La Bible nous livre, dans l’Ancien et Premier Testament, deux récits d’ascension avec Hénoch et Élie que nous allons aborder aujourd’hui avec d’autres figures. Avec Hénoch le patriarche et Élie le prophète, nous évoquerons aussi l’ascension du scribe Esdras et celle du zélé Pinhas que nous conte la littérature apocalyptique juive. Je ne vais pas faire un catalogue exhaustif mais évoquer ces figures légendaires et nous demander quel était le sens de ces anciens récits d’ascension céleste.
Élie
L’ascension du prophète Élie est sans doute le récit le moins méconnu. Élie, ce un prophète du IX°s en Israël, est un héros majeur des livres des Rois (1R 17-2R 2). Nous y avons déjà fait allusion à propos de sa fuite au désert (Désert 10 – 1R 19) et de sa mission reçue du Seigneur à l’Horeb (Désert 35 – 1R 19). Élie doit faire face au culte païen de Baal, diffusé et soutenu, selon les livres des Rois, par le roi Achab et son épouse Jézabel. Le récit de l’ascension d’Élie est un passage assez développé qui met en scène le prophète, son disciple Élisée et un groupe appelé fils de prophètes. Comme on l’entend le récit souligne l’autorité prophétique d’Élie ; une autorité qui est bien supérieure à celle du roi puisqu’Élie, sous les yeux des prophètes, monte vers le Seigneur.
Le passage concernant l’ascension d’Élie (2R 2,1-18) est constitué de deux grandes parties. La première annonce (2R 2, 1-7), triplement, l’enlèvement d’Élisée pour souligner l’importance majeure de l’événement. Ainsi nous voyageons depuis Guilgal jusqu’au Jourdain en passant par Bethel et Jéricho.
2R 2, 1 Voici comment le Seigneur enleva Élie au ciel dans un ouragan. Ce jour-là, Élie et Élisée étaient partis de Guilgal. 2 Élie dit à Élisée : « Arrête-toi ici ; et moi, le Seigneur m’envoie à Béthel. » Élisée répliqua : « Par le Seigneur qui est vivant, et par ta vie, je ne te quitterai pas. » Ils allèrent tous deux à Béthel. 3 Les frères-prophètes de Béthel sortirent à la rencontre d’Élisée et lui dirent : « Sais-tu qu’aujourd’hui le Seigneur va enlever ton maître au-dessus de ta tête ? » Élisée répondit : « Oui, je le sais. Taisez-vous ! » 4 Élie lui dit de nouveau : « Arrête-toi ici ; et moi, le Seigneur m’envoie à Jéricho. » Élisée répliqua : « Par le Seigneur qui est vivant, et par ta vie, je ne te quitterai pas. » Ils allèrent tous deux à Jéricho. 5 Les frères-prophètes de Jéricho s’approchèrent d’Élisée et lui dirent : « Sais-tu bien qu’aujourd’hui le Seigneur va enlever ton maître au-dessus de ta tête ? » Élisée répondit : « Oui, je le sais. Taisez-vous ! » 6 Une troisième fois, Élie dit à Élisée : « Arrête-toi ici ; et moi, le Seigneur m’envoie au Jourdain. » Mais Élisée répliqua : « Par le Seigneur qui est vivant, et par ta vie, je ne te quitterai pas. » Ils continuèrent donc tous les deux. 7 Cinquante frères-prophètes, qui les avaient suivis, s’arrêtèrent à distance, pendant que tous deux se tenaient au bord du Jourdain.
La seconde partie se situe sur les bords du Jourdain. L’ascension d’Élie est alors précédée de deux moments. Comme autrefois Josué (Jos 3), Élie ouvre le Jourdain en deux pour passer à pieds secs, et Élisée demande à hériter de l’autorité et de l’esprit de son maître qui sont symbolisés par son manteau.
2R 2 8 Élie prit son manteau, le roula et en frappa les eaux, qui s’écartèrent de part et d’autre. Ils traversèrent tous deux à pied sec. 9 Pendant qu’ils passaient, Élie dit à Élisée : « Dis-moi ce que tu veux que je fasse pour toi avant d’être enlevé loin de toi. » Élisée répondit : « Que je reçoive une double part de l’esprit que tu as reçu ! » 10 Élie reprit : « Tu demandes quelque chose de difficile : tu l’obtiendras si tu me vois lorsque je serai enlevé loin de toi. Sinon, tu ne l’obtiendras pas. » 11 Ils étaient en train de marcher tout en parlant lorsqu’un char de feu, avec des chevaux de feu, les sépara. Alors, Élie monta au ciel dans un ouragan. 12 Élisée le vit et se mit à crier : « Mon père !… Mon père !… Char d’Israël et ses cavaliers ! » Puis il cessa de le voir. Il saisit ses vêtements et les déchira en deux. 13 Il ramassa le manteau qu’Élie avait laissé tomber, il revint et s’arrêta sur la rive du Jourdain. 14 Avec le manteau d’Élie, il frappa les eaux, mais elles ne s’écartèrent pas. Élisée dit alors : « Où est donc le Seigneur, le Dieu d’Élie ? » Il frappa encore une fois, les eaux s’écartèrent, et il traversa. 15 Depuis l’autre rive, les frères-prophètes, ceux de Jéricho, l’aperçurent et dirent : « L’esprit d’Élie repose sur Élisée ». Ils vinrent donc à sa rencontre et se prosternèrent jusqu’à terre devant lui. 16 Ils lui dirent : « Voici justement qu’il y a, parmi tes serviteurs, cinquante hommes valeureux. Permets qu’ils aillent à la recherche de ton maître. Peut-être l’Esprit du Seigneur l’a-t-il enlevé et déposé sur quelque montagne ou dans quelque vallée ! » Il répondit : « N’envoyez personne ! » …
Après l’ascension d’Élie, le récit se poursuivra par la recherche vaine de celui-ci par les fils des prophètes qui accueilleront Élisée comme le successeur d’Élie. L’épisode de l’ascension en lui-même est décrit assez brièvement :
Char et chevaux de feu
[Élie et Élisée] étaient en train de marcher tout en parlant lorsqu’un char de feu, avec des chevaux de feu, les sépara. Alors, Élie monta au ciel dans un ouragan.Élisée le vit et se mit à crier : « Mon père !… Mon père !… Char d’Israël et ses cavaliers ! » Puis il cessa de le voir. 2R 2,11-12.
Ouragan, char et chevaux de feu. La narration insiste sur ce merveilleux qui exprime la présence de Dieu lui-même. Il n’est pas seulement le Créateur, mais le Tout-puissant. L’image est très guerrière. Mais que signifie une telle mise en scène ? Chars et chevaux sont l’insigne de la puissance armée et de la richesse des grands rois. Or, justement, dans un chapitre précédent (1R 22), les armées des rois d’Israël et de Juda ont été vaincues et le roi Achab meurt sur son char, se vidant de son sang, victime de la guerre mais aussi de son impiété et de son iniquité.
La vraie royauté et la vraie victoire se manifeste maintenant avec Élie, à cette frontière du Jourdain symbole de la conquête de Canaan. La puissance armée et conquérante du Seigneur, avec ce char et ces chevaux, n’exprime pas une puissance meurtrière telle celle d’Achab, mais une puissance de vie et de justice, qui accueille Élie le prophète. Son élévation est le prix obtenu par sa fidélité et son humilité, c’est-à-dire : son amour du Seigneur. La force d’Israël n’est donc pas dans la royauté des hommes, mais dans la parole de Dieu dont le prophète est messager. L’ascension d’Élie est de l’ordre de la victoire de Dieu sur la mort, le mal et l’injustice.
Hénoch
Un autre personnage bénéficie lui aussi d’une ascension céleste dans la Bible : Hénoch, aïeul de Noé. Mais le livre de la Genèse ne dit rien de lui sinon qu’il vécut en tout trois cent soixante-cinq ans. Il avait marché avec Dieu, puis il disparut car Dieu l’avait enlevé. Gn 5,23-24. Là aussi, l’enlèvement auprès de Dieu est associé à sa fidélité : celui qui a marché avec le Seigneur, autrement dit : en suivant ses volontés, Hénoch obtint la vie auprès de Dieu, une vie éternelle. Le livre est suffisamment laconique, pour qu’une littérature apocalyptique plus tardive s’empare de ce personnage pour en faire le héros du livre d’Hénoch, un prophète mystique et visionnaire décrivant tout autant la chute des anges que le jugement dernier. Mais intéressons-nous à son ascension qui nous est ainsi décrite en résumé :
Ensuite, il arrive que le nom de ce Fils d’homme [Hénoch] fut élevé vivant auprès du Seigneur des esprits et retiré d’entre les habitants de la terre. Il fut élevé sur le char du vent, et fut son nom fut retiré d’entre eux. Depuis ce jour, je n’ai plus été compté parmi eux. Il a été placé […] là où les anges avaient porté les cordeaux afin de mesurer le domaine destiné aux élus et aux justes. […] Michel un des saints anges m’a pris par la main droite […] il m’a conduit vers tous les mystères. Il m’a montré tous les mystères de miséricorde […] et tous les mystères de Justice. (I Hen 70, 1 sq.)
La littérature apocalyptique est un genre littéraire destiné à encourager le croyant dans la foi et la fidélité à Dieu au milieu des épreuves. Ici l’ascension du juste, encore sur un char, qu’est Hénoch, montre bien que la puissance de Dieu tient à sa miséricorde et sa justice. A ceux qui, comme plus tard Noé, ont suivi ses voies, malgré la haine des hommes, à ces justes, et à ceux qu’il aura choisi par grâce, Dieu prépare une demeure. L’ascension d’Hénoch exprime ce don de Dieu, et exhorte le croyant à la fidélité.
L’ascension temporaire d’Esdras et de Pinhas
Je ne vais pas décrire tous les récits de la littérature inter-testamentaire à propos des ascensions. On pourrait, il est vrai, évoquer le IV° livre d’Esdras qui reprend la figure du scribe du V°s. élevé auprès de Dieu ainsi que la figure de Pinhas, le prêtre et petit-fils d’Aaron de Nb 25, dans le livre des Antiquités Bibliques. Je ne vais pas citer les textes, mais dans ces deux cas de figures, l’élévation ressemble davantage à une mise à l’abri face à des malheurs à venir, avant le retour du Seigneur. D’une certaine manière l’ascension de ces saints hommes, annoncent les épreuves subies par leurs descendants. Ainsi Dieu dit à Esdras : Tu vas être retiré du milieu des hommes pour passer le reste du temps avec mon fils […] jusqu’à ce que les temps soient achevés. Car le monde a perdu sa jeunesse […] des maux biens pires que ceux que tu as connu doivent encore arriver. (IV Esd XIV,1-17). Et à Pinhas : Tu seras élevé au lieu où ont été élevés ceux qui t’ont précédé et tu resteras jusqu’à ce que je me souvienne du monde (AntBibl. XLVIII). Ainsi l’ascension du juste revêt une dimension temporaire avant l’intervention et le jugement définitif de Dieu sur le monde.
Et Jésus dans tout ça ?
En définitive, l’ascension de Jésus au ciel n’a rien de nouveau pour le croyant du premier siècle. Elle le renvoie à ces conceptions que nous venons d’évoquer : la réhabilitation du juste, la victoire de Dieu et l’imminence de son jugement sur le monde. Il ne s’agit pas seulement d’une montée spatiale et extraordinaire vers le Seigneur. D’ailleurs nous ne verrons plus de char. Mais l’ascension du Christ manifeste que Celui que les hommes avaient condamné et exposé aux yeux du monde, est désigné maintenant comme juste par Dieu. Son élévation le rétablit non seulement dans son innocence, mais affirme la vérité de ses paroles, de ses actes et de son identité.
Cependant, Jésus n’est ni Hénoch, ni Élie, ni Esdras, ni Pinhas. Aussi le témoignage et les récits que nous allons entendre par la suite en diront plus qu’une simple réhabilitation et protection temporaire, et établiront à leur manière la Seigneurie définitive du Christ.
Références et citations
- L’ascension d’Élie 2R 2,1-18 https://www.aelf.org/bible/2R/2
- L’ascension d’Hénoch selon Gn 5,24 https://www.aelf.org/bible/Gn/5
- Le livre d’Hénoch, in la Bible écrits intertestamentaires, nrf, La Pléïade, p. 549s. trad. André Caquot.
- IV Esdras, in la Bible écrits intertestamentaires, nrf, La Pléïade, p. 1461s. trad. Pierre Geoltrain.
- Livre des Antiquités Bibliques, in la Bible écrits intertestamentaires, nrf, La Pléïade, p. 1360s. trad. Jean Hadot.
- Audio : Lachaim par Kevin MacLeod, est distribué sous la licence Creative Commons Attribution ( https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/ ) / Source : https://incompetech.com/music/royalty-free/index.html?isrc=USUAN1100412