C’est l’image, pour ne pas dire l’icône, qui risque de décorer bien des églises, lors du dimanche de la Pentecôte : une colombe, pour désigner l’Esprit Saint donné aux disciples le jour de la Pentecôte. Mais que ce soit le récit de Jean (Jn 20,19-23) ou celui des Actes des Apôtres (Ac 2,1-11) aucun d’eux ne fait référence au symbolique pigeon, uniquement évoqué lors du baptême de Jésus. A la Pentecôte, le volatile est absent et il faut qu’il le soit.
Ne prenons pas l’Esprit Saint pour un pigeon
À force de symboliser l’Esprit Saint par une colombe, nous risquons de chosifier réifier ce don de Dieu. Or, l’Esprit Saint n’est pas quelque chose, pas même quelque chose comme une force, une puissance : c’est quelqu’un, et ce quelqu’un est divin. C’est bien Dieu lui-même, et non un « animal », ni une divinité représentée, à la manière païenne, sous une forme zoomorphe. Alors pourquoi cette colombe ? Certes, elle est biblique, sainte et universellement reconnue. Elle nous renvoie au Jourdain lors de la venue de Jésus auprès de Jean le baptiste : l’Esprit descend des cieux « comme » une colombe dit Marc (1,10).
L’événement de la théophanie du Jourdain marquait l’unité et l’union, dans l’Esprit, entre Dieu et son Fils bien-aimé. L’image de la colombe donnait à comprendre avant de donner à voir, même si les interprétations à son sujet sont très diverses. Symbolise-t-elle l’Esprit d’amour de Dieu comme dans le cantique des cantique (Ct 5,2) ? ou renvoie-t-elle, plus probablement, au souffle (esprit) créateur qui planait à la surface des eaux (Gn 1,2 ) ? Au Jourdain, la colombe joue son rôle, mais aucun des textes ne la reprendra par la suite pour le don de l’Esprit aux disciples.
D’autres symboles
Il n’y a pas de colombe à la Pentecôte, pas plus que du feu mais « comme » des langues de feu (Ac 2,3). Pas plus que du vent, mais « comme » un violent coup de vent (Ac 2,2). Tout est suggéré. Le « comme » de Luc évite toute chosification. Même Jean, dans sa version, indique que Jésus « souffla » sur les disciples, nous renvoyant au souffle divin créateur de Gn 1,2. Les termes de « feu », de « bruit », de « vent » renvoient aux manifestations divines du Sinaï (Ex 19). Ainsi, par ces éléments de langage, Luc exprime, dans le récit des Actes des Apôtres, combien le Dieu d’Israël et de Moïse se manifeste dans l’histoire du Salut accompli en Jésus-Christ. Cette présence divine bouleverse l’intérieur de la maison, de la ville mais aussi l’intériorité des Apôtres.
Dans les Actes des Apôtres, le récit de la Pentecôte suit un mouvement – que devront suivre les disciples – depuis l’intérieur de la maison pour aller vers des horizons lointains et extérieurs.
Tempête dans la maison
Ac 2, 1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours, ils se trouvaient réunis tous ensemble. 2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent : la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière. 3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu, qui se partageaient, et il s’en posa une sur chacun d’eux. 4 Tous furent remplis d’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
Du don de la Loi au don de l’Esprit
Le récit de Luc situe la manifestation de l’Esprit à l’occasion de la fête juive de Pentecôte (Chavouot). A cette époque, cette ancienne fête agraire, célébrait le don de la Loi fait à Moïse au Sinaï (Ex 19). Aussi, Luc en reprend-il quelques expressions comme le « bruit » et le « feu ». Mais tout sera différent. Tout se passe dans cette maison des disciples, et non plus sur la montagne. C’est dans cet intérieur que Luc entend suggérer la venue de l’Esprit par des éléments plutôt extérieurs : feu et vent.
Comme si la création tout entière entrait dans la maison, comme si le Créateur lui-même venait, non pas refaire les tapisseries, mais tout faire renaître. Il ne sera nul besoin de donner « quelque chose », une loi nouvelle, des commandements mis à jour. Comme Jésus l’avait promis, Dieu se donne lui-même, et si abondamment que les disciples sont « remplis » de son Esprit Saint, comme recréés pour une vie nouvelle comme l’attendait le prophète Ézéchiel :
Ez 36 26 Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. 27 Je mettrai en vous mon esprit…
La loi nouvelle n’est plus inscrite sur des tables de pierre, celles-ci ont été roulées pour dévoiler le mystère du Christ, ce Jésus de Nazareth, crucifié, ressuscité. La présence de Dieu devient toute intérieure, et le premier fruit de ce don est celui de la Parole. Une Parole déjà universelle.
La foule de la Pentecôte
Ac 2 5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. 6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
Un nouveau pèlerinage
La fête de la Pentecôte, comme celle de Pâques, attire beaucoup de pèlerins juifs, venus de Judée, de Galilée mais aussi de « toutes les nations qui sont sous le ciel ». On pouvait dénombrer jusqu’à des centaines de milliers de pèlerins, au pire seulement quelques dizaines de milliers. Tous venant pour ce pèlerinage au Temple. Normalement. Car ici, ce n’est plus le Temple mais la maison des disciples qui devient le lieu de pèlerinage.
En ce jour de Pentecôte, une foule se rassemble (et ce verbe est important) près d’un nouveau sanctuaire, lieu de présence active du Seigneur. Ils ne sont pas venus en raison de phénomènes merveilleux ou de miracles, mais à la « voix ». Comme s’ils avaient reconnu la voix de Dieu, attirés par la Parole de Dieu… mais ce qu’ils entendent est différent de leur attente. Car ce n’est pas une voix, mais plusieurs. Ou plutôt une même voix, en plusieurs langues. Polyphonie de l’Esprit qui se fait entendre par la bouche de la communauté, non en borborygmes, ni en roucoulements, mais en langues bien compréhensibles. La Parole de Dieu se donne à tous, universellement.
Parthes, mèdes…
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient : « Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? 9 Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, de la province du Pont et de celle d’Asie, 10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l’Égypte et des contrées de Libye proches de Cyrène, Romains de passage,11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »
Un langage nouveau
La description des pèlerins juifs rassemblés donne à voir, avec la Judée, la géographie de la diaspora juive. A l’universalité géographique du message, Luc se superpose l’universalité de la foi naissante : Juifs de naissance et païens convertis. Certes nous sommes ici dans la sphère du Judaïsme, mais pointe déjà l’universalité de la mission, qui ira au-delà de ces frontières, jusqu’aux purs païens et barbares.
Cependant il ne s’agit nullement de conquête à mener, d’évangélisation à marche forcée. Car si la parole des disciples et apôtres, au service de l’Esprit et de la Parole, fait entendre les merveilles de Dieu en toutes langues, elle est aussi celle qui interroge. L’extraordinaire ne mène pas à la foi. Les pèlerins oscillent entre émerveillement et stupéfaction. Ne prenons pas les croyants (présents ou futurs) pour des pigeons. Leur étonnement ne s’arrête pas au seul fait que ces Galiléens incultes parlent des langues étrangères, mais qu’ils racontent en leur langue, en toutes langues, les merveilles de Dieu. Car celles-ci sont une histoire, un nom, une présence. Elles sont un langage nouveau celui de l’Esprit de l’Évangile du Christ de Dieu.
Rempli d’Esprit Saint, Pierre tiendra aussitôt un discours (Ac 2,14-39) qui, reprenant les promesses divine du Salut, désignera Jésus comme Christ qui, élevé par la droite de Dieu, a reçu du Père l’Esprit Saint qui était promis, et il l’a répandu sur nous, ainsi que vous le voyez et l’entendez. […] et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera.
On ne dit pas chosifier mais réifier. Sinon, super article !
Corrigé. Merci !