes ces idoles.
Car Dieu sait que nous sommes faillibles, imparfaits parfois aveugles et sourds quoique prophètes, prêtres et rois. Et Dieu sait que nous avons besoin d’un veilleur qu’il nous envoie en son propre fils pour, jour et nuit, veiller sur le monde du haut d’une croix, du haut de sa gloire.
Veilleur où en est la nuit ?
« Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où donc en est la nuit ? » Le veilleur répond : « Le matin vient, et puis encore la nuit… Si vous voulez des nouvelles, interrogez, revenez. » Is 21,11-12
Interroger et revenir, sans cesse. Interroger cette parole de Dieu et revenir à elle, encore. Interroger ce Fils, revenir vers Dieu, son père, et revenir à nos sœurs et frères, la nuit comme le jour. Aujourd’hui comme demain à l’écoute de la parole de Dieu
Les citations et références sonores (podcast)
- Is 21 – Oracle sur la mer : https://www.aelf.org/bible/Is/21
- Retrouvez le texte de cette publication et les autres « 40 déserts » sur https://www.aularge.eu/blog/40-deserts-2/
- Le chant du désert, chanson de Claude Nougaro, album Femmes et famines (1975)