Messe de la nuit de la Nativité
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux,
et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. » Lc 2,13-14.
Entre les bergers et l’enfant de la crèche, prêtons-nous attention à cette troupe céleste qui accompagne l’annonce de la naissance du Sauveur, et plus particulièrement à leurs paroles ? Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. Paroles connues dans cette version latine : GlooooOoOoOoOoOoOoOoooria in excelsis Deo. Derrière ce refrain auquel on porte encore moins d’attention qu’un slogan de marque, derrière l’air doucereux qui soutient ces mots, un message fort se fait entendre au sein d’une liturgie céleste digne d’un Temple.
Du champ de Dieu au champ des bergers
Dans l’évangile de Luc, le chant céleste vient conclure l’annonce de l’Ange du Seigneur aux bergers. Tout le ciel acclame la naissance du Sauveur à destination de ces derniers comme des lecteurs de l’évangile. Leurs propos montrent combien le ciel, le champ de Dieu, et la terre, le champ des bergers, sont désormais associés. Ceux que tout séparait sont désormais réunis par l’avènement du Christ. Le plus haut des cieux a rejoint la terre. La paix et la gloire sont désormais réunies. Dieu et les hommes se tournent vers l’enfant de la crèche. La barrière franche qui séparait le sacré et le profane vient de tomber. Un lieu de réconciliation est révélé : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire (Lc 2,12-13).
Dieu au plus haut, pour les plus loin
« au plus haut » : l’expression (en grec upsistos ὕψιστος) est majoritairement utilisée pour désigner ce Dieu Très-Haut. À bien y regarder, ce Dieu Très-Haut exprime, dans la Bible, moins une hauteur inaccessible qu’un dessein universel. Dans le Pentateuque, il vient de la bouche des gens des Nations. Ainsi en est-il de Melkisédeq prêtre du Dieu Très Haut s’adressant à Abraham (Gn 14,18-22) , du prophète païen Balaam qui connaît les desseins du Très-Haut de bénir Israël (Nb 24,16) ou de Moïse évoquant le partage de la terre quand le Très Haut donna aux nations leur héritage (Dt 32,8). De même, le roi perse Cyrus parle du Dieu Très-Haut, (1Esd 2,2), tout comme Héliodore le ministre du roi séleucide (2M 3,31). Et pour continuer, les psaumes louent le Dieu Très-Haut pour affirmer sa souveraineté sur l’univers créé (2S 22,14 ; Ps 9,3 ; …)
Dans l’évangile de Luc, un homme possédé, habitant le pays païen des Géraséniens voit en Jésus le Fils du Dieu Très-Haut (Lc 8,28). Dans les récits de la naissance de Jésus, toujours chez Luc, le Christ est ainsi annoncé comme le Fils du Très-Haut (Lc 1,32), venu dans la chair par l’action de l’Esprit Saint, la puissance du Très-Haut (Lc 1,35)… et Jean, l’enfant de Zacharie, sera prophète du Très-Haut (Lc 1,76). Bref on ne peut être plus clair, ce Dieu « au plus haut » embrasse le monde créé. La naissance ici-bas du Sauveur vient pour tous, pour cette humanité qu’Il aime.
Aux hommes qu’Il aime.
Aux hommes, qu’Il aime, et non pas aux hommes qui L’aiment. La nuance – qui n’en est pas une – est d’importance. Et sans doute même que le verbe aimer ne serait pas tout à fait juste ici. Les traductions de ce verset sont très disparates : pour ses biens-aimés (T.O.B.[1. Traduction Œcuménique de la Bible.]), aux hommes objets de sa complaisance (Bible de Jérusalem), parmi les humains en qui il prend plaisir (Nouvelle Bible Second), etc. Dans l’édition latine de la Vulgate on pourrait aussi lire : aux hommes de bonne volonté (in hominibus bonae voluntatis). Alors que dire ?
Le grec de l’évangéliste Luc, emploie le mot eudokia (εὐδοκία) qui traduit généralement le mot faveur. Il est peu usité dans la Bible. Le livre des Chroniques parle de ceux qui cherchent la faveur de Dieu (1Ch 16,10). Le psaume évoque le juste qui a la faveur de Dieu (Ps 5,13). Cette faveur qu’on traduit aussi par le terme bienveillance (Si 11,17) ne tient pas uniquement à un aspect sentimental. Elle exprime une action divine en vue d’un bien. Dieu agit en faveur de son peuple, du juste, etc. et lui offre son salut (Ps 105,4).
Chant au champ des lointains
Luc utilise ce terme par ailleurs : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. (Lc 10,21). Ce que le Seigneur célèbre n’est autre que la reconnaissance par ces petits sans instruction, du Christ en Jésus. Car pour Luc, ce ne sont pas ceux qui le cherchent, ni les seuls justes, ni l’élite religieuse, mais l’humanité entière qui bénéficie de sa faveur bienveillante et salvatrice. Celle-ci s’incarne, prend vie ici-bas, parmi cette humanité, jusqu’à des bergers qui ne cherchaient personne et, impurs, ne le méritaient pas aux yeux des pieux scrupuleux.
Aux champs lointains, ces bergers méprisés représentent toute l’humanité pour laquelle Dieu agit favorablement. L’évocation de la gloire et de la paix insiste sur l’importance de l’événement. En une divine et glorieuse bienveillance, le Seigneur vient, au point d’être l’un d’entre ces Hommes, indistinct, discret que seule une mangeoire permet de reconnaître. Rien que cela, mais là est la gloire de Dieu et sa paix.
La gloire et la paix
Dans le langage biblique, la gloire de Dieu exprime son renom, sa magnificence et sa puissance. Cette gloire divine accompagne son peuple (Ex 24,16) et vient habiter le sanctuaire (Ex 40,34). Elle est ainsi associée à Sa présence même. Paradoxalement, ce Sauveur assoupi en la mangeoire vient révéler cette gloire de Dieu. Paradoxalement, la fragilité du nouveau-né vient apporter la paix aux hommes. Cette dernière désigne bibliquement un temps favorable où se vit, dans la justice et la louange, la communion entre les hommes, la création et Dieu. Le chant céleste désigne en l’enfant ce dessein de Dieu. Il devient la promesse même du Salut. La gloire de Dieu et la paix se contemplent désormais en cet enfant de la mangeoire, rassemblant autour de lui l’humanité. La grandeur de Dieu se rend visible dans la faiblesse de l’enfant, donné, fragile, comme elle s’exposera encore sur la croix, fragile mais salvifique.
Ps 84 9 J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles ; qu’ils ne reviennent jamais à leur folie ! 10 Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre.
Un Temple nouveau
Le chant des anges inaugure une liturgie digne du Temple de Jérusalem, comme l’annonçait le prophète Aggée :
La gloire future de cette Maison surpassera la première – déclare le Seigneur de l’univers –, et dans ce lieu, je vous ferai don de la paix, – oracle du Seigneur de l’univers. (Ag 2,9)
Ce nouveau temple n’est plus une forteresse ceinte de quatre murs, il s’ouvre désormais au champ des bergers comme sur le ciel. Le Saint des Saints, où seul le Grand-Prêtre entrait une fois l’an, devient maintenant une étable ouverte à tous. Et la mangeoire a remplacé, le propitiatoire, le couvercle de l’arche d’Alliance (Ex 26,34), où Dieu se donnait à rencontrer. Désormais accessible et visible à toutes et à tous, y compris à de vulgaires bergers, la gloire de Dieu, s’expose en Jésus nouveau-né, simple petite chair qui ne peut encore ni parler, ni agir, qui a tout à apprendre des siens, qui se confie aux mains des siens comme à la création. Dieu au milieu de nous, pour nous.
Joyeuses fêtes de Noël à toutes et à tous !