Parallèles : selon les péricopes (voir infra)
Les passages suivant se déroulent dans cet ‘entre-deux’ géographique qui nous a fait quitté la Galilée pour rejoindre la Samarie. Cependant, Matthieu offre maintenant une visée claire de ce voyage, la Jérusalem de la Passion est désormais explicitement en vue. Mais pour ses Apôtres, l’explicite semble encore flou, comme s’ils avançaient en aveugle.
C’est ainsi que ces versets proposent, avant l’entrée à Jérusalem, trois moments liés les uns aux autres :
- 20,17-19 Troisième annonce de la Passion
- 20,20-28 La demande d’une mère
- 20,29-34 Deux aveugles à Jéricho
Jérusalem et la Passion (20,17-19)
Parallèles : Mc 10,32-34 | Lc 18,31-34
20, 17 Montant alors à Jérusalem, Jésus prit à part les Douze disciples et, en chemin, il leur dit : 18 « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort 19 et le livreront aux nations païennes pour qu’elles se moquent de lui, le flagellent et le crucifient ; le troisième jour, il ressuscitera. »
Douze face au drame
L’ultime annonce explicite de la Passion ne soulève plus d’interrogation. Cependant, comme nous le verrons, cette destinée de Jésus à Jérusalem laisse encore les Douze dans leur incompréhension. En tout cas, le programme est annoncé : Jérusalem sera la ville de la Passion et de la Résurrection. Cette montée s’accompagne donc d’un crescendo dramatique et d’une chute de celui qui se propose comme Fils de l’Homme. Une chute qui désigne les autorités religieuses du Temple (les grands prêtres et leurs scribes) ainsi que les chefs romains des Nations païennes.
En s’adressant aux Douze, les paroles de Jésus permettent d’associer ces derniers à cette Passion qui annonce déjà la trahison de Judas : le Fils de l’homme sera livré, le reniement de Pierre lors de la comparution devant les Grands Prêtres et les scribes, et enfin l’absence manifeste des Douze lorsqu’il sera crucifié. Seule la Résurrection, l’action divine en faveur du Messie, réconciliera les Apôtres. Loin d’être une avenue triomphale, le chemin vers Jérusalem et le Temple sera tout autant la Passion du Christ que celle (moindre) des Douze.
La demande d’une mère (20,20-23)
Parallèles : Mc 10,35-45 | Lc 22,25-27
20, 20 Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de Jésus avec ses fils Jacques et Jean, et elle se prosterna pour lui faire une demande. 21 Jésus lui dit : « Que veux-tu ? » Elle répondit : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume. » 22 Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. » 23 Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé par mon Père. »
L’un à ta droite, l’autre à ta gauche
Matthieu est-il plus ‘tendre’ avec les fils de Zébédée en indiquant le présence de leur mère, ou bien rend-il la scène encore plus inconvenante que Marc (10,32-45) ? En faisant intervenir leur mère, sans même préciser les noms des garçons, Matthieu insiste sur leur identité terrestre de fils. L’expression « la mère des fils de Zébédée » est significative à ce propos. La réponse Jésus vise justement à rendre compte du nécessaire déplacement pour accéder à la Gloire du Royaume. Les deux disciples et Apôtres sont orientés de la mère au Père, en passant par la coupe et le baptême de la croix.
Dans le contexte immédiat, cette mère anonyme pourrait évoquer Jérusalem, autrement appelée Sion, comme le rappelle un psaume : on appelle Sion ma mère, car en elle tout homme est né’ (Ps 86/87,5). Jérusalem et son Temple ne peuvent plus donner accès à la gloire de Dieu. En s’adressant à Jésus, cette mère désigne l’unique lieu de salut et de gloire pour ses enfants. Cette Glorification passe par la croix même du Sauveur, où se tiendront bientôt aux côtés de ce paradoxal trône de gloire du roi des Juifs, deux malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche. Le Royaume du Père appelle une renaissance avec une plongée dans le baptême pascal du Christ.
Devenir serviteur (20,24-28)
20, 24 Les dix autres, qui avaient entendu, s’indignèrent contre les deux frères. 25 Jésus les appela et dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. 26 Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; 27 et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. 28 Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »
Une vie en rançon
La réaction des disciples permet de préciser le contenu de la réponse précédente de Jésus. Elle vise à éclairer la montée vers Jérusalem. L’objet de la réaction des dix autres Apôtres n’est nullement précisée. Mais la réponse de Jésus suggère leur désir de siéger aussi à droite ou à gauche. L’avènement du Royaume du Père ne peut plus être définit en termes de pouvoirs, de conquêtes et de victoires assurées, à l’image des grands de ce monde, des potentats et autres tyrans.
La logique du Royaume, comme son avènement, est renversante puisqu’elle identifie les Apôtres – désignés par Jésus pour siéger sur douze trônes (19,28) – aux serviteurs et esclaves. Le bas, le plus bas de l’échelle sociale. Bien plus, le chef de file, le Fils de l’Homme est désigné comme celui qui livre sa vie. La mort de Jésus sur la croix n’est donc pas un échec de sa mission, mais son accomplissement : donner sa vie en rançon. La vie donnée est une vie-pour, une vie donnée pour racheter et sauver la multitude, comme aussi pour révéler le plan de Dieu. Ce que précisera le passage suivant.
Deux aveugles (20,29-34)
Parallèles : Mc 10,46-52 | Lc 18,35-43
20, 29 Tandis que Jésus avec ses disciples sortait de Jéricho, une foule nombreuse se mit à le suivre. 30 Et voilà que deux aveugles, assis au bord de la route, apprenant que Jésus passait, crièrent : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! » 31 La foule les rabroua pour les faire taire. Mais ils criaient encore plus fort : « Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! » 32 Jésus s’arrêta et les appela : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » 33 Ils répondent : « Seigneur, que nos yeux s’ouvrent ! » 34 Saisi de compassion, Jésus leur toucha les yeux ; aussitôt ils retrouvèrent la vue, et ils le suivirent.
Que voulez-vous que je fasse pour vous ?
Le parallèle avec l’intervention de la mère des fils de Zébédée est assez flagrant. Il y a là deux aveugles, comme nous avions deux fils d’une mère. Deux personnes qui ne voient pas, comme nos deux Apôtres ne distinguaient pas encore l’enjeu même du Royaume du Père. Les deux demandes ont aussi pour objet le salut. De même, comme dans le récit précédent, la demande des aveugles subit l’ire et le mécontentement d’autres. Bref, Matthieu, reprenant quelque peu le récit de Marc avec Bartimée (10,43-52), nous oblige à faire le parallèle entre les fils de Zébédée et ces deux aveugles. D’ailleurs, le récit n’est-il pas celui de tout disciple à qui Jésus ouvre les yeux et se met à le suivre ?
La guérison des deux aveugles, au bord du chemin, assis, donne à entendre le motif de la guérison de Jésus. Leur appel : Prends pitié de nous, Seigneur, fils de David ! désigne le Nazaréen par des titres messianiques pleins de gloire et de majesté. Mais ce n’est pas au nom de ces titres royaux, que Jésus répond à leur désir de retrouver la vue. C’est au nom même de la compassion, de la miséricorde du Père, comme lorsqu’il fut pris de pitié envers ces foules parce qu’elles étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger (9,36).
L’action de Jésus « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » détermine ici l’action et le plan de Dieu : ouvrir les yeux des hommes sur la bienveillance et la miséricorde du Père. Et si nos deux hommes se mettent à suivre Jésus aussitôt leur guérison, ce n’est pas seulement pour ce miracle oculaire. Ouvrir les yeux des aveugles résume la mission attendue du Messie : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent (Mt 11,5). Mais cette vue retrouvée est surtout une vue donnée sur le Messie qui marche vers sa Passion, et une vue sur le rôle du disciple qui accompagne son Seigneur dans sa Mission. Aussitôt ils retrouvèrent la vue, et ils le suivirent.
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