Faisant suite à la rencontre avec Nicodème, le personnage de Jean réapparait. Il était logique, après un discours sur la grâce et la nouvelle naissance, d’aborder le sens du baptême.
Jean baptisait à Aïnone (3,22-26)
Jn 3, 22 Après cela, Jésus se rendit en Judée, ainsi que ses disciples ; il y séjourna avec eux, et il baptisait. 23 Jean, quant à lui, baptisait à Aïnone, près de Salim, où l’eau était abondante. On venait là pour se faire baptiser. 24 En effet, Jean n’avait pas encore été mis en prison. 25 Or, il y eut une discussion entre les disciples de Jean et un Juif au sujet des bains de purification. 26 Ils allèrent trouver Jean et lui dirent : « Rabbi, celui qui était avec toi de l’autre côté du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, le voilà qui baptise, et tous vont à lui ! »
Comme une parenthèse
Étrangement, le récit nous fait parvenir en Judée, alors que nous y sommes déjà, à Jérusalem. Cette indication est sans doute la trace de l’insertion de ce passage, à cet endroit, par le rédacteur final. Mais, cette péricope nous permet aussi de quitter Jérusalem, avant de parvenir en Samarie (Jn 4). Ces versets jouent le rôle d’une parenthèse, laissant, pour un temps, le ministère de Jésus et pour nous faire entendre, une fois encore, le témoignage de Jean sur celui qu’il désignait comme l’Agneau de Dieu (Jn 1,29-34).
Le passage met, d’abord, les deux personnages, Jean et Jésus, en concurrence. Jésus et ses disciples baptisent tout comme Jean et les siens. Ce dernier est en un lieu où les eaux sont abondantes. Cette précision n’est pas seulement d’ordre topographique, elle induit que le lieu convient pour de nombreux baptêmes et que la quantité d’eau permet une meilleure purification. Car, c’est bien cet élément qui est souligné. Comme entre Nicodème et Jésus, c’est un juif qui vient trouver les disciples de Jean à propos des pratiques juives de bains de purification lavant le croyant de son impureté. La question posée concerne donc le sens du baptême selon Jean, et celui selon Jésus.
Le baptême de Jean et le baptême chrétien
Il faut, ici, convenir que ce passage possède un caractère anachronique. Pour un point de vue historique sur Jean et son baptême, je vous renvoie à la série Jean le baptiste. Ce qui va suivre, à travers les paroles de Jean, concerne la vie baptismale de la communauté postpascale. D’ailleurs, c’est un juif qui vient trouver, non pas Jean, mais ses disciples ; comme pour souligner que cela concerne moins un conflit entre deux figures que la conception même du baptême. Un contraste vient d’ailleurs le souligner. En racontant que Jean baptiste se trouve en un lieu où l’eau est abondante, l’évangéliste laisse entendre que Jésus et ses disciples sont en d’autres endroits où l’eau est moins présente, autrement dit moins nécessaire. Et pourtant tous vont à lui.
Que Jésus et ses disciples aient pratiqué un baptême correspondant à celui de Jean, et à la suite de l’arrestation de ce dernier, demeure probable. Mais ici, l’auteur du quatrième évangile entend surtout montrer combien le baptême chrétien n’a pas d’équivalent et ne constitue pas un rite de purification. Par définition, il définit une plongée dans la mort et la résurrection du Christ, pour faire naître, dans l’Esprit Saint, le croyant à une vie nouvelle.
Je ne suis pas le Christ (3,27-30)
3, 27 Jean répondit : « Un homme ne peut rien s’attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel. 28 Vous-mêmes pouvez témoigner que j’ai dit : Moi, je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui. 29 Celui à qui l’épouse appartient, c’est l’époux ; quant à l’ami de l’époux, il se tient là, il entend la voix de l’époux, et il en est tout joyeux. Telle est ma joie : elle est parfaite. 30 Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue.
L’ami de l’époux
La réponse de Jean permet de déplacer le débat suite à la remarque de ses disciples. Il n’y est plus question d’eau ou de succès. La concurrence, voire l’opposition, laisse place à une déclaration de foi et de fidélité. Comme l’évangéliste l’avait déjà affirmé (Jn 1,19-34), Jean n’est pas le Christ qui vient inaugurer les noces eschatologiques, que le mariage à Cana annonçait (Jn 2,1-12). Il est l’ami de l’époux, une expression qui désigne le lien d’amitié qui l’unit au Christ.
Mais bien plus, ce titre d’ami de l’époux désigne ce proche qui, comme dans tout mariage juif antique, participe activement aux préparations de la noce, jusqu’à conduire l’épouse depuis sa maison paternelle jusqu’à son futur mari. La mission de l’ami prend désormais fin, non dans la tristesse mais dans la joie. Il se réjouit d’entendre la voix de l’époux et que tous, telle une épouse, viennent à lui. Dès lors le baptême n’a de valeur salvifique que s’il manifeste cette rencontre entre le Seigneur et sa communauté à laquelle le nouveau croyant appartient.
Le Père aime le Fils (3,31-36)
3, 31 Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous. Celui qui est de la terre est terrestre, et il parle de façon terrestre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous, 32 il témoigne de ce qu’il a vu et entendu, et personne ne reçoit son témoignage. 33 Mais celui qui reçoit son témoignage certifie par là que Dieu est vrai. 34 En effet, celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, car Dieu lui donne l’Esprit sans mesure. 35 Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main. 36 Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui refuse de croire le Fils ne verra pas la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. »
Le témoignage du Fils
Le discours de Jean insiste maintenant sur l’éminence de la figure de Jésus. Il le désigne comme celui qui vient d’en-haut et peut ainsi véritablement témoigner de Dieu. Jean, qui est de la terre, à tout à recevoir de lui. Ces versets donnent, une fois encore, à comprendre l’origine divine de Jésus. Celle-ci n’est pas manifeste du fait de ses réussites, puisque, malgré cela, personne ne reçoit son témoignage. Cependant, dans ses succès comme dans ses épreuves, Jésus manifestera qu’il est le Fils aimé de Dieu. Jean le désigne comme la seule et unique porte de salut. Ainsi, l’entrée dans une dynamique baptismale tient d’abord, non au rite d’eau, mais à la foi en Jésus, Fils de ce Dieu-Père. La relation aimante et filiale est ainsi privilégiée.
A l’inverse, refuser sciemment cette relation avec le Fils , consiste à nier ce don de Dieu et se soustraire à son salut, comme l’indique l’expression colère de Dieu. En refusant d’accueillir le témoignage de Jésus, l’individu se juge lui-même et s’enferme dans un monde dont Dieu est absent.
Succès dangereux (4,1-3)
Jn 4, 1 Les pharisiens avaient entendu dire que Jésus faisait plus de disciples que Jean et qu’il en baptisait davantage. Jésus lui-même en eut connaissance. 2 – À vrai dire, ce n’était pas Jésus en personne qui baptisait, mais ses disciples. 3 Dès lors, il quitta la Judée pour retourner en Galilée. 4 Or, il lui fallait traverser la Samarie.
Une transition
Ces versets servent de transition pour nous amener à la rencontre suivante en Samarie. La mention, surprenante, des pharisiens n’est pas anodine. Elle fait suite, immédiatement, à l’évocation de celui qui refuse de croire au Fils, envoyé par le Père. Le passage annonce ainsi les oppositions à venir. Le succès de Jésus est ainsi présenté comme une menace pour les savants religieux.
Avec ces versets, Jean disparait de la scène de l’évangile. Jésus l’évoquera encore (Jn 10,40-41), mais le passage, que nous venons de lire, constitue son ultime témoignage. D’une certaine manière, Jean laisse ainsi Jésus poursuivre sa mission.
La remarque que Jésus ne baptisait pas lui-même vient contredire les versets précédents (3,22 ; 4,1). Pour beaucoup, il s’agit d’un ajout du rédacteur final, une glose, permettant d’éviter toute équivoque entre Jean et Jésus. Mais, ce procédé permet surtout de promouvoir le sens même du baptême dans le Christ. Jésus ne baptise, du moins pas à la manière de Jean ou de ses disciples, en proposant un baptême de purification. Ce qu’il offre c’est une vie nouvelle par le don d’une eau vive et vivifiante, celui de sa parole et de sa vie.
Ces versets conclusifs nous préparent ainsi à la rencontre avec la Samaritaine.