Cette parabole s’inscrit dans le contexte de Jugement développé lors de la question précédente sur la venue du règne de Dieu (17,20-37). Dans cet encouragement à persévérer, cette métaphore, invitant à prier sans se décourager, met en scène un juge et une veuve.
La prière et le jugement (18,1)
18, 1 Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager :
Prier
Le dessein de la parabole est donné d’emblée, chose rare. Il concernera la nécessité pour les disicples de toujours prier sans se décourager. Précédemment, l’annonce de l’avènement du Fils de l’homme était associée au jugement divin et à la croix. La Passion annoncée vient bouleverser les critères du jugement : où se fera la justice ? quelles seront les charges ? … les disciples sont, sur ce point, désorientés. Prière et jugement sont donc étroitement associés. Le jugement du Fils de l’homme est déstabilisant y compris pour les disciples qui sont invités à suivre leur Seigneur jusqu’à perdre leur vie comme si des épreuves les attendaient. La parabole de la veuve et du juge éclaire ainsi, non pas le sens de la prière, mais l’importance de la persévérance.
Le juge impie et la veuve importune (18,2-5)
18, 2 « Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. 3 Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.” 4 Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, 5 comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” »
Est-ce encore un juge ?
La parabole est tout aussi déroutante que le jugement annoncé. Elle présente, en effet, un juge inique et impie. Est-ce encore un juge ? Peut-on juger sans s’appuyer sur le respect des plaignants ? La figure de ce magistrat est loin d’être exemplaire. Il se situe à l’opposé du juge divin. Face à ce juge sans justice : une veuve. Celle qui, en ce premier siècle, ne bénéficie plus d’un défenseur, d’un appui social, économique, et doit ainsi compter sur la charité et l’aumône de son entourage. L’injustice est, souvent, son lot quotidien. Mais c’est à ses côtés que Dieu, le juste juge, se tient :
Ex 22, 21 Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin [dit le Seigneur]. 22 Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri.23 Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
Où est la justice ?
En refusant de donner droit à la veuve, le juge de la parabole n’est plus seulement à l’opposé de Dieu mais en opposition à sa Parole et à sa Loi. Il ne craint ni la justice de Dieu et ne se laisse toucher par personne. Seule l’extrême ténacité de la veuve vient à bout de ce magistrat inique. Pourtant, la justice est certes rendue mais davantage pour un confort personnel que par souci d’équité ou de vertu morale. Grâce à sa prière persévérante, la veuve obtient d’être entendue. La parabole se rapproche en cela de celle du gérant malhonnête (16,1-13) qui donnait en exemple un homme sans moral loué par son maître.
Comme pour cette dernière nous sommes embarrassés. D’une part nous nous réjouissons que la veuve ait été entendue, mais d’autre part, nous ne trouvons rien à féliciter dans l’attitude de ce juge. Où veut donc en venir Jésus ? Où est la justice ici ?
La justice par la foi (18,6-8)
18, 6 Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! 7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? 8 Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Dieu fait justice
Comme pour le mauvais gérant, la parabole souligne le contraste entre le magistrat et l’attitude divine. Si un juge inique et impie fait justice à la demande insistante d’une veuve, combien plus le Seigneur, juste juge, répondra, Lui, sans délai, à la prière des siens. Il n’y a donc plus à se décourager, ni rien à craindre dans le jugement du Seigneur qui connaît ses élus : ceux qui crient vers lui dans la foi face à l’injustice des hommes. La justice est donc maintenant désignée non plus en termes de mérite ou de perfection mais d’élection, c’est-à-dire de relation privilégiée : une relation de foi et d’espérance dont la prière est l’expression même.
La prière et l’espérance
La parabole de Jésus vient opposer deux figures. Il y a d’abord le juge, qui porte un titre et possède le savoir à propos des lois et des jurisprudences. Il est, en théorie, du côté de la justice mais ne l’applique que par intérêt personnel, sans mention de miséricorde. La justice est son métier, il en vit, tranquille. Et il y a cette femme qui vit l’injustice face au mal que lui cause un adversaire. Elle connaît la valeur du mot justice. Il est pour elle synonyme de survie et de salut.
Paradoxalement, comme le montre son opiniâtreté, elle croit toujours en la justice, plus que ce juge inique. Sa prière exprime toute sa foi, son espérance d’être rétablie dans son droit, être sauvegardée du mal et protégée. Or ce que le juge n’entend pas, c’est son drame et sa situation de détresse. Bien plus, cette surdité devient elle-même une affliction supplémentaire. Et la veuve ne doit son salut qu’à sa persévérance dans l’épreuve.
Mais si le juge de la parabole fait le sourd, il est autrement de Dieu et de son Messie. Finalement, la veuve ne doit son salut qu’à sa ténacité, sa fidélité dans la foi. Car le Seigneur entend et fait justice comme un berger envers une brebis égarée (15,1-7), comme le père envers son cadet indigne (15,11-32), comme envers le pauvre Lazare (16,14-31). La prière de cette femme représente cette foi tenace en un Dieu qui entend le cri des siens, sans délai. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? La remarque de Jésus peut nous surprendre, mais sans doute questionne-t-elle à juste titre, la sincérité de notre foi. La parabole suivante nous le fera comprendre.