Parallèles : Mc 6,30-46 | Lc 9,10-17 | Jn 6,1-15
L’échec de Jésus à Nazareth et la mort cruelle et injuste du baptiste ont terni la proclamation de l’Évangile du Royaume. A la suite de cela, Jésus part s’isoler, ce qui appuie encore sur la dramatique de la situation. Nous sommes loin d’un succès attendu avec la venue et la présence du Fils de l’Homme, Christ, Fils de Dieu mais aussi humble semeur.
A l’écart (14,13-14)
14, 13 Quand Jésus apprit la mort de Jean le Baptiste, il se retira et partit en barque pour un endroit désert, à l’écart. Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied. 14 En débarquant, il vit une grande foule de gens ; il fut saisi de compassion envers eux et guérit leurs malades.
Non pas le prodigieux
Comme dans l’évangile de Marc (Mc 6,30-46), à la mort injuste de Jean le baptiste, répondra le succès de la multiplication des pains. Mais le miracle ne se situe pas uniqument dans des pains et des poissons multipliés. Ce serait une erreur de réduire cette scène à une question d’arithmétique surnaturelle. Alors que Jésus est méprisé par ses propres compatriotes, ceux qui l’ont connu depuis son enfance, alors que la tête de l’ultime prophète vient de voltiger au gré d’une danse, crier au miracle serait dérisoire. Le miracle était espéré par et pour le baptiste. Il n’a pas eu lieu. Les miracles étaient attendu à Nazareth, il n’en fut quasiment rien. Alors à côté de ces dangers, de ces échecs… que sont de simples pains multipliés ?
L’évangéliste sait où doit porter notre regard. Non d’abord sur le prodigieux, ce miracle superstitieux qui effacerait toute difficulté, mais sur ces foules, qui malgré les échecs précédents, poursuivent Jésus jusque dans sa solitude, cet endroit désert, à l’ écart. Ce dernier exprime ici une mise à distance vis-à-vis de l’immédiateté des événements pour inscrire la mission du Christ dans le temps et le projet de Dieu. Quelques versets plus loin, ce même écart servira à dire la prière de Jésus et sa communion au Père (14,23, 17,1,…)
Et toujours ces foules
S’il y a un prodige, il est ici dans la présence de ces foules. Dans la version de Matthieu, elles suivent Jésus , quittant leurs villes, accompagnées de malades. Elles viennent et cherchent Jésus à pied. La prose de Matthieu insiste ce caractère déterminé des foules qui bravent les distances, les difficultés, et semblent longer patiemment la côte en attendant que Jésus débarque.
Le miracle est dans ces foules pleines d’espérance et dans ce regard de Jésus qui à l’image du Père est saisi de compassion. Le regard de Jésus en dit plus sur sa mission que sur l’attente de la foule. Sa mission n’est pas circonscrite aux seuls Nazaréens, ni aux seuls puissants, sages ou savants. Elle est là auprès de celles et ceux qui sont venus jusqu’à lui, anonymes, dans l’attente d’un salut, d’un repos, dont les guérisons sont le signe.
Donnez-leur vous-mêmes à manger (14,14-19)
14, 15 Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent : « L’endroit est désert et l’heure est déjà avancée. Renvoie donc la foule : qu’ils aillent dans les villages s’acheter de la nourriture ! »16 Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger. » 17 Alors ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. » 18 Jésus dit : « Apportez-les moi. » 19 Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ; il rompit les pains, il les donna aux disciples, et les disciples les donnèrent à la foule.
Serveurs pour l’Évangile
S’il y a un manque, il n’est pas exprimé par les foules mais les disciples. Paradoxalement, ils apparaissent nécessairement pragmatiques et cependant moins confiants. Pour eux, le manque de nourriture ne peut être solutionné que par la parole de leur maître : « renvoie ces foules ! » Ce qu’il y a de surprenant, c’est que Jésus les renvoie d’emblée à eux-mêmes.
Ils sont appelés ici à devenir les serviteurs des masses, pour ne pas dire de simples et humbles « serveurs ». Donnez-leur vous-mêmes à manger. Voilà leur mission, une tâche réservée aux subalternes. Ils servent à partir de leur pauvreté : cinq pains et deux poissons. Leur pauvreté, qui est aussi celle de Jésus, devient alors nourriture des foules. Une pauvreté confiée au Christ et au Père au sein de cette simple bénédiction, et d’une fraction ordinaire. Et le miracle est bien plus présent cette fraction qu’en la multiplication. Là encore, il n’y a rien de prodigieux.
Douze paniers (14,20-21)
14,20 Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés. On ramassa les morceaux qui restaient : cela faisait douze paniers pleins. 21 Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille, sans compter les femmes et les enfants.
Douze pour rassasier encore
Douze, comme autant de tribus, hommes, femmes et enfants, rassemblées sur l’herbe, comme autant de disciples choisis pour être Apôtres. Douze paniers pour en nourrir encore de cette pauvreté et dit déjà beaucoup du Père et de la mission du Fils : rassasier les foules.