Autre dimanche, autre lieu. Ce n’est plus près de la pierre que nous emmènent les textes de ce dimanche, mais dans la maison des disciples. C’est ce que nous donne à entendre notamment le passage des Actes des Apôtres.
La communauté de Jérusalem
Ac 2 42 Les frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières. 43 La crainte de Dieu était dans tous les cœurs à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres. 44 Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; 45 ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun. 46 Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple, ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ; 47 ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.
Maison et église au temps des apôtres
Ils rompaient le pain dans les maisons, ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur. On lit et on entend souvent, ici et là, combien ce confinement nous impose de retrouver l’esprit de ces maisons-églises du temps des apôtres et de saint Paul, que le foyer familial serait à leur image, comme une église domestique. Au risque de vous décevoir, cette comparaison ne tient pas voire s’oppose à la réalité de ces « églises domestiques » du Ier siècle. Car en ces maisons, et les lectures de ce dimanche nous le rappellent, ce sont d’abord des disciples qui s’y rassemblent, et non la famille qui y demeure. Ce sont d’abord des maisons-ecclésiales avant d’être des églises domestiques.
Le livre des Actes des apôtres évoque ici la communauté de Jérusalem peu après la Pentecôte. Mais en ce même livre durant ses vingt-huit chapitres, Paul, ses compagnons et ses disciples se verront obligés de quitter la synagogue pour retrouver un lieu de rassemblement. La maison deviendra alors le lieu ecclésial où les disciples réunis – et pas seulement la famille – écoutent la parole, partagent le pain, prient et vivent la fraternité dans la communion.
Une maison en copropriété
Dans ce passage du livre des Actes des Apôtres, tout est partagé : le pain, la louange, le repas, mais aussi les biens… et la maison durant les rassemblements. Ainsi la maison-église n’est pas un lieu de confinement d’une famille chrétienne, mais un lieu de rencontre et de partage. On s’y entasse parfois, cinquante tout au plus car même les grandes domus antiques ne peuvent accueillir davantage. En ce premier siècle, les communautés sont plutôt réduites, se réunissant parfois dans une petite pièce. Dans sa lettre aux Romains, Paul évoque ainsi dans cette même ville de Rome, plusieurs communautés attachées chacune à une maison :
Rm 16, 1…16 Saluez de ma part Prisca et Aquilas, mes compagnons de travail en Jésus Christ, […] Saluez l’Église qui se rassemble dans leur maison. […] Saluez ceux [qui sont/se réunissent] chez Aristobule. […] Saluez les gens [qui sont/se réunissent] chez Narcisse […] Saluez Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, et Olympas, et tous les fidèles qui sont avec eux.
Car un lien nouveau attache ces chrétiens les uns aux autres. La maison demeure malgré tout familiale et telle est sa vocation : accueillir ces frères et sœurs en Jésus-Christ. « frères et sœurs », ce n’est pas un slogan, une interpellation liturgique. Il s’agit d’un lien fort qui va même surpasser les liens de sang. Les évangiles eux-mêmes en témoignent, lorsque Jésus dit de ses disciples : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? » Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère. » Mc 3,33-35. De même, dans un des discours de Matthieu, Jésus souligne la primauté de la fidélité au Christ sur celle du clan familial : Le frère livrera son frère à la mort, et le père, son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort. Vous serez détestés de tous à cause de mon nom Mt 10,21-22.
En Christ, l’Église est devenue maison, une copropriété, ou plutôt une colocation – car nul n’en est propriétaire, sinon Dieu.
Mais ne nous faisons pas d’illusion. Ces premières communautés chrétiennes vivent également, en interne, des rivalités, des guerres et abus de pouvoirs, etc… comme le révèle la première de saint Paul aux Corinthiens (1Co). Il faut être réaliste et ne pas trop porter aux nues ces premières communautés, même si nous avons beaucoup à apprendre d’elles ou, du moins, de ce que nous enseignent Saint Paul ou les évangélistes.
Une maison ou un kibboutz ?
Revenons à cette vie chrétienne qui nous apparaît aujourd’hui exemplaire à entendre ce chapitre des Actes des Apôtres. Tout paraît si simple et naturelle. On croirait entendre la fondation du premier kibboutz de l’histoire en Israël. Ce qui n’est pas tout à fait exact. D’autres communautés juives, comme celle des esséniens, vivent ce partage. Elles ont d’ailleurs cela en commun. Ce vivre ensemble ecclésiale n’est pas seulement une communauté autonome, autofinancée et solidaire.
Ce partage des biens pour le souci des plus pauvres, rejoint le dessein de salut de Dieu. Ce Règne annoncé et accompli par la venue du Christ et le don de l’Esprit se manifeste maintenant de manière concrète. La vie de la communauté est à l’image d’une terre promise, celle que Dieu donne à son peuple, où règne sa paix, et où « il n’y aura plus de pauvres parmi vous » Dt 15,5.
La maison des frères en Christ fait signe de l’avènement, aujourd’hui et concrètement, du Règne de Dieu. Le culte y est célébré, le repas de communion est partagé et la Parole proclamée par les Apôtres. Une parole qui s’inscrit à jamais dans les cœurs. Ces premiers chrétiens vivent de la Parole du Christ, elle est même première : dans le livre des Actes des Apôtres, elle en est même l’héroïne.
La vie de cette communauté, racontée à la manière de Luc (auteur du livre des Actes des Apôtres), est aussi caractérisée par la diversité de sa vie. Pas seulement la louange, mais aussi la charité. Pas seulement le partage, mais aussi l’enseignement des Apôtres. Et pas seulement la fraction du pain mais aussi la fréquentation du Temple.
Une maison-témoin
Ici les portes sont déverrouillées. Car ces disciples de Jésus ne se sont pas coupés du monde ni même du monde de Jérusalem. Ils continuent à se rendre au Temple, à prier avec d’autres juifs. Ils sortent, ils vivent comme vivrait tout habitant de Jérusalem. Ils n’ont pas peur de ce monde. Ils sont la « maison témoin » du règne Dieu avec cette simplicité du cœur qui les caractérise. Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.
Cette phrase vient en conclusion de ce passage du livre des Actes des Apôtres. Luc a d’abord décrit l’idéal communautaire avant d’aborder la mission. Cette dernière ne peut exister que parce que la communauté, petite cellule de disciples, en son sein, vit la fidélité à l’évangile, en frères, en sœurs, simplement. Cette humilité et cette pauvreté de la maison tranche, en ce premier siècle, avec ce grand temple de Jérusalem, ou ailleurs d’autres temples, d’autres basiliques. Mais pourtant, c’est bien en cette maison que bat le cœur de l’Église, et que se répand l’Évangile, la Bonne Nouvelle du Christ Ressuscité.