Suite des débats durant la fête des tentes (7, 11-53) interrompus, artificiellement, par l’affaire de la femme adultère. Narrativement, la scène se déroulerait au lendemain de dernier jour de la fête. Thématiquement, le discours de Jésus se situe toujours lors de la célébration du dernier jour.
Cette partie constitue l’élément central des interventions de Jésus à l’occasion de la fête. Le JE SUIS divin (8, 24) y tient la première place. L’évangéliste affirme de manière insistante l’identité du Fils et son origine dans le Père, ainsi que sa mission, qui l’établissent, en cette fête illuminée des Tentes, comme la Lumière du monde. Jésus devient la source du salut universel qui surpasse et la Loi de Moïse (1ère partie : 7,11-53) et la circoncision d’Abraham (3ème partie 8,31-59).
Je suis la lumière du monde (8,12-20)
Jn 8, 12 De nouveau, Jésus leur parla : « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. » 13 Les pharisiens lui dirent alors : « Tu te rends témoignage à toi-même, ce n’est donc pas un vrai témoignage » 14 Jésus leur répondit : « Oui, moi, je me rends témoignage à moi-même, et pourtant mon témoignage est vrai, car je sais d’où je suis venu, et où je vais ; mais vous, vous ne savez ni d’où je viens, ni où je vais. 15 Vous, vous jugez de façon purement humaine. Moi, je ne juge personne. 16 Et, s’il m’arrive de juger, mon jugement est vrai parce que je ne suis pas seul : j’ai avec moi le Père, qui m’a envoyé. 17 Or, il est écrit dans votre Loi que, s’il y a deux témoins, c’est un vrai témoignage. 18 Moi, je suis à moi-même mon propre témoin, et le Père, qui m’a envoyé, témoigne aussi pour moi. » 19 Les pharisiens lui disaient : « Où est-il, ton père ? » Jésus répondit : « Vous ne connaissez ni moi ni mon Père ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. » 20 Il prononça ces paroles alors qu’il enseignait dans le Temple, à la salle du Trésor. Et personne ne l’arrêta, parce que son heure n’était pas encore venue.
Une lumière pour guider
« Je suis la lumière du monde » constitue la deuxième affirmation solennelle en cette fête des Tentes après que Jésus ait déclaré : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » (7, 37-38). A la fête des Tentes, l’eau et la lumière représentent des éléments importants de la liturgie. Au soir, l’eau puisée au bassin de Siloë était apportée en procession, avec des lumières, jusqu’au Temple en vue de libation sur l’autel. Dans la salle du Trésor, les grands chandeliers étaient allumés. Si la fête des Tentes rappelle le temps des Hébreux au désert sous des habitats provisoires, elle possède surtout une portée eschatologique et messianique, dans l’attente du jour où le Seigneur se manifestera et règnera jusque sur les nations. Ainsi l’évoque le livre du prophète :
Za 14 7 Ce sera un jour unique – le Seigneur le connaît –, il n’y aura pas le jour puis la nuit, mais à l’heure du soir, la lumière. 8 Ce jour-là, des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale : il en sera ainsi en été, comme en hiver. 9 Alors le Seigneur deviendra roi sur toute la terre ; ce jour-là, le Seigneur sera unique, et unique, son nom. […] 16 Alors tous les survivants des nations qui auront marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le Roi Seigneur de l’univers, et célébrer la fête des Tentes
Un appel
La manifestation du Seigneur, attendue, glorieuse et victorieuse, mettra fin à la situation précaire des fils d’Israël, tel l’exode provisoire des tentes aboutissant à la terre promise. L’eau vive et la lumière symbolisent tous deux la Vie et la présence vivifiante de Dieu. L’affirmation de Jésus « je suis la lumière du monde » introduit, en sa personne, les temps eschatologiques. Mais cette parole constitue avant tout un appel. Il faut venir à lui (7,37), le suivre pour ne pas marcher dans les ténèbres (7, 12). L’évangéliste souligne le mouvement dynamique qu’impulse la foi en Celui que le Père a envoyé.
Témoignage et jugement
Cette fois, les pharisiens posent la question de la légitimité d’un tel témoignage de la part de Jésus. L’appel aux témoins dresse un cadre judiciaire lors duquel deux ou trois témoins assuraient la véracité d’une affirmation ou d’une accusation. Or la mission de Jésus n’a nul besoin de témoins extérieurs : il la tient du Père lui-même dont il connaît le dessein. Le débat reprend donc les arguments précédents (7, 11-53). A la connaissance supposée, et savante, des détracteurs, s’oppose la connaissance intime du Fils envers le Père. Bien plus, l’évangéliste déjà répète encore combien Jésus, Fils et Christ, se révélera pleinement à la croix : son heure n’est pas encore venue (7,30 ; 8,20).
Les pharisiens jugent de façon purement humaine. Jésus de Nazareth ne correspond pas à la figure du Messie attendue, et sa mort sur la croix ne témoigne pas, à vue humaine, de la victoire glorieuse du Seigneur. Le plan de Dieu se manifestera dans un événement inattendu. Ce n’est donc pas le savoir des pharisiens qui mènent à la foi au Messie, mais la foi au Christ, envoyé du Père, qui mène au salut. Le Père et le Fils sont les deux témoins d’un autre jugement (8, 21-24). La parole de Jésus retentit au sein du Temple, lieu d’habitation divine, près de la salle du Trésor où les chandeliers étaient allumées.
Croire que JE SUIS (8, 21-24)
8, 21 Jésus leur dit encore : « Je m’en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Là où moi je vais, vous ne pouvez pas aller. » 22 Les Juifs disaient : « Veut-il donc se donner la mort, puisqu’il dit : “Là où moi je vais, vous ne pouvez pas aller” ? » 23 Il leur répondit : « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. 24 C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés. En effet, si vous ne croyez pas que moi, JE SUIS, vous mourrez dans vos péchés. »
Là où je m’en vais
La parole de Jésus est ambivalente. Il annonce son départ et de dernier est double : la croix et le Père ; plus précisément : la croix où le Père le glorifiera. L’évocation de la mort de la part des Juifs de Jérusalem est ironique. Car si Jésus marche vers le Père, en dépit de sa condamnation à mort par les hommes, ce sont ses accusateurs qui risquent de mourir dans leurs péchés. L’évangéliste rappelle combien Jésus n’est pas seulement un « simple » envoyé par Dieu. Le JE SUIS de Jésus reprend l’identité même de Dieu tel qu’il se révéla à Moïse : Je suis qui je suis. Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est : JE-SUIS (Ex 3,14). Il est l’envoyé divin, demeurant en pleine communion avec le Père. Par sa vie, c’est la vie de Dieu qui s’exprime et se révèle ici-bas. S’il est d’en-haut, exprimant son origine et sa destination, c’est bien d’en-bas, à ce monde, qu’il s’adresse. Un monde qui, chez Jean, désigne, non pas le monde habité, mais la partie hostile au dessein de Dieu. Ce refus constitue le véritable péché qu’est de se détourner de Dieu, de sa lumière et de son eau vive. Dès lors, ne pas croire au Fils envoyé par le Père, maître de la Vie, c’est se tourner vers les ténèbres et la mort. Tel est le jugement.
Toi qui es-tu ? (8,25-30)
8, 25 Alors, ils lui demandaient : « Toi, qui es-tu ? » Jésus leur répondit : « Je n’ai pas cessé de vous le dire. 26 À votre sujet, j’ai beaucoup à dire et à juger. D’ailleurs Celui qui m’a envoyé dit la vérité, et ce que j’ai entendu de lui, je le dis pour le monde. » 27 Ils ne comprirent pas qu’il leur parlait du Père. 28 Jésus leur déclara : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS, et que je ne fais rien de moi-même ; ce que je dis là, je le dis comme le Père me l’a enseigné. 29 Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable. » 30 Sur ces paroles de Jésus, beaucoup crurent en lui.
Fils élevé de terre
Les paroles de Jésus semblent bien obscures à ses auditeurs. Mais pour le lecteur croyant de l’évangile, les allusions sont des plus éclairantes. La véritable identité divine de Jésus et son départ vers le Père, se révéleront avec l’élévation du crucifié. La croix devient parole et source de salut pour le monde. Certes, beaucoup crurent en lui. Mais cette foi en l’envoyé du Père doit aussi accueillir l’évènement de la Croix, non comme un accident, mais comme le dessein salvateur de Dieu lui-même. Comme avec le discours du pain de vie (Jn 6), la foi au Fils exige bien des conversions auxquelles beaucoup ne peuvent se résoudre, comme le montrera la suite de ce discours à la fête des Tentes (8, 31-59).