3ème dimanche de l’Avent (Année A)
Durant ces quatre semaines de l’Avent, nous écoutons les textes de la liturgie à travers le prisme des cinq sens. Après le toucher et l’odorat, les textes de ce dimanche usent du vocabulaire de la vue. Allons regarder cela de plus près.
Dimanche dernier, la prédication du prophète Jean le baptiste nous faisait sentir la proche venue du Royaume et d’un Messie plus grand, plus fort qui baptiserait dans l’eau et le feu, la pelle à vanner à la main… Jésus vient. Est-il le Messie attendu ? Ce qu’il laisse entrevoir de ses actes et ses paroles n’a rien de l’annonce d’un jugement définitif et victorieux sur le mal, les péchés et les pécheurs. Au contraire, par ses paroles et ses actes de guérison, Jésus montre beaucoup de douceur et de miséricorde… Est-il bien le Christ de la fin des temps tel que se le représentait Jean le baptiste ? C’est ce dernier qui va lui poser la question depuis sa prison.
Es-tu celui qui doit venir ?
Mt 11 2 Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux,3 lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » 4 Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : 5 Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.6 Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
Le doute du baptiste
Jean est en prison. Dénonçant le péché du peuple et celui de ses dirigeants, sa parole a suscité la colère d’Hérode qui l’a emprisonné. Jean attend donc son jugement, comme il attend aussi la venue du Juge eschatologique, le messie de la fin des temps, triomphant et victorieux. Depuis sa prison, Jean attend le libérateur divin : mais il ne voit rien venir de grandiose ; mis à part ce Jésus de Nazareth qui n’a pas démontré beaucoup de hargne ni de puissance. Es-tu celui qui doit venir ? ou devons-nous en attendre un autre ?
Depuis sa prison, Jean n’aperçoit pas le salut advenir. La réponse de Jésus pourra-t-elle l’éclairer ? Jésus reprend plusieurs passages du prophète Isaïe : Is 26,19 ; 29,18 ; notre 1ère lecture Is 35,1-6a.10 et Is 61,1. Isaïe voyait ce renouveau d’Israël comme une véritable guérison spirituelle du peuple et la grâce inouï de Dieu.
C’est la vengeance qui vient
Isaïe 35, 1 Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, 2 qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et du Sarone. On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.3 Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent,4 dites aux gens qui s’affolent : « Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » 5 Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. 6 Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, des torrents dans le pays aride. […] 10 Ceux qu’a libérés le Seigneur reviennent, ils entrent dans Sion avec des cris de fête, couronnés de l’éternelle joie. Allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuient.
Les aveugles voient
Dieu vient pour ce jour du jugement : Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. Mais cet avènement n’est pas décrit en termes de combat eschatologique, de pelle à vanner, ou de feu qui ne s’éteint pas (Mt 3,12). La venue du Seigneur est synonyme de conversion qu’exprime ce retour à la vue. La surdité du peuple et ses dirigeants, comme leur aveuglement, sera guérie face à l’évidence de la splendeur de Dieu. En reprenant ces passages du livre d’Isaïe, Jésus veut montrer combien – paradoxalement – sa parole et son action, sont déjà l’avènement de ce Royaume attendu. Il invite à voir la victoire glorieuse de Dieu là où l’on aperçoit que de petits miracles d’un guérisseur itinérant parmi d’autres. Les guérisons de Jésus sont l’accomplissement de ce dessein de Dieu inscrit dans les Écritures.
La discrète splendeur de Dieu
En Jésus, Dieu vient lui-même, mais cette venue ne correspond pas aux représentations habituelles. Jean le baptiste est sans doute à notre image : aveugle sur bien des points. Nous sommes souvent attirés par tout ce qui brille, et surtout par tout ce qui nous fait briller en société… La splendeur de Dieu n’est pas si mondaine, comme le rappelle la suite du discours de Jésus :
Qu’êtes-vous allés voir ?
Mt 11 7 Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean : « Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ? 8 Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ? Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois. 9 Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète. 10 C’est de lui qu’il est écrit : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi. 11 Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui.
Convertir son regard
Pour asseoir sa démonstration, Jésus prend Jean le baptiste à témoin. Jean annonce l’avènement du Salut de Dieu dans la splendeur de sa force et de sa gloire. Pourtant l’homme ne porte sur lui aucun vêtement de splendeur, d’or ou d’argent, aucune armure ou épée. Jean n’a que la parole, celle d’un prophète annoncé par Isaïe et revêtu du manteau en poil de chameau d’Élie (2R 1,8). Jésus oblige à regarder Jean à travers les lunettes de l’Écriture. Ce sont-elles qui nous apprennent à voir avec le regard de Dieu, ce regard qui voit la véritable grandeur dans l’humilité. Ce n’est pas simple d’observer l’espérance de Dieu dans les petites choses, dans l’humble foi. Comment voir un champ de blé, lorsqu’on a sous les yeux un simple grain ?
Voyez !
Jc 5 7 Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience. Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive. 8 Prenez patience, vous aussi, et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche. 9 Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres, ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte. 10 Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.
Le cultivateur, le photographe et le juge.
L’épître de Jacques nous invite à être patient à l’image d’un cultivateur qui sait que tout ne vient pas subitement, et que les premiers germes, bien que discrets, demandent plus encore d’attention. L’impatience nous empêche de voir l’espérance.
Vous savez, c’est un peu comme lorsqu’on prend une photo à l’occasion d’un voyage et d’un événement. Généralement, on prend le monument célèbre, le panorama connu, le héros du jour… (voire soi-même en selfie). Tout ce qui est bien évident ‘beau’ et immédiat à nos yeux. Mais un photographe avisé, ce même jour, prendra tout son temps pour faire contempler le détail incongru, cet anonyme qui passe au bon moment sous la bonne lumière ou encore les à-côtés banals d’un concert.
La lettre de Jacques nous invite-t-elle pas non plus à regarder le cultivateur, c’est-à-dire celui qui nous apprend justement à voir, à contempler. Pour Jacques ce sont ces prophètes qui jouent ce rôle d’éducateur du regard dans la foi. Ceux qui espéraient un salut alors que leurs contemporains étaient aveuglés par l’indifférence et la peur.
Voyez, le juge se tient à notre porte. Un juge qu’il nous faut contempler jusque dans sa miséricorde, ce Christ-juge qui, avant de nous condamner, nous invite à convertir nos regards, à les abaisser encore pour mieux contempler l’humble splendeur de Dieu.