Il n’y a pas de récit d’Ascension de Jésus dans l’évangile selon saint Jean. Mais paradoxalement, l’évangéliste en parle plus abondamment que Luc, Marc et Matthieu. En premier lieu nous nous souvenons qu’au matin de la Résurrection, lorsque Marie de Magdala reconnaît Jésus (épisode 61 Jn 20,11-18) celui-ci lui déclare :
Jean et l’ascension de Jésus
Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. (Jn 20,17)
Chez Jean, l’Ascension de Jésus se confond avec sa résurrection. Le Christ ressuscité est celui qui rejoint le Père ou plus précisément : le Christ est ressuscité pour rejoindre Dieu le Père. Ce n’est pas le seul moment, où l’évangile de Jean évoque l’ascension de Jésus. L’ensemble de l’évangile semble en faire écho. Les références sont si nombreuses que je ne pourrais les commenter une à une. Toutefois, on pourrait les classer en trois thèmes. D’abord chez Jean, la montée vers le Père présuppose la descente de Jésus en ce monde. C’est un premier point. Puis, l’évocation de son élévation, comme dans les autres évangiles, oblige l’associer à l’élévation sur la croix. Enfin le thème de l’ascension de Jésus possède aussi chez Jean une finalité destinée aux croyants avec la promesse de l’Esprit Saint.
La descente de Jésus
Si Jésus monte vers le Père c’est qu’il en est descendu. L’évangile de Jean est celui qui affirme le plus explicitement la préexistence divine du Christ. Dès le prologue l’évangéliste annonçait son incarnation dans le monde : le Verbe s’est fait chair (Jn 1,14). Il faut bien prendre conscience que l’événement n’a rien d’anodin. Cependant, il n’est pas non plus marqué par le sensationnel ou le merveilleux. Comme tous les évangélistes, Jean décrit l’humanité de Jésus semblable à la nôtre jusque dans la mort. C’est justement la résurrection et sa montée vers son Père qui vont révéler son origine divine passée inaperçue jusque-là.
L’évangile selon Jean est le seul qui le révèle d’emblée à ses lecteurs plusieurs fois, particulièrement dans les six premiers chapitres : Car nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme. 3,13. Car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. 6,38.
De l’élévation sur la croix à l’élévation vers le Père
La montée de Jésus vers le Père ne nous est certes pas décrite, mais elle nous est annoncée explicitement pour authentifier l’identité divine de Jésus, mais pas seulement. Dès le commencement du ministère de Jésus, un indice nous est donné. Lorsque Jésus rencontre son futur disciple Nathanaël, il lui déclare ainsi qu’à tous :
Amen, amen, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme 1,51.
Ce verset associe une montée et une descente depuis le ciel, faisant référence au songe du patriarche Jacob qui voyait : une échelle dressée sur la terre, son sommet touchait le ciel, et des anges de Dieu montaient et descendaient. Gn 28,18. Cet épisode annonçait à Jacob, banni de sa famille, que le Seigneur lui confiait la promesse faite à Abraham. La venue de Jésus est associée à la révélation de Dieu et à ces cieux ouverts, c’est-à-dire à la communication entre le monde de Dieu et l’humanité, en vue d’un salut. Ainsi dès le premier chapitre Jésus s’affirme déjà comme ce Fils de l’homme. Or ces cieux et ces anges évoqués se retrouvent à deux autres endroits de l’évangile. Au chapitre 12, peu avant la Pâque, Jésus annonce son élévation sur la croix :
Jn 12, 27 Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! 28 Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » 29 En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » 30 Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. 31 Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; 32 et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » 33 Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
La révélation divine est donc associée pleinement à la mort de Jésus. Et à un autre passage nous retrouvons et les anges et le Père, au matin de la Résurrection avec ces deux anges assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus (20,12) et la parole de Jésus indiquant « je monte vers mon Père et votre Père, vers Dieu et votre Dieu » (20,17)
La montée vers le Père et l’élévation sur la croix participent à la mission de Jésus de révéler le vrai visage de Dieu. L’ascension ou la glorification du Christ, dans l’évangile selon Jean, c’est déjà la croix, le lieu où il révèle pleinement le visage aimant de Dieu : Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. 13,1.
De même, Jésus déclarait durant son ministère : Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS, et que je ne fais rien de moi-même ; ce que je dis là, je le dis comme le Père me l’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable. Jn 8,28-29.
Je ne vous laisse pas orphelin
La résurrection de Jésus et sa montée vers le Père viennent ainsi authentifier cette descente du Christ et Fils de Dieu au milieu des siens pour révéler, jusque sur la croix, le dessein de Dieu. Mais ce passage au milieu du monde, n’est pas seulement un passage furtif ni même une parenthèse quoique déterminante et fondatrice. L’élévation de Jésus sur la croix vers le Père ouvre les cieux à jamais. Elle ouvre un avenir salutaire à ceux qui croient en lui. Le critère d’exemplarité et de fidélité à l’ensemble des commandements devient dès lors caduque en matière de salut. Le seul et unique commandement salutaire c’est l’amour du Christ.
14, 15 Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. 16 Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : 17 l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. 19 D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. 20 En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous.
L’élévation et la glorification de Jésus auprès du Père ouvrent les portes du salut à tout croyant. Il ne s’agit pas seulement d’un salut unique et personnel, mais un appel à rejoindre l’amour qui unit le Père au Fils, et les disciples. L’évangéliste Jean souligne cette dimension ecclésiale dans les dernières paroles de Jésus qui font de ceux qui croient en lui une communauté filiale : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. 20,17.
Ainsi l’élévation de Jésus dans l’évangile de Jean indique cette double fidélité de Jésus à son Père et à ses disciples. Il ne se détache pas d’eux. Au contraire, par l’envoi de l’Esprit Saint, il demeure Celui qui agit pour eux :
14 2 Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : “Je pars vous préparer une place” ? 3 Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. 4 Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » 5 Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » 6 Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. »