Parallèles : selon les péricopes (cf. infra)
Dans l’évangile selon Matthieu, les annonces de la Passion sont toutes autant liées à l’identité du Christ et Fils de Dieu qu’à la vie ecclésiale du disciple. Dans cette section, Jésus appelle à un renversement des valeurs et des perspectives de son époque et celle de l’évangéliste.
Les grands et le Royaume (18,1-5)
Parallèles : Mc 9,33-37 | Lc 9,46-48
18, 1 À ce moment-là, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des Cieux ? » 2 Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, 3 et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. 4 Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux. 5 Et celui qui accueille un enfant comme celui-ci en mon nom, il m’accueille, moi.
Devenir un enfant
Cela pourrait nous paraître touchant, doux… tant l’enfance nous évoque l’innocence, l’indolence, des souvenirs nostalgiques. Et beaucoup ont encore du mal à sortir de ce stade. Mais il n’en est pas ainsi en ce premier siècle. Certes on aime ses enfants. On sait qu’ils représentent la continuité, la filiation et le fruit d’une procréation bienfaitrice voulue par Dieu (Gn 1). Mais il n’est pas d’usage d’en faire des enfants rois ou surprotégés. Le but de la vie est de devenir adulte pour vivre, aimer et affronter le monde. L’enfant est donc un être fragile, qui ne sait pas toujours parler, dépend entièrement des adultes. Devenir comme des enfants pour entrer dans le Royaume est donc inconcevable : ce sont les forts, les puissants, les adultes qui sont généralement choisis pour être parmi les grands.
Il y a donc un véritable renversement de perspective. Le disciple du Royaume est invité à se faire (ou mieux à s’accepter) faible et fragile, humble et petit. Cette identité d’enfant est sans doute à mettre en lien avec ce Père que Jésus nous révèle. Le disciple a tout à recevoir de Lui, à se laisser éduquer par Lui, à vivre pleinement son identité filiale. Mais devenir enfant, comme l’exprime Jésus, c’est aussi refuser la mainmise et la domination des grands sur les petits. Le Royaume des Cieux ne peut se vivre dans la logique du pouvoir. Il nous faut « devenir » enfant… autrement dit s’abaisser, être petit comme les fragiles de ce temps. La suite du discours de Jésus va en ce sens.
Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits (18,6-10)
Parallèles : Mc 9,42-48 | Lc 17,1-2
18, 6 Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, il est préférable pour lui qu’on lui accroche au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’il soit englouti en pleine mer. 7 Malheureux le monde à cause des scandales ! Il est inévitable qu’arrivent les scandales ; cependant, malheureux celui par qui le scandale arrive ! 8 Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie éternelle manchot ou estropié, que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel. 9 Et si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne de feu. 10 Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux.
L’attention envers les plus fragiles
Le discours de Jésus prend une autre tournure. Après avoir invité ses disciples à se grandir en devenant petit, il les admoneste à être des plus attentifs et bienveillants envers les petits. Ils sont ici les destinataires privilégiés du Royaume. Les paroles de Jésus n’ont rien de nouveau. Elles reprennent la tradition juive et biblique sur l’attention divine envers les plus fragiles d’Israël:
Ex 22, 20 Tu n’exploiteras pas l’immigré, tu ne l’opprimeras pas, car vous étiez vous-mêmes des immigrés au pays d’Égypte. 21 Vous n’accablerez pas la veuve et l’orphelin. 22 Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri. 23 Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins.
Une occasion de chute
L’abaissement du disciple est donc au service des plus fragiles de la communauté, ceux qui justement sont – souvent dans ces sociétés antiques – méprisés par les grands de ce monde. Mais les paroles ne visent pas seulement à être attentif à ces petits qui peuvent aussi comprendre les petits et fragiles dans la foi. Ne pas être une occasion de chute est mis en parallèle avec les tentations du mépris, c’est-à-dire de faire sentir sa supériorité… chose pouvant être vécue en Église comme dans le soutien solidaire. Les paroles fortes de Jésus en appelle même à se diminuer encore pour être des leurs, de leur famille, la famille du Père.
Une brebis perdue (18,12-14)
Parallèle : Lc 15,1-7
18, 12 Quel est votre avis ? Si un homme possède cent brebis et que l’une d’entre elles s’égare, ne va-t-il pas laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres dans la montagne pour partir à la recherche de la brebis égarée ? 13 Et, s’il arrive à la retrouver, amen, je vous le dis : il se réjouit pour elle plus que pour les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarées. 14 Ainsi, votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu.
La volonté du Père
Ainsi aucun petit ne doit être méprisé, oublié, ni laissé à l’abandon. Tout doit être mis en œuvre, et les bergers avoir le courage de quitter le confort de leur troupeau pour se risquer à la recherche d’une brebis qui aux yeux des hommes n’en vaut peut être pas la peine, mais qui aux yeux de Dieu vaut tout autant que les quatre-vingt-dix-neuf autres.