Parallèles : Mc 1,14-15 | Lc 4,14-15
3ème dim. (année A) Mt 4,12-23
L’évangile de Matthieu nous avait raconté la rencontre entre le baptiste et Jésus de Nazareth (3,13-17) lors de son baptême dans les eaux du Jourdain. Jésus invitait Jean à le laisser agir. L’évangéliste décrivait ainsi Jésus comme celui par qui le Salut advient, au sein d’une rencontre rédemptrice qu’attestait la manifestation divine dans les eaux du Jourdain.
Sitôt après, Jésus se rend au désert pour quarante jours. Ce récit des tentations au désert est omis dans cette lecture ‘suivie’ de l’évangile de Matthieu (nous l’entendrons lors du premier dimanche de carême). La victoire sur le diable annonce déjà la victoire définitive du Christ lors de la Passion et de la Résurrection. Le récit de ce dimanche faisant suite à ces tentations au désert, nous introduit à la mission victorieuse de Jésus en Galilée.
Trois parties
Ce passage se présente en trois scènes qui, au premier abord, ne semblent n’avoir qu’un lien purement narratif. Jésus quitte Nazareth pour Capharnaüm (1), puis appelle ses premiers disciples au bord de la mer de Galilée (2) avant de prêcher et d’annoncer le Royaume des Cieux (3) en Galilée. Dans ce passage les indications géographiques sont nombreuses : on peut entendre dix noms de lieux (si l’on inclut les versets 4,24-25) : Galilée, Nazareth, Capharnaüm, Zabulon, Nephtali, Jourdain, mer de Galilée, (et Syrie, Décapole, Jérusalem, Judée et l’au-delà du Jourdain). Cette concentration de lieux et la répétition du mot Galilée, indique qu’il y a là un enjeu. Mais lequel ?
Matthieu et Marc
Il bon de comparer ces deux évangiles, cela nous permet de voir les points d’insistance et les particularités de Matthieu. On pourra consulter le commentaire du passage parallèle chez Marc sur ce blog : Mc 1,14-20. Pour les débuts du ministère de Jésus, Matthieu et Marc suivent une même ligne narrative : arrivée en Galilée après l’arrestation de Jean, puis prédication et enfin appel des quatre premiers disciples. Mais le point commun s’arrête ici.
Matthieu poursuit avec la mention de guérisons multiples et de la renommée grandissante de Jésus, juste avant son discours sur la montagne. Marc, quant à lui, fait mention de la guérison d’un démoniaque et de la belle-mère de Pierre (passages que Matthieu racontera après le long discours de Jésus sur la montagne), introduisant une série de récits de controverse.
Le lien entre les trois ?
Ce passage de l’évangile selon Matthieu précède et introduit au discours sur la montagne (Mt 5-8). Son rôle est donc différent de celui de Marc. Et c’est sans doute pour cette raison que le contenu du récit diffère. Matthieu a amplifié la venue de Jésus à Capharnaüm par une longue citation du livre d’Isaïe. Et si l’appel des quatre premiers disciples est quasi-similaire, au mot près, la troisième section sur son enseignement et ses guérisons lui est très particulière.
Matthieu relie ses trois moments. La venue de Jésus en Galilée constitue l’accomplissement des Écritures et du dessein de Dieu. Avec Jésus le Royaume des Cieux est proche et cette proximité s’inscrit dans un même appel qui unit conversion et suivance de Jésus dont le groupe des disciples, embryon ecclésial, en devient le signe. Dieu vient pour accomplir toute justice, comme annoncé au baptiste (Mt 3,15). Les guérisons de Jésus montrent que ce Royaume est bien une réalité divine qui apporte le relèvement de toute injustice, par la victoire sur le mal et la maladie.
La Galilée et l’Écriture (4,12-17)
Parallèles :Mc 1,14-15 | Lc 4,14-15
4 , 12 Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée. 13 Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali. 14 C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe : 15 Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations ! 16 Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée. 17 À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Trois fonctions
L’originalité de l’évangéliste Matthieu tient dans cette citation de l’Écriture. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet : Matthieu est très sensible à cet accomplissement des Écritures qu’il cite plus abondamment que les autres. Jésus est l’envoyé de Dieu qui vient répondre à la promesse de Dieu, à l’annonce des prophètes et à l’attente du peuple.
La citation du livre d’Isaïe (Is 8,23-9,3) a une triple fonction. Premièrement, elle fait suite à la mention de l’arrestation de Jean et la venue de Jésus à Capharnaüm. Cette collusion aurait pu apparaître comme une véritable fuite face à l’adversité : Jean arrêté, Jésus aurait-il eu peur de subir un tel sort ? Il serait alors revenu se réfugier en Galilée, mais non pas dans sa ville natale. Comme si Jésus cherchait à se cacher à Capharnaüm. Matthieu veut éviter cette interprétation.
Deuxièmement cette citation n’est pas anodine, elle est l’une des rares dans la Bible à magnifier le rôle de l’actuelle Galilée. Cette dernière est mal considérée par les Judéens. La Galilée est une province, qui, surtout depuis la période hellénistique (300-64 av JC.), a vu s’installer une population païenne, impure, parlant le grec, avec ses dieux, ses thermes, aux côtés de quartiers ou de villages essentiellement juifs. La période romaine n’a évidemment rien changé à cette situation. L’attente messianique de ce premier siècle n’a pas les yeux tournés vers cette Galilée, suspectée d’impureté. Ce passage du livre d’Isaïe sert donc à brosser un portrait plus positif de la Galilée et plus que cela.
Sa troisième fonction est de faire de la Galilée, le lieu même de l’avènement du Salut. Isaïe décrit ce territoire comme un lieu de confusion. Selon le prophète, Zabulon et Nephtali sont bien deux des douze tribus d’Israël mais pourtant habitées par des païens. Cependant, c’est bien au cœur de cette confusion, de ces ténèbres que se manifeste la lumière du Salut.
Galilée des Nations
Cette citation d’Isaïe nous permet de faire le lien entre cette venue de Jésus en Galilée, à Capharnaüm au bord de mer, avec son baptême. De même qu’il est venu, lui le Fils de Dieu, se mêler aux pécheurs du Jourdain, de même il vient au milieu dans cette Galilée des Nations. Sa venue vient inaugurer un temps nouveau, celui de l’avènement du Royaume. Isaïe annonce ainsi la victoire de la lumière divine au sein même de ce pays de l’ombre de la mort.
Jésus accomplit l’Écriture en donnant sens et chair à la parole d’Isaïe. Sa présence en Galilée n’est pas de l’ordre d’une simple origine (Nazareth), ni d’une fuite, mais elle exprime la volonté de Dieu de venir, non au sein des purs, ni même à la frontière, mais au-delà comme le montrera la troisième section de ce passage.
L’appel des premiers disciples (4,18-22)
Parallèles : Mc 1,16-20 | Lc 5,1-11
4, 18 Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs. 19 Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » 20 Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent. 21 De là, il avança et il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque avec leur père, en train de réparer leurs filets. Il les appela.22 Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent.
Pêcheurs d’hommes
Je ne vais pas trop commenter ces versets. Je vous renvoie à ce que j’ai pu en dire dans la version de Marc (3,14-20). Je ne ferai que quelques remarques, concernant la place de récit.
Dans cet avènement du Royaume, parmi ceux qui habitent l’ombre de la mort, il y a ces quatre marins. Ils travaillent sur ces eaux dangereuses dont les profondeurs symbolisent justement la mort. Ils naviguent ainsi sur cette triple frontière : cette Galilée entre Israël et les Nations, cette rive entre terre et mer, et cette mer entre mort et vie. Par la Parole de Jésus advient une vie nouvelle à ces frères qui l’ont accueillie : ils seront pêcheurs d’hommes (Jr 16,16). Suivre Jésus constitue un chemin de vie et une vocation, celle de ramener à la lumière et à la vie, ceux qui habitent les profondeurs de la mort et de la désespérance : les pécheurs comme les infirmes, les malades comme les tourmentés. Le rassemblement et le salut annoncé par Jérémie (Jr 16,16) advient désormais.
L’enseignement et guérisons (4,23-25)
Parallèle : Mc 3,7-12
4, 23 Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Évangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple. 24 Sa renommée se répandit dans toute la Syrie. On lui amena tous ceux qui souffraient, atteints de maladies et de tourments de toutes sortes : possédés, épileptiques, paralysés. Et il les guérit. 25 De grandes foules le suivirent, venues de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée, et de l’autre côté du Jourdain.
De la Galilée… et de l’autre côté du Jourdain
Matthieu redessine totalement la géographie. Jésus en devient le centre. Tout converge vers lui. La renommée de Jésus atteint toute la province romaine de Syrie. Il faut entendre ici cette région qui s’étendait depuis Antioche sur l’Oronte, au nord, jusqu’à Gaza au sud, en passant par Damas sa capitale. En plus de la Syrie, qui symbolise une géographie politique, Matthieu intègre aussi une géographie religieuse en faisant mention de Jérusalem et de la Judée aux côtés de la Décapole et autres régions transjordaniennes. La renommée de Jésus atteint toute région juive ou païenne. Matthieu insiste sur cette universalité du Salut que vient apporter ce Fils Galiléen de Dieu.
Face à ces royaumes mondains, c’est le Royaume qui advient, apportant une Parole de Salut qui se déploie en guérison. Cette voix de Jésus qui retentit depuis la synagogue, Matthieu nous la fera entendre avec le discours sur la montagne.