Désert 36 – Si l’on vous dit : “Le voilà dans le désert”, ne sortez pas (Mt 24)

L’onction de Béthanie dans l’évangile selon Jean (Jn 12), précède le dernier repas de Jésus où celui-ci lavera les pieds de ses disciples (Jn 13). Mais ce chapitre de l’évangile est aussi le moment où Jésus annonce la faiblesse et la fragilité de ces mêmes disciples qui l’abandonneront, le renieront, ou le trahiront. La passion de Jésus s’annonce comme une véritable traversée solitaire d’un désert.

Carl Bloch, Le reniement de Pierre, XIX°s.

La Gloire du Fils

L’évangile du jour annonce la trahison de Judas et le reniement de Pierre. Entre ces deux instants, les paroles de Jésus affirment sa prochaine glorification. C’est ce passage qui nous intéresse aujourd’hui :

Or il faisait nuit. Quand [Judas] fut sorti, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt. Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi. » [ … ]  Simon-Pierre lui dit : « Seigneur, où vas-tu ? » Jésus lui répondit : « Là où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; tu me suivras plus tard. » Jn 13,30-36.

Dans ce récit, l’évocation de la glorification de Jésus est située entre l’annonce de sa trahison par Judas et celle du reniement de Pierre. La Gloire du Fils se manifeste et se manifestera au cœur même d’un drame humain et d’une faillite ecclésiale. Les disciples n’ont pas tenu. Il fait nuit, les ténèbres envahissent donc la scène. Mais malgré cela, Jésus annonce une victoire : la sienne et celle du Père qui se confondent. Ce qui est d’ailleurs rassurant et plein d’espérance. La faiblesse des disciples, leur reniement, leur trahison n’affectent en rien la détermination du Christ à manifester au monde l’amour du Père, jusqu’au bout. Mais de quoi parle Jésus lorsqu’il évoque ici sa glorification en l’associant à un départ énigmatique ?

Albrecht Altdorfer, le Christ en Croix entre Marie et Jean, 1512

Seigneur où vas-tu ?

Pour peu de temps je suis encore avec vous… Vous me chercherez… là où je vais vous ne pouvez y aller…. Seigneur où vas-tu ? tu ne peux me suivre maintenant, tu me suivras plus tard ?

Le mystère plane pour les disciples comme Pierre… de quoi parle Jésus en évoquant un départ ? Les destinations sont à la fois multiples et uniques. L’arrestation, le procès, la croix… Jésus part vers sa mort déjà annoncée et là nul ne pourra le suivre, ni mourir à sa place comme le voudrait Simon-Pierre. Au contraire, Jésus sera seul à vivre sa Passion et chez l’évangéliste Jean, il sera seul à porter sa croix. Mais il ne s’agit pas de solitude. Jésus, en sa passion, combat ces ténèbres de haine, de trahison et de mondanité. Il est seul, car il est le seul à pouvoir les vaincre : là où je vais nous ne pouvez me suivre. Crucifié, il ouvrira, pour ces disciples, cette porte de Salut d’où jaillissent l’eau, le sang et l’amour du Père. Ce départ vers la croix, vers l’amour donné pour ses disciples, est aussi un départ vers le Père comme le premier verset de ce même chapitre  nous l’avait laissé entendre :

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. (13,1).

Jusqu’au bout, voilà sa destination où nul homme ne pouvait le précéder. Cette fin, cet ultime fin, désigne donc non seulement la croix, mais aussi l’élévation vers le Père. Il ne s’agit pas d’un simple retour au Père mais d’un accomplissement. Son départ signe la fin et la réussite de sa mission. Car désormais l’amour du Père, rendu visible jusque sur la croix, est accessible à tous, à ceux qui l’ont suivi mais aussi à ceux qui l’ont abandonné, renié comme à ceux qui l’ont trahi ou condamné.

El Greco, Le Christ portant la croix, 1580

Et le désert dans tout ça ?

Pour le désert, il va falloir nous rendre chez l’évangéliste Matthieu, où Jésus annonce l’avènement du Fils de l’Homme.

Si quelqu’un vous dit : “Voilà le Messie ! Il est là !” ou bien encore : “Il est là !”, n’en croyez rien. Il surgira des faux messies et des faux prophètes, ils produiront des signes grandioses et des prodiges, au point d’égarer, si c’était possible, même les élus. Voilà : je vous l’ai dit à l’avance. Si l’on vous dit : “Le voilà dans le désert”, ne sortez pas. Si l’on vous dit : “Le voilà dans le fond de la maison”, n’en croyez rien. En effet, comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi sera la venue du Fils de l’homme. Selon le proverbe : Là où se trouve le cadavre, là se rassembleront les vautours. Aussitôt après la détresse de ces jours-là, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté ; les étoiles tomberont du ciel et les puissances célestes seront ébranlées. Alors paraîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme ; alors toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine et verront le Fils de l’homme venir sur les nuées du ciel, avec puissance et grande gloire. Mt 24,23-30.

Ce texte est ambivalent à dessein. Car s’il évoque le retour du Seigneur à la fin des temps, la parousie, l’évangéliste use aussi du vocabulaire même de la croix. Le Fils de l’homme se révèle non pas dans les signes grandioses, ni pra des prodiges, ni par des prophéties… mais au cœur des ténèbres, là où le soleil s’obscurcit, là où tous se frappent la poitrine, là où s’élève un signe dans le ciel, le signe de la Croix. Voilà le Messie qui n’est plus au désert, ni même dans les maisons. Il n’est même plus ce cadavre qui attire les vautours, mais le Vivant qui, élevé de terre, attire à lui tous les hommes (Jn 12,32). S’il nous faut le chercher, c’est dans cette exposition d’une vie et d’un amour livrés jusqu’au bout et pour le monde et qui fait lever nos yeux vers le Père.

Vous me chercherez disait Jésus à ses disciples. L’évangile selon Jean est, à ce propos, encadré par ces deux questions de Jésus. « Que cherchez-vous ?» demandait-il aux premiers disciples (Jn 1,38). « Qui cherches-tu ? » demandera-t-il à Marie de Magdala (Jn 20,15). La quête d’un salut est devenue la quête du Sauveur que nous sommes invités à reconnaître depuis la croix jusqu’au Vivant du tombeau vide.  

Vous me chercherez …. disait Jésus, et si nous pensons l’avoir trouvé nous avons toujours à le reconnaître et le découvrir davantage dans son évangile jusque dans nos déserts.


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