5ème dimanche de Pâques (A)
Jn 14,1-12
Avec ce passage, nous abordons le premier discours d’adieu de Jésus à ses disciples après le lavement des pieds. L’évangéliste du quatrième évangile tient à développer, avant le récit de la passion, le sens de cette dernière que ce soit pour le Christ, comme pour les disciples. Ici, il tient à exprimer le rôle du départ de Jésus vers le Père et la condition des disciples après sa mort et sa résurrection.
Le discours testamentaire (Jn 14)
Ce qu’on appelle « discours testamentaire » est un genre littéraire bien connu de l’Antiquité. Un homme convie ses proches (famille ou amis) pour leur délivrer ses dernières paroles avant sa mort. Généralement, le discours est l’occasion d’enseignements, d’encouragements et d’avertissements à destination des héritiers. Le discours donne sens à la vie du légataire, et oriente celle des destinataires qui devront vivre de son héritage et en son absence. Bien évidemment les véritables destinataires sont, avant tout, les lecteurs.
Ce genre littéraire est aussi présent dans la Bible avec les dernières paroles de Jacob à ses fils (Gn 49) ou celles de David à Salomon (1R 2). On pourrait aussi qualifier le livre du Deutéronome de livre testamentaire de Moïse aux fils d’Israël.
Ici, Jésus transmet, une dernière fois, ses enseignements à ses disciples. Ce qu’il a reçu du Père leur est offert. Mais s’il parle de son départ, que sera celle de sa glorification auprès de Dieu, c’est pour mieux insister sur sa continuelle présence et communion par l’envoi du paraclet, ou défenseur, qu’est l’Esprit Saint.
Organisation du discours
L’ensemble du discours (14-16) est souvent interrompu par un disciple qui, par une question, permet à Jésus de rebondir sur un point. Dans un premier temps, le discours semble s’interrompre lorsque Jésus conclut au verset 14,31 « Levez-vous partons d’ici ! » marquant une réelle rupture. Cet ordre de Jésus est assez surprenant puisqu’il reprend aussitôt son discours au verset suivant (15,1) jusqu’à la fin du chapitre 17, où enfin Jésus et ses disciples quittent ce lieu. Cette incohérence narrative est la trace d’une édition antérieure de l’évangile johannique. Un seul discours testamentaire précédait la passion, avant que le rédacteur ultime ajoute et poursuit avec un autre discours de Jésus se concluant par sa prière au Père. Le discours testamentaire, telle que nous le lisons aujourd’hui est donc constitué de deux grandes sections : 14,1-31 et 15,1-16,33.
Cette première partie du discours (14,1-31) insiste sur la foi en Christ. Il est celui qui révèle pleinement le Père. Cette foi doit accueillir ce départ annoncé, qui suscite l’incompréhension des disciples (14,1-14). Ils associent ce départ à l’absence et à l’abandon. La promesse de l’Esprit Saint, un autre Défenseur, vient assurer les disciples de la continuelle présence du Christ à ses disciples (14,15-21). Bien plus, ce don divin, agit en faveur de la communauté et inscrit les disciples dans l’amour du Christ et du Père (14,22-31).
Les demeures du Père (14,1-3)
14, 1 Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. 2 Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, vous aurais-je dit : “Je pars vous préparer une place” ? 3 Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. »
Un appel à croire
Jésus vient d’annoncer sa mort et son départ vers le Père, ce qui provoque à la fois le trouble des disciples et leur incompréhension. Ils sont bouleversés face à la mort ou au pouvoir du mal. (11,33,12,27,13,21). L’évangéliste souligne ici la difficulté d’associer la mort du Messie avec une victoire sur le mal et la mort. En apparence, la croix en révèlerait au contraire l’abandon de Dieu. Ce trouble des disciples dit cette faille de la foi qui peine à accueillir le drame de la croix.
Dans ce discours les paroles de Jésus sont un appel à croire au sein de l’annonce de la Passion : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Cet appel à la foi est aussitôt suivi d’une promesse : celle de demeures préparées pour les disciples. Cette promesse est ici le signe de la victoire du Christ désormais auprès du Père. La mort de Jésus n’a nullement empêché sa trajectoire vers le Père, bien au contraire, c’est le Christ victorieux qui parle et agira encore pour ses disciples. Vainqueur de la mort, sa glorification auprès du Père ouvre l’avenir à ses disciples qui sont appelés eux-aussi à être dans la proximité du Père.
Mais de quelles demeures parle-t-il ?
Contrairement à l’apocalyptique juive, l’évangéliste ne perd pas son temps à décrire ces demeures élitistes et étagées. Il y a ici plusieurs demeures, sans que l’une d’elle ait plus de valeur qu’une autre. La multiplicité évoque une surabondance et non une hiérarchie. Il y aura de la place pour tout le monde. Ces demeures promises sont liées uniquement à la foi au Fils et au Père. Il ne s’agit pas d’être quelque part mais auprès de quelqu’un, auprès du Christ.
La relation est privilégiée sur un mérite quelconque. Ce sont les demeures de la foi, une habitation vivante pour un rassemblement. Ainsi l’évangéliste souhaite montrer que ces multiples demeures font partie de l’unique maison du Père, et qu’il n’y a pas d’abime entre cette maison d’en haut et la communauté d’en bas : le Christ se propose ici comme le médiateur entre la maison divine et le monde des disciples. L’évènement de la Croix ouvre donc sur l’espérance du salut, une demeure en Christ, une communion au Père qui est déjà présente.
Là où je vais (14,4-9)
14, 4 « Pour aller où je vais, vous savez le chemin. » 5 Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? » 6 Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. 7 Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » 8 Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » 9 Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : “Montre-nous le Père” ?
Une foi, un chemin
La question de Thomas permet de tenir dans une vision dynamique de la foi qui ne peut s’appuyer uniquement sur une demeure promise plus tard. La maison est la destination dans la foi, mais cette foi est aussi un chemin, et bien plus : une personne. Je suis le chemin, la vérité, la vie, trois thèmes inséparables (chemin de vérité et de vie ou vrai chemin de vie). Jésus se pose ainsi comme le seul capable de faire parvenir (sur ce chemin) les disciples vers le Père. Il n’est pas un guide (ou guru) les menant à la vérité, il est la vérité. Il ne les emmènera pas dans la vie (éternelle), il est la Vie. Mais il se trouve toujours là : il faut passer par lui, la porte des brebis (Jn 10,1-10). Sa relation est donc vitale.
Dans ce discours d’adieu, Jésus s’attribue le rôle donné traditionnellement à la Loi de Moïse qui est aussi décrite en terme de chemin, de vérité et de vie, comme en témoignent, entre autres, ces quelques passages :
Ps 25,4 Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur; enseigne-moi tes routes. 5 Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours.
Ez 18,9 il chemine selon mes lois; il observe mes coutumes, agissant d’après la vérité: c’est un juste; certainement, il vivra– oracle du Seigneur Dieu.
L’invitation à croire (14,10-11)
14, 10 Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; le Père qui demeure en moi fait ses propres œuvres. 11 Croyez-moi : je suis dans le Père, et le Père est en moi ; si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
Le Père demeure en moi
Il n’est donc plus question d’éthique, ni de savoir, ni fidélité scrupuleuse aux rites et aux préceptes, ni même à d’autres mérites. Le seul lieu de salut s’appuie sur la foi au Christ. Par sa Parole comme par ses œuvres, le Fils oriente ses disciples vers le Père. Il se présente ici comme l’expression unique de l’amour et du salut de Dieu. Un salut qui ne tient plus désormais aux actes méritoires du croyant, mais à la grâce du Christ qui agit pour lui, comme l’indique la suite de ces versets.
Je vais vers le Père (14,12-14)
14, 12 Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père. 13 et tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils.14 Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai.
Une relation nouvelle
La foi au Christ, et au Christ crucifié, ouvre le croyant à une relation nouvelle à Dieu et au monde. Généralement, dans la foi populaire et pharisienne, le « faire » précédait le salut. Les « bonnes œuvres » garantissaient la vie éternelle. Dans les synoptiques, l’homme riche exprime cette pensée traditionnelle : « que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? » (Mc 10,17). Ici Jésus renverse la conception commune. Le « faire » devient le déploiement de la foi. C’est en mettant son amour et sa confiance en son Seigneur crucifié et glorifié, que la communauté croyante déploie son témoignage dans le monde. Car l’orientation n’est plus centrée sur le croyant, mais sur le témoignage croyant. Les œuvres auxquelles ici Jésus fait référence, renvoient systématique dans l’évangile selon saint Jean, aux paroles et aux signes que Jésus donne à entendre et à voir en vue du révéler l’amour du Père.
Jn 10,32 J’ai multiplié sous vos yeux les œuvres bonnes qui viennent du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider ?
Ainsi ce « faire » n’est pas un capital ou une norme à préserver, mais un don à déployer. Toute la vie du croyant et de la communauté est inscrite sur cette relation actuelle et vivante avec le Christ : Demander « en mon nom », pour le Fils agisse… pour la gloire du Père… et le salut du monde. C’est ainsi que cet appel à Croire sera suivi d’un appel à aimer.