Parallèle : aucun
Le discours apocalyptique (Mt 24) obligeait la communauté des disciples à se sentir la première concernée par la venue du Fils de l’homme, le juge eschatologique, jusque dans leur quotidien. Il se poursuit maintenant avec trois paraboles, celle des dix jeunes filles (25,1-13), celles des talents (25,14-30) et enfin celle dite du Jugement Dernier (25,31-46).
Trois paraboles
Ces trois paraboles sont à lire dans la suite du discours de Jésus sur la fin des temps. La fin du monde et le jugement divin, grand et redoutable, attendu surtout pour les autres, sont redéfinis dans le discours de Jésus (Mt 24) comme un avènement qui implique en premier lieu la maison communautaire des disciples. Ces derniers sont invités à être de bons serviteurs.
Mt 24, 45 Que dire du serviteur fidèle et sensé
à qui le maître a confié la charge des gens de sa maison,
pour leur donner la nourriture en temps voulu ?
46 Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi !
Nos trois paraboles illustrent ce service attendu. Elles reprennent, dans l’ordre, ces versets précédents (24,45-46). La première montre effectivement dix jeunes filles, certaines sensées, d’autres insensées. La fidélité est ainsi liée à l’Alliance illustrée par les noces. Cette première parabole introduit la seconde par la mention de la vigilance.
25, 1 le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces. […] 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
La seconde parabole met encore en images le discours précédent (Mt 24) en insistant sur la charge et la mission confiée aux disciples. L’histoire d’un homme qui part en voyage et confie ses biens à ses serviteurs reprend encore nos versets 24,45-46, et introduit également à la dernière parabole par la mention explicite d’un jugement.
25, 14 « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. […] 30 Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”
Enfin le jugement final et définitif constitue le thème de notre troisième parabole. Elle explore des critères de jugement inattendu lors de l’avènement du Fils de l’homme, pour les siens comme pour le monde.
25, 31 Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire. […]46 Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle.
Une invitation (25,1-13), une veille active (25,14-30) avant la venue du Fils de l’Homme pour ses serviteurs (25,31-46).
Le royaume des Cieux sera comparable à… (25,1-5)
25, 1 « Alors, le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux. 2 Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes : 3 les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, 4 tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile. 5 Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
Invitées à des noces
Les paroles de Jésus rappellent le sens et l’orientation de sa venue : le royaume des Cieux. Elles illustrent bien son contenu. Ce royaume est associé à des noces. L’Alliance nouvelle, les noces eschatologiques, devient l’horizon du peuple croyant qui marche en cette direction. Le Royaume est ainsi une invitation à entrer en cette Alliance. Elles sont dix. La parabole exprime ainsi une multitude. L’invitation est donc large, voire universelle, mais surtout cette multiplicité invite à voir en cet appel, une dimension collective et ecclésiale.
Je ne sais pas s’il faut voir un symbole biblique en ce chiffre dix, telles les dix paroles de l’Alliance (Ex 34,28), expression renvoyant aux dix commandements. La lecture allégorique ou symbolique ne convient pas toujours aux paraboles. Ainsi pour la lampe qui exprime ici combien l’invitation est destinée pour aller de la nuit au jour, des ténèbres à la lumière festive et réjouissante des noces.
Prévoyantes ou insouciantes.
D’autres traductions préfèrent l’opposition avisées/folles ou encore sensées/insensées. Il convient de préciser ce vocabulaire pour éviter tout contresens ou caricature. L’insensé désigne dans la Bible, une personne qui ne vit que pour soi, ou selon soi. En Dt 32,6, l’adjectif est attribué au peuple, sans sagesse, qui n’accomplit pas le droit et la justice. Le Ps 93/94,8 parle d’un homme borné face l’Alliance de Dieu. Is 32,6 et les livres de sagesse définissent la personne insensée comme quelqu’un qui agit sans réfléchir, sans prendre conseil. L’insensé est insouciant, car il ne se soucie ni des autres, ni du temps, ni de Dieu. Mt 7,26 nous a déjà évoqué la figure de l’insensé avec cet homme qui bâtit sa maison sur le sable.
L’insensé, ou l’insouciant, ne prend nul conseil et s’il en entend est incapable de s’y convertir. La parabole ne montre pas ces jeunes filles écervelées, mais plutôt des personnes, ou des communautés chrétiennes, qui n’entendent, et ne veulent pas entendre le bon sens, se fiant uniquement à leur sentiment ou leur idéologie.
Ainsi, toutes prennent des lampes pour sortir de cette nuit, certaines plus prévoyantes que les autres, certaines plus avisées que les autres. Le maître tarde et les jeunes filles s’assoupissent. Cet endormissement n’est pas une faiblesse ou une faute de leur part, il vient encore insister sur ce temps des noces du Royaume qui tardent. Le temps n’appartient qu’au maître.
Au milieu de la nuit (25,6-9)
25, 6 Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.” 7 Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe. 8 Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.” 9 Les prévoyantes leur répondirent : “Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.”
Manque d’huile
Nous n’attendrons pas le matin. L’époux – c’est ainsi que Jésus se désignait sous couvert d’une image en Mt 9,15 – vient. Mais toutes ne sont pas prêtes à la rencontre. Peut-être même, et nous y reviendrons, toutes ne s’attendaient pas à une rencontre. Ce passage suscite toujours des questions. Pourquoi ne pas partager ? Une lampe ne suffirait-elle pas pour toutes ? Mais le discours n’est pas de cet ordre, il insiste sur cette venue inopinée, inattendue de l’Époux. Le temps est venu. Il n’y a plus rien à faire pour corriger l’impréparation. La vie dans la logique du Royaume et l’avènement d’un jugement doit ainsi inscrire la foi des Églises dans la durée, dans la longue marche, la veille vigilante.
La manque d’huile est significatif. L’huile servait à éclairer la nuit, mais aussi à conserver, à parfumer, et à soigner. Elle ne représente pas seulement la foi qui éclaire cette nuit. L’huile désigne une foi active, charitable, diriger vers l’avenir. Ce manque d’huile montre l’insouciance des cinq jeunes filles, des communautés qui ne soucient ni des uns, ni des autres, ni de la durée, ni de l’avènement du Seigneur. Le manque d’huile illustre une foi sans chair, exclusivement spirituelle.
Je ne vous connais pas (25,10-12)
25, 10 Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. 11 Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !” 12 Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.” 13 Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure.
Trop tard …
Je ne vous connais pas. Le verdict est rude. L’expression évoque un bannissement. La porte est fermée aux insouciantes. Leur achat d’huile n’a pas suffi. Il y a là maintenant une distinction entre celles qui ont simplement, naturellement, pris leur huile pour aller à la rencontre de l’époux. Et les autres qui l’ont achetée pour pouvoir entrer. L’huile des premières manifeste leur sincérité du cœur, l’huile des secondes leur hypocrisie.
L’ensemble de cette conclusion porte justement sur la relation à l’époux. Le jugement met en avant ce lien aimant et durable qui lie la communauté à son Seigneur. D’un côté celles qu’il connaît, celles qui ont appris le connaître, à aimer cet Époux divin, à veiller à sa venue, ensemble. Et de l’autre, celles qui crient et affirment, comme un impératif, Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Comme si leur huile récemment achetée avait valeur de droit d’entrée. Mais connaissaient-elles ce Seigneur, ont-elles appris à l’aimer et à se convertir à sa parole ? à sa justice ? et à sa volonté ? Le cri des jeunes insouciantes nous renvoie au discours sur la montagne où Jésus déclarait :
Mt 7 21 Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux. 22 Ce jour-là, beaucoup me diront : “Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons expulsé les démons, en ton nom que nous avons fait beaucoup de miracles ?” 23 Alors je leur déclarerai : “Je ne vous ai jamais connus. Écartez-vous de moi, vous qui commettez le mal !”
Ce jugement paraît cinglant. Mais il nous faut rappeler qu’une parabole ne consiste pas à décrire un fait ou un avenir, mais constitue toujours un appel à la conversion. Rien n’est perdu.