Parallèles : Mc 4,1-20 | Lc 8,4-15
Changement de décor pour ce nouveau chapitre de l’évangile selon Matthieu. Nous nous trouvons maintenant au bord de la mer de Tibériade au milieu des foules. Changement de ton aussi, puisque nous laissons le débat houleux avec les pharisiens pour des enseignements publics en paraboles.
Sept paraboles
La situation est très différente que le passage parallèle en Marc (cf art. Mc 4,1-34). Exceptées celles du semeur et de la graine de sénevé (ou moutarde), les paraboles de Matthieu sont différentes et plus nombreuses que les cinq racontées par Marc. Nous entendrons ici, sur plusieurs articles, les paraboles du semeur et son explication (13,1-23), puis celles de l’ivraie, de la graine de moutarde et du levain (13,34-35). S’en suivra une explication sur la parabole de l’ivraie (13,36-43), qui a donc ici une position centrale. Enfin une autre série de trois paraboles (le trésor caché, la perle fine, le filet 13,44-53) conclut cette section.
Le semeur (13,1-9)
Mt 13 1Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. 2Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage. 3Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur sortit pour semer. 4Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. 5D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. 6Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. 7D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. 8D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. 9Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
Difficiles terrains
Comme chez Marc (cf art. ), le récit suggère l’identification entre Jésus qui sort pour un enseignement au bord du lac, avec ce semeur sorti pour semer. Mais le contexte est ici assez différent compte tenu des débats précédents. A travers cette parabole, on peut entendre l’allusion aux difficultés de la mission de Jésus et de ses disciples. L’accueil de sa parole ne se fait pas sans difficulté. Les pharisiens ont décidé de le faire périr, et Jésus peine à les convaincre de la nécessaire conversion quant à leur représentation du messie. Ici ce ne sont plus les seuls pharisiens qui sont les destinataires, mais aussi ces foules à qui Jésus s’adresse avec cette expression : Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! Le geste du semeur est large, mais tous les grains ne tombent pas dans la bonne terre, ni dans la bonne oreille.
Mais pour l’instant, la parabole est posée simplement, suscitant l’incompréhension des disciples eux-mêmes.
L’interrogation des disciples (13,10-17)
13 10 Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? » 11 Il leur répondit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. 12 À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. 13 Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre. 14 Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. 15 Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai. 16 Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent ! 17 Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.
Écouter sans comprendre
Si nous considérons encore le parallèle chez Marc, nous pouvons voir combien Matthieu insiste fortement quant à l’incompréhension et la difficile réception de l’Évangile du Royaume. L’expression « écouter sans entendre, regarder sans voir » y est répétée trois fois de diverses manières – Matthieu reprenant plusieurs citations d’Isaïe (6,10 ; 44,18). La dernière évoque l’idolâtrie au sein d’Israël, appelant à la contrition. Les paraboles de Jésus sont donc destinées à assouplir leur sécheresse du cœur, à faire percevoir cette nouveauté du Royaume, tout en soulignant avec réalisme que les choses ne sont pas gagnées pour autant. Mais pour qui l’accueille, cette bonne nouvelle porte du fruit de manière inespérée.
Pour rappel voici le texte parallèle de Marc 4 10 Quand il resta seul, ceux qui étaient autour de lui avec les Douze l’interrogeaient sur les paraboles. 11 Il leur disait : « C’est à vous qu’est donné le mystère du royaume de Dieu ; mais à ceux qui sont dehors, tout se présente sous forme de paraboles. 12 Et ainsi, comme dit le prophète : Ils auront beau regarder de tous leurs yeux, ils ne verront pas ; ils auront beau écouter de toutes leurs oreilles, ils ne comprendront pas ; sinon ils se convertiraient et recevraient le pardon. » 13 Il leur dit encore : « Vous ne saisissez pas cette parabole ? Alors, comment comprendrez-vous toutes les paraboles ?
Jésus, clef de lecture des paraboles
Avec les discours de Jésus donnés à entendre, avec les signes des miracles donnés à voir, les paraboles constituent une autre voie d’annonce du Royaume, une autre manière de faire percevoir son avènement déjà à l’œuvre. L’enjeu vital et salvifique nécessite de tout mettre en œuvre. À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. Un jugement est annoncé pour souligner l’importance de l’accueil de l’Évangile du Royaume dont certains – non par ignorance mais par obstination – se verraient exclus du fait de leur surdité et de leur aveuglement. Les paraboles ont donc un rôle exhortatif visant à faire comprendre l’inouï du Royaume et du Messie.
Cette actualité du Royaume est rendue manifeste par la présence même de Jésus venant accomplir l’espérance des prophètes. Si les disciples sont plus à même d’accueillir, et de comprendre les mystères du Royaume, c’est qu’ils ont déjà mis leur foi en Celui qu’ils ont suivi qu’ils écoutent et voient agir. Jésus se présente donc comme la clef de compréhension de l’Évangile du Royaume, comme des paraboles. Des paraboles tout aussi déconcertantes que Jésus lui-même.
L’interprétation (13,18-23)
13 18 Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur. 19 Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur : celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin. 20 Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; 21 mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt. 22 Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit. 23 Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend : il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »
Des disciples concernés
Si la parabole avait été prononcée pour les foules, l’interprétation est donnée pour les disciples. Ils sont tout aussi concernés et même davantage. S’il y a une invitation forte à la conversion (difficile) de son public galiléen, Jésus insiste maintenant sur la persévérance (difficile) de la foi dans les épreuves, comme face à l’attrait des richesses et des honneurs, ou encore devant les persécutions. L’avenir du disciple n’est pas plus assuré que celles des foules sourdes, ou des pharisiens aveugles. Tous ont à accueillir ce Royaume et à s’en nourrir durablement. Tous sont appelés à devenir cette bonne terre dans laquelle la parole est semée et porte du fruit. Mais qu’est-ce qu’une bonne terre ?
La parabole du semeur n’introduit pas seulement le lecteur au sens des paraboles, elle introduit aussi les suivantes, dont les trois prochaines ont justement la terre et ses fruits pour thème.