Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? : On connaît ce refrain des fils d’Israël dans leur errance au désert.
Nourriture misérable
Ils quittèrent Hor-la-Montagne par la route de la mer des Roseaux en contournant le pays d’Édom. Mais en chemin, le peuple perdit courage. Il récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Nb 21,4-5
Perdre courage, être dans le dégoût pour une nourriture misérable qui n’est autre que la manne : cette fois-ci les récriminations ne portent plus sur un manque d’eau ou de nourriture seulement, ni même s’opposent l’autorité de Moïse et d’Aaron. Les Hébreux sont découragés par les nombreux détours : les nations étrangères refusent un passage vers la terre de Canaan. Bien plus, ce découragement se change en révolte, opposition. Ils en viennent à rejeter cette manne qu’est le don de Dieu. Dans le livre des Nombres les récriminations vont crescendo et ici nous sommes à la dernière plainte des fils d’Israël, c’est dire la gravité du moment. Car le dégoût de la manne reflète un dégoût de ce Dieu qui les guide.
A ce point du récit, les Hébreux ont déjà contesté l’autorité même de Moïse et d’Aaron (Nb 14-20). Ils pensaient alors que leurs difficultés et leurs épreuves venaient d’un problème de structure, de compétence, de hiérarchie, comme nous le dirions aujourd’hui. Ils pensaient en termes d’organisation ce qui n’est que ministère et service au nom du Seigneur. Les récriminations concernant la nourriture et l’eau, plaintes récurrentes, révèlent une mauvaise compréhension de la volonté divine. Le bienfait divin attendu est pensé en termes de bénéfice immédiat et de biens à pourvoir. Or la promesse de Dieu est celle d’une terre, à venir, où coulent le lait et le miel, promesse d’une terre donnée pour vivre ensemble selon l’Alliance.
La réponse de Dieu sera à la mesure de leur révolte.
Les serpents brûlants
Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël. Nb 21,6
Cela peut nous paraître inhumain et sans cœur de la part du Seigneur. Le texte parle littéralement non pas de morsure brûlante mais des serpents brûlants qui mordirent le peuple. Cette désignation étrange souligne le caractère métaphorique du récit qui a ici la force d’une parabole. Refuser le salut Dieu, sciemment, c’est s’affronter aux dangers et surtout à la mort. Sans Dieu, nous ne pouvons vivre, telle serait la leçon de cet épisode, en résumé. Mais il n’y a pas que cela.
Le choix des serpents n’est pas anodin. Il peut bien sûr nous renvoyer au serpent de la Genèse qui détourne, par sa parole mensongère, la créature de son créateur (Gn 3). Et finalement ici, on pourrait lire les récriminations des fils d’Israël comme une volonté d’émancipation et de séparation d’avec Dieu, comme un certain fils cadet vis-à-vis d’un père aimant (Lc 15). Ce choix conduit à la misère. Ici les serpents sont nombreux, plus brûlants que le désert, plus dangereux que le pain de Dieu. Dans ces antiques temps bibliques, le serpent un être souvent divinisé ayant le pouvoir de mort par son venin, et d’immortalité par sa mue qui symbolise sa renaissance permanente. Mais le serpent n’est pas dieu : il ne peut que faire mourir. Il faudra encore, et toujours, ce dialogue avec le Seigneur pour voir le salut et la vie jaillir à nouveau.
Le serpent de bronze
Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! » Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie ! Les fils d’Israël partirent et campèrent à Oboth. Nb 21,7-10
Historiquement, ce serpent de bronze pourrait évoquer cette représentation qui avait une place installée au Temple et que le roi Osée détruisit à cause de pratiques idolâtres dont il était l’objet (2R 18,4). Dans notre passage, il sert d’étendard pour la guérison. Aux serpents nombreux et mortels, Dieu substitue un serpent de bronze, unique et salvateur. Le Seigneur fait passer le peuple d’une multiplicité d’idoles à une unique figure. Mais ce serpent-là n’est pas la statue d’une divinité guérisseuse. Il est élevé en haut d’un mat, et le peuple n’a pas à lui offrir sacrifices et offrandes. Sur ordre du Seigneur lui-même, il est dressé vers le haut.
Selon le livre de la sagesse, ce serpent de bronze est le signe visible et le mémorial de la Loi. Il rappelle au peuple que le salut ne se confond pas avec le désir de l’homme mais surgit de la parole du Seigneur :
Et même, quand s’abattit sur les tiens la fureur terrible de bêtes venimeuses, lorsqu’ils périssaient sous la morsure de serpents tortueux, ta colère ne persista pas jusqu’à la fin. C’est en guise d’avertissement qu’ils avaient été alarmés pour un peu de temps, mais ils possédaient un signe de salut, qui leur rappelait le commandement de ta Loi. Celui qui se tournait vers ce signe était sauvé, non pas à cause de ce qu’il regardait, mais par toi, le Sauveur de tous. Sg 16,5-8.
La tradition juive rappellera égalment que le salut n’est pas dans le serpent, mais en ce qu’il oblige les fils d’Israël à lever les yeux vers le Ciel c’est-à-dire à se détourner de toute idolâtrie pour mieux tourner son regard vers le Seigneur lui-même. C’est cette image que l’évangéliste Jean reprendra à propos de Jésus lui-même qui disait à Nicodème :
Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Jn 3,13-15.
Nos yeux sont invités désormais à se tourner vers le signe du sauveur qu’est Christ crucifié, contempler cet amour livré pour notre guérison.
Les citations et références sonores (podcast)
- Nombres 21 : https://www.aelf.org/bible/Nb/21
- Le serpent de bronze selon Sg 16 : https://www.aelf.org/bible/Sg/16
- Le serpent de bronze selon Jn 3 : https://www.aelf.org/bible/Jn/3
- Retrouvez le texte de cette publication et les autres « 40 déserts » sur https://www.aularge.eu/blog/40-deserts-2/
- Les dix commandements, film de Cecil B. DeMille (1956) avec Charlton Heston, Yul Brynner