Paralèlles : Mc 13,9-13 | Lc 12,11-12
Avec ces versets nous abordons la seconde partie (v.16-23) du discours missionnaire de Jésus à ses apôtres ainsi que la section centrale (v.24-25). Le ton y est très différent. Finies les instructions et les conseils missionnaires, Jésus dévoile à la face de ces Douze récemment choisis, la perspective dramatique des épreuves et des persécutions au sein de leur future mission.
Rappel de l’organisation du discours
Rappelons brièvement l’organisation symétrique de ce discours apostolique, dans lequel se situe notre passage.
- (A) 10,5-15 – Instructions pour une mission humble Ne prenez pas
- (B) 10, 16-23 Les épreuves de la mission
- a 16-18 Méfiez-vous des hommes (gouverneurs, rois, tribunaux et synagogues) à cause de moi
- b 19-20 Ne vous inquiétez pas (L’Esprit de votre Père)
- a’ 21-23 Vous serez détestés (du frère, du père, des enfants, de la ville) à cause de mon nom
- (C) 10,24-25Cœur du discours : Tel maître, tel disciple
- (B’) 10,26-33 L’encouragement dans les épreuves : Ne craignez pas
- (A’) 10, 34-42 Aimer et prendre sa croix
Les versets que nous allons entendre suivent également un schéma concentrique dont le cœur (v. 19-20) « Ne vous inquiétez pas » devient un véritable encouragement, comme le seront les versets 24-25 pour l’ensemble du discours.
Au milieu des loups (10,16-18)
10, 16 « Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et candides comme les colombes. 17 Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux tribunaux et vous flagelleront dans leurs synagogues.18 Vous serez conduits devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : il y aura là un témoignage pour eux et pour les païens.
Épreuves en perspective
La perspective précédente était plus réjouissante : « informez-vous pour savoir qui est digne de vous accueillir» (v.11). L’évangéliste Matthieu fait preuve de réalisme en évoquant maintenant les épreuves qui attendent ses Apôtres. Épreuves qui rejoignent, très probablement, le vécu même de la communauté de Matthieu. Ce dernier insiste encore sur l’humilité de la mission qui s’exprime jusque dans les échecs apparents, les conflits et les persécutions. L’appel missionnaire n’a rien d’un enthousiasme naïf, ni d’une candide euphorie. Ici, Jésus, Messie et Fils de Dieu, a les pieds sur terre, tout comme l’évangéliste qui évoque le vécu de sa communauté face aux contestations, querelles, et conflits en son sein et au sein de la synagogue.
Des brebis contre des loups
Les procès, les condamnations … ne sont pas le signe de l’échec de la mission, ni de l’impuissance divine du Christ à l’égard de ses Apôtres. Matthieu rappelle, par ces paroles de Jésus, que les épreuves sont le lot même (mais non la finalité) de la mission. Elles portent un caractère missionnaire : elles sont aussi, comme la maison de l’hôte du passage précédent, un lieu de témoignage évangélique.
Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. L’annonce de l’Évangile du Royaume, malgré les actes de guérisons et les paroles de paix – et peut-être à cause de ceux-ci – suscite une opposition vive. Une opposition qui vient du milieu même des Apôtres et missionnaires : un conflit d’abord interne qui concerne ce champ missionnaire d’Israël et des synagogues. Une opposition vive qui amènera les disciples d’après Pâques à comparaître devant les autorités païennes.
Mais face à ces oppositions, Jésus n’appelle pas à la révolte, à la résistance armée, mais encore à l’humilité. Les Apôtres n’ont pas à hurler ni avec, ni contre les loups, ni à montrer le bâton – qu’ils ne doivent pas prendre (v.10). Ils sont et demeurent ces brebis du Christ. Là sera leur témoignage véritable. Alors, Matthieu entreprend une étrange comparaison : être prudents, avisés (et non mordants) comme des serpents ; vrais, sans tâche comme des colombes. Intelligence et vérité, voilà les seules « armes » pour l’Évangile, avec l’aide précieuse de l’Esprit du Père.
Ne vous inquiétez pas (10,19-20)
10, 19 Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. 20 Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.
L’Esprit de votre père
Les procès sont définis ainsi comme une véritable tribune pour l’Évangile. Là, ce ne sera pas le savoir des apôtres qui se manifestera, ni leur talent rhétorique, pas même leurs ‘bêlements’ attendris. Les Douze sont invités à endosser pleinement leur confiance filiale : L’Esprit de votre Père parlera en vous. L’Esprit, la parole et le Père … trois éléments que nous avons déjà évoqués au baptême de Jésus dans le Jourdain (Mt 3,16-17). Il ne s’agit plus de contester, mais d’attester de la mission du Fils bien-aimé. Ce Père que Jésus avait au cœur de son discours sur la montagne (Mt 5-7), ce ‘notre Père’ invitant au pardon, comme le Christ invite à l’amour des ennemis. Et les ennemis ne sont pas si lointains.
Le frère livrera son frère (10,21-23)
10, 21 Le frère livrera son frère à la mort, et le père, son enfant ; les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort. 22 Vous serez détestés de tous à cause de mon nom ; mais celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé.23 Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. Amen, je vous le dis : vous n’aurez pas fini de passer dans toutes les villes d’Israël quand le Fils de l’homme viendra.
Dramatiques perspectives
L’Esprit du Père est encore plus nécessaire face à des épreuves bien plus dures dans l’annonce de l’Évangile du Royaume. Le choix du Christ vient ici s’opposer au clan familial, cellule sociétale sur laquelle s’appuie la foi juive, comme également la communauté que désigne ici la ville. Choisir le Christ et annoncer son Évangile suscitera une rupture brutale, radicale et parfois violente avec la tradition familiale et la communauté juive. Là encore il ne s’agira pas pour les Apôtres de combattre, de persévérer dans l’opposition, d’aller au martyre, mais de fuir. De quitter une terre désormais stérile, pour porter la Parole ailleurs en Israël, qui demeure dans ce discours le premier destinataire. Au milieu des drames, la persévérance des Apôtres ne pourra s’appuyer que sur l’Esprit du Père et du Fils de l’Homme.
Tel maître, tel disciple (10,24-25)
10, 24 Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur. 25 Il suffit que le disciple soit comme son maître, et le serviteur, comme son seigneur. Si les gens ont traité de Béelzéboul le maître de maison, ce sera bien pire pour ceux de sa maison.
Le maître de leur maison
Avec ces versets, nous sommes au cœur de l’ensemble du discours apostolique. Avec ce maître et seigneur, c’est bien la figure Christ et Fils de l’homme que nous contemplons. Le Christ n’est pas seulement le contenu du message missionnaire, il est aussi le portait de la mission. Celui qui est contesté, accusé d’être du côté maléfique (Mt 9,34, 12,24), comme seront accusés ses disciples, est Celui-là même qui portera l’Évangile jusqu’à l’abaissement et la condamnation à la croix. Tel est le cœur et l’horizon de la mission.
Jésus ne se présente pas seulement comme un exemple à suivre. Ces versets centraux le désignent, comme le maître de la maison des Apôtres : celui qui accueille, protège, nourrit les siens. S’ils sont rejetés et de leur famille et de leur synagogue, les Douze, comme plus tard l’ensemble des disciples, ont désormais en lui, une maison nouvelle, une nouvelle famille. Et ce maître maison sera aussi leur meilleur défenseur comme le montrera la suite de ce discours.