Parallèles : Mc 12,35-37 | Lc 20,39-44
Jésus vient de rappeler aux pharisiens son enseignement qui aurait aussi dû être le leur : aimer Dieu …. aimer son prochain. Le discours qui suit (22,41-23,39) illustre la contradiction de ces derniers et ces commandements qui résument toute la Loi.
Jésus va ainsi reprocher leur méconnaissance du Christ de Dieu (notre péricope 22,41-46). Puis il dénoncera leurs attitudes qui vont à l’encontre de l’amour du prochain (23,13-39). Entre ces deux moments où Jésus s’adresse aux pharisiens, Matthieu a inséré un aparté destiné aux disciples et à la foule, rappelant la nécessaire humilité du disciple de Jésus (23,1-12).
- 22,41-46 Jésus interroge les pharisiens sur le Christ
- 23,1-12 Jésus s’adresse à ses disciples et aux foules
- 23,13-39 Jésus interpelle les pharisiens sur leurs attitudes
Au sujet du Christ (22,41-42)
22, 41 Comme les pharisiens se trouvaient réunis, Jésus les interrogea : 42 « Quel est votre avis au sujet du Christ ? de qui est-il le fils ? » Ils lui répondent : « De David. »
Quel est votre avis ?
Les pharisiens sont toujours réunis. L’expression vise leur dessein de mettre publiquement Jésus à l’épreuve (22,34). Mais celui-ci n’attend plus d’autre interrogatoire. Il prend maintenant l’initiative du débat.
Quel est votre avis ? Jésus interroge avec la même dialectique que ses opposants pharisiens qui lui demandaient il y a peu : donne-nous ton avis, est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César? Mais, il n’est plus question de Loi ou de denier, pas plus de savoir ce qu’il faut faire ou pas. Jésus se place dans un questionnement plus fondamental : le Messie et son identité. L’interrogation est ainsi doublée d’une affirmation. La question de son origine laisse ici entendre sa présence, et non sa venue, avec l’usage du présent de qui est-il le fils ? La question de Jésus renvoie les pharisiens à l’identité du Christ, autrement dit ironiquement la sienne.
Un bouleversement
Le débat n’est pas sans intérêt avec ce qui précède. Le temps messianique, attendu et espéré, est un temps de renouvellement de l’Alliance, le temps d’une Loi inscrite non dans la pierre mais dans les cœurs, comme l’annonçaient les prophètes.
Voici donc l’alliance que je conclurai avec la communauté d’Israël après ces jours-là– oracle du Seigneur : je déposerai mes directives au fond d’eux-mêmes, les inscrivant dans leur être. (Jr 31,33)
Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit. (Ez 36,26)
Avec la venue du Christ de Dieu, un bouleversement est attendu, telle une nouvelle création dans laquelle la Loi, le Temple et le pouvoir seront eux aussi revisités. Pour manifester la radicalité d’un telle nouveauté, Jésus interroge l’identité de ce messie parfois espéré dans la figure royal d’un successeur davidique.
Le fils de David
La réponse peut être entendue doublement. L’opinion des pharisiens renvoie à la filiation davidique. Dieu, en scellant l’Alliance avec le roi David, lui avait promis : Ta maison et ta royauté subsisteront toujours devant moi, ton trône sera stable pour toujours (2S 7,16). L’avènement du messie était ainsi associé à la restauration du royaume d’Israël et de son messie-roi. Tel pouvait être la conception de ces pharisiens. Cette espérance peut se situer à la suite du prophète Ézéchiel annonçant la restauration d’Israël avec un nouveau David :
Ez 37, 24 Mon serviteur David régnera sur eux ; ils n’auront tous qu’un seul berger ; ils marcheront selon mes ordonnances, ils garderont mes décrets et les mettront en pratique. 25 Ils habiteront le pays que j’ai donné à mon serviteur Jacob, le pays que leurs pères ont habité. Ils l’habiteront, eux-mêmes et leurs fils, et les fils de leurs fils pour toujours. David, mon serviteur, sera leur prince pour toujours. (Lire aussi Ez 34,23-24)
De roi messianique, Jésus n’en a pas l’apparence à leurs yeux et lui-même ne revendique aucun héritage de la sorte. Mais pour le lecteur, cette dénomination ‘fils de David’ renvoie à Jésus lui-même que beaucoup ont ainsi acclamé (9,27 ; 12,23 ; 20,30 ; 21,15) suscitant la vive réaction des grands prêtres (21,15) comme des pharisiens (12,24). Tout sera bientôt à revoir car l’avènement du royaume des Cieux amènera un règne divin dans l’humilité et un roi humilié.
Le Seigneur dit à mon Seigneur (22,43-46)
22, 43 Jésus leur réplique : « Comment donc David, inspiré par l’Esprit, peut-il l’appeler “Seigneur”, en disant : 44 Le Seigneur a dit à mon Seigneur : “Siège à ma droite jusqu’à ce que j’aie placé tes ennemis sous tes pieds” ? 45 Si donc David l’appelle Seigneur, comment peut-il être son fils ? » 46 Personne n’était capable de lui répondre un mot et, à partir de ce jour-là, nul n’osa plus l’interroger.
Comment peut-il être son fils ?
Jésus préfère laisser la parole à David. Il ne donne pas un avis. Il donne raison à l’Écriture inspirée des psaumes que la tradition attribuait au roi messie. Le psaume 109/110, cité en son premier verset, est considéré comme un psaume d’intronisation royale, interprété dans une espérance messianique. Le nouveau roi, attendu, se tient à la droite de Dieu, signe de son autorité légitime et divine. Il est aussi établi prêtre à jamais selon l’ordre du roi Melkisedeq (109,30), et juge des nations.
Mais cette figure royale est désormais redéfini par l’interprétation de Jésus qui insiste sur son titre de Seigneur donné par la bouche même de David. Le royaume des Cieux attend son roi, mais ce ne sera pas à la manière des hommes. Ce roi est bien fils, Fils de l’homme et fils de Dieu d’une manière encore plus inouï. Et Jésus n’en dira pas plus. Il n’impose pas son identité. Il préfère questionner, susciter la liberté y compris chez ses adversaires. Tout est dit, mais rien n’est encore très clair. Il faudra attendre l’ultime jour où le roi des Juifs sera montré au monde, pour découvrir pleinement l’ordre de son règne. Pour découvrir jusqu’où ce Fils aimera de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit.