La métaphore de la vigne introduisait ce chapitre en insistant sur l’attachement vital des disciples à leur Seigneur afin de porter du fruit. Le passage suivant vient qualifier cette relation en termes d’amour, et non de soumission, instaurant les disciples dans une nouvelle identité.
Demeurez dans mon amour (15,9-11)
Jn 15, 9 Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10 Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. 11 Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite.
De la métaphore à la réalité
Désormais, l’image du vigneron, de la vigne et ses sarments (15,1-8) est substituée par sa réalité théologale et ecclésiale : le Père, Jésus, les disciples. Le verbe demeurer est également repris et répété pour qualifier la relation entre la communauté et le Christ. Ces versets constituent, ainsi, une interprétation de la métaphore de la vigne. Peu avant, les disciples étaient invités à demeurer en lui, comme ses paroles en eux : vous demeurez en moi, et … mes paroles demeurent en vous, (15,7). Avec ce passage, cet échange communionnel entre le Christ et ses disciples s’origine dans le lien d’amour qui unit le Père et le Fils : vous demeurerez dans mon amour… comme …je demeure dans son amour.
Amour et commandements
L’amour du Père et du Fils s’exprime en termes de commandements. Le texte établit une équivalence entre demeurer en son amour et garder ses commandements. Dans la tradition juive et biblique, le commandement a fonction d’enseignement pour les fils d’Israël et de voie à suivre pour parvenir à la plénitude. Il n’en est pas autrement ici. Le commandement d’amour est un impératif (demeurez !) qui garantit la vie de la communauté. Il s’exprime, ici, au pluriel comme s’il contenait à lui seul tous les commandements de la Torah, mais, surtout, comme si cet amour devenait lui-même surabondant.
Comme le Père m’a aimé
L’amour du Christ, qui s’avance vers sa Passion, manifeste tout l’amour du Père pour les disciples du Fils : comme le Père m’a aimé. Cet amour oblatif permet à la communauté de participer à la vie du Père. Le Christ, qui donne sa vie pour les siens, unit pleinement ses disciples au dessein de salut de Dieu. La joie ne se résume pas à un sentiment chaleureux. Dans son acception biblique, elle décrit l’union et la communion entre Dieu et son peuple : Vous mangerez devant le Seigneur votre Dieu, et vous serez dans la joie (Dt 12,7). Cette joie parfaite n’est pas une récompense mais un don associé à la Parole du Christ. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Il se présente ainsi comme le cep de la communion au Père. Un don qui se déploie jusque dans l’amour mutuel.
Aimez-vous les uns les autres (15,12-17)
15, 12 Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. 13 Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.14 Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. 15 Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. 16 Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. 17 Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres.
Un amour livré
La voie à suivre et à garder consiste à vivre du commandement de l’amour mutuel, dont il a déjà été question peu après le lavement des pieds (13,34). L’amour prend tout sens à la lumière de la croix et de l’amour livré. La communauté croyante est invitée à ancrer, à greffer, sa vie dans le témoignage d’amour du Christ qui s’accomplit lors de la Passion ; à aimer comme il a aimé les siens, jusqu’au bout (13,1). L’expression comme je vous ai aimés, dont il est question, ne définit pas une répétition des faits et gestes de Jésus. L’adverbe comme permet de rendre compte de la qualité sincère de l’amour. Jésus l’affirmait précédemment : cet amour livré représente tout l’amour du Père avec lequel il demeure en communion. Ainsi l’amour mutuel, puisant au mystère de la croix, témoigne de cet amour donné par Dieu. Il est le fruit , agréable à voir et bon à manger (Gn 2,9), vécu au sein de la communauté. Il représente un témoignage vivant, pour le monde. Bien plus, l’accueil actif de l’amour du Christ livré offre à la communauté croyante, une nouvelle identité.
Je vous appelle mes amis
Dans l’évangile de Jean, le Christ est Celui qui ne cesse de donner et, ultimement, de se donner. Les versets montrent ainsi combien le don sa vie inscrit la communauté des disciples dans une autre identité. Ils ne sont plus de simples serviteurs obéissant à leur maître, mais des amis entrant dans une relation aimante et gratuite. Il ne s’agit pas d’une récompense, d’un titre lié aux mérites mais un choix, une élection gracieuse du Christ lui-même. L’attachement au Seigneur se définit ainsi par une fidélité aimante et durable, une relation d’écoute attentive, et non une obéissance formelle. Les disciples, désormais amis, reçoivent du Christ la Parole salvatrice du Père, jusque dans cette Passion qui s’annonce.