Dimanche des rameaux
Mt 21,1-11
Le récit de l’entrée dite ‘triomphale’ de Jésus à Jérusalem, fait partie de ces quelques épisodes communs aux quatre évangiles. Évidemment, chacun l’évoque à sa manière, omettant, ajoutant, ou modifiant quelques éléments. Est-ce de l’ordre de l’anecdote ? ou bien veulent-ils tous et chacun souligner un trait particulier pour donner sens à la venue de Jésus à Jérusalem peu avant sa Passion ? Que nous dit Matthieu à ce propos ? L’entrée triomphale de Jésus tient-elle d’une ovation avant un match ou déjà une victoire ?
Un moment solennel
Les quatre évangiles ont choisi de mettre en avant cette tradition sur Jésus, et parfois de manière développée : la recherche précise d’un âne suivie de la description de l’accueil aux portes de Jérusalem. La solennité de l’évènement est soulignée voire même embellie. Deux moments qui en disent plus qu’une simple chronologie des faits.
Si j’ai déjà évoqué cette entrée qualifiée de ‘triomphale’ à Jérusalem lors du commentaire de l’évangile de Marc , je ne pourrai la reprendre intégralement pour Matthieu. Leurs différences sont pourtant légères mais non moins signifiantes. Reprenons-les à grands traits.
Quatre récits
Le récit de cet épisode se trouve dans les quatre évangiles : Mt 21,1-11; Mc 11,1-11; Lc 19,28-40 et Jn 12,12-16. Celui de l’évangile selon Jean est le plus succinct. La montée à Jérusalem via Béthanie et Bethphagé est passée sous silence, et un ânon l’attend, simplement, au moment de l’acclamation de foule avec ses rameaux. L’évangéliste johannique ne fait pas dans l’emphase. Il souligne juste mais de manière explicite, comme le fera Matthieu, que Jésus accomplit la parole du prophète Zacharie (Za 9,9 – cf. ci-après).
Cette brièveté du quatrième évangile doit nous rendre attentif aux trois autres évangiles synoptiques. Ils ont pour point commun de distinguer deux moments dans cette entrée de Jésus à Jérusalem : la recherche d’un ânon d’une part, et l’ovation de Jésus d’autre part. Ce dernier moment, avec ou sans rameaux, suscite la réaction des spectateurs (sauf en Marc) qu’ils soient disciples (Jn), jérusalémites (Mt) ou pharisiens (Lc).
Ânon et ânesse pour le roi (21,1-7)
21, 1 Jésus et ses disciples, approchant de Jérusalem, arrivèrent en vue de Bethphagé, sur les pentes du mont des Oliviers. Alors Jésus envoya deux disciples 2 en leur disant : « Allez au village qui est en face de vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et son petit avec elle. Détachez-les et amenez-les moi.3 Et si l’on vous dit quelque chose, vous répondrez : “Le Seigneur en a besoin”. Et aussitôt on les laissera partir. » 4 Cela est arrivé pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète : 5 Dites à la fille de Sion : Voici ton roi qui vient vers toi, plein de douceur, monté sur une ânesse et un petit âne, le petit d’une bête de somme. 6 Les disciples partirent et firent ce que Jésus leur avait ordonné. 7 Ils amenèrent l’ânesse et son petit, disposèrent sur eux leurs manteaux, et Jésus s’assit dessus.
Un chemin préparé
Le récit de Matthieu rejoint sur bien des points ceux de Marc et de Luc. Le trajet amène ainsi Jésus à prendre la route de Bethphagé, via le mont des oliviers pour arriver – face au temple – à Jérusalem. Ce chemin n’est pas anodin et cela à plusieurs titres. Il évoque celui que David prit – mais en sens inverse – pour fuir lors du coup d’état de son fils (2S 16). La route de Jésus est donc un chemin de reconquête royal. Mais nous le savons, ce chemin-là passe par le mont des Oliviers qui n’est pas sans évoquer déjà, le jardin de l’arrestation.
La préparation de ce voyage de moins de quatre kilomètres est quand même exceptionnelle. Jésus envoie deux disciples avec des instructions précises. Tout semble prêt: l’ânon et sa mère, le lieu où ils se trouvent, ce qu’on doit dire… Il serait vain de se demander : comment Jésus a-t il pu préparer cela alors que ses apôtres et disciples eux-mêmes semblent ignorant à ce sujet ? Justement, le texte veut nous laisser dans l’ignorance. Ce qui est imprévisible pour les disciples – et le lecteur – est connu de Jésus. Pour le dire autrement, les évangiles soulignent que Jésus sait la gravité du moment, que ce séjour à Jérusalem est d’importance. Jésus rejoint son destin, mais plus encore, il est rejoint par la Parole de Dieu qui l’attend sur le chemin.
L’ânon de la Parole de Dieu
La mention de l’ânon est commun aux quatre évangiles. Mais seul Matthieu a ajouté à ses côtés l’ânesse. Pourtant la référence à l’Ecriture ne fait mention que d’un petit d’âne.
Za 9,9-10 : Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays.
Cet ânon sur le chemin veut rappeler au lecteur que Jésus accomplit l’Ecriture, non pour la mimer à la lettre, mais pour signifier qu’il met en œuvre le dessein de Dieu, son Père. Il est bien ce roi que Jérusalem attend, à la fois juste et victorieux, mais aussi humble et pauvre. Là encore, Matthieu souhaite nous donner des clefs de lecture pour comprendre le drame de la Passion à la lumière du dessein divin. Mais pourquoi faire mention d’une ânesse en plus ?
Matthieu est un fin connaisseur des saintes écritures. Il mêle souvent, à la manière de poupées gigognes, une citation dans une autre citation. L’ânesse pourrait ainsi évoquer un autre moment : la victoire d’Israël, ovationnée, par la prophétesse Déborah :
Jg 5,10-11 Le cœur va aux chefs d’Israël, à ceux du peuple qui s’offrent librement. Bénissez le Seigneur ! Vous qui montez des ânesses blanches, vous qui siégez sur des tapis, et vous qui marchez sur la route, parlez ! Dans les propos échangés auprès des abreuvoirs, là, on raconte les justes actions du Seigneur, la justice de sa force en Israël. Alors, le peuple du Seigneur est descendu aux portes.
Comme son ânon, Jésus ne rentre pas seul à Jérusalem, c’est toute la parole de Dieu, le dessein du Père, qui l’accompagne et qui, en premier, l’ovationne.
Une ovation pour le messie (21,8-11)
21, 8 Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. 9 Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui suivaient criaient : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 10 Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut en proie à l’agitation, et disait : « Qui est cet homme ? » 11 Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »
Des branches
Dans l’évangile selon Matthieu, ce sont des foules nombreuses qui acclament la venue de Jésus, munies de branches. Jean de son côté (12,13) précise des ‘branches de palmiers‘ pour souligner la dignité de l’hôte. Mais chez Luc, il n’y a point de branches , ni même de feuillages comme chez Marc (11,8). Rien, comme quoi on peut se passer de rameaux, pour accueillir le ‘fils de David qui vient au nom du Seigneur‘. De même, au lieu de grandes foules, Marc a préférée une scène plus intimiste avec ses disciples. Chez Matthieu c’est toute la ville de Jérusalem qui accueille Jésus entrant en procession.
Mais pourquoi des branches d’arbres ? Ce n’est pas très astucieux, ni confortable : comment avancer sur un sol jonché de branches ? Là encore, Matthieu nous renvoie à l’Ecriture et au prophète Isaïe qui déclarait :
Is 55,11-13 Ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. Oui, dans la joie vous partirez, vous serez conduits dans la paix. Montagnes et collines, à votre passage, éclateront en cris de joie, et tous les arbres de la campagne applaudiront de leurs branches.
Hosanna
En cette entrée à Jérusalem, toute la Parole de Dieu accueille le Messie. Les foules le désignent avec le titre royal de ‘fils de David’ et la dénomination messianique ‘celui qui vient au nom du Seigneur‘. Hosanna, c’est-à-dire : “Dieu sauve !”. Mais il faudra bien des conversions pour que ce royal fils de David soit reconnu ‘roi des juifs’ crucifé (27,37) , et que le messie de Dieu soit confessé ‘Fils de Dieu’ (27,54).
Il nous faudra aussi saisir combien ces branches qui acclament sont aussi celles de la croix, que ces cris de victoire se taisent avant de resurgir en vraie joie au tombeau vide… Son ultime et définitif triomphe.