2ème dim. Pâques (ABC) Jn 20,19-31
Pentecôte jour (A) Jn 20,19-23
Après le récit de Marie annonçant le message de la résurrection de Jésus, l’évangéliste nous fait pénétrer dans la maison des disciples ; une maison remplie de crainte et de doute.
Cette première section de l’article est disponible au format podcast (cf. ci-dessous) L’enfermement des disciples (4/7) Jn 20,19-23
Jésus vint, au milieu d’eux (20,19-20)
20, 19 Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » 20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Des disciples apeurés
Günther Bornkamm, un exégète allemand, disait à propos des disciples à la résurrection :
Les premiers chrétiens se considèrent comme des vaincus qui ont perdu tout ce qu’ils avaient cru jusque-là. Selon les récits de Pâques, les hommes que rencontre le Ressuscité ont atteint les limites de leur sagesse. Atterrés et désemparés par sa mort, ils portent le deuil de leur maître et errent près de sa tombe avec leur amour inutile, cherchant par de pauvres moyens à arrêter le processus de la décomposition, comme les femmes au tombeau ; disciples apeurés qui se sont serrés les uns contre les autres, tels des animaux pendant l’orage (Jn 20,19-20). […] Ce qu’ils vivent dans la crainte et l’angoisse, ce qui éveillera en eux progressivement joie et allégresse, c’est un renversement : en ce jour de Pâques, eux, les disciples, sont marqués par la mort, alors qu’est vivant celui qui a été crucifié et enseveli. Ceux qui lui ont survécu sont les morts, tandis que celui qui est mort vit. La disposition intérieure des disciples ne suffit donc pas à expliquer le miracle de la Résurrection, […] Aussi est-ce le Ressuscité lui-même qui, le premier, révèle le secret de son histoire et de sa personne, tout spécialement le sens de sa souffrance et de sa mort. In Günther Bornkamm, Qui est Jésus de Nazareth, Paris, Le Seuil, 1973, p.206-213.
Ces disciples apeurés qui se sont serrés les uns contre les autres, tels des animaux pendant l’orage, et qui ont encore tout à découvrir, ce sont ces disciples au soir de la résurrection dans l’évangile selon Jean.
Portes closes
Les portes fermées, évidemment disent toute la crainte des disciples face aux autorités juives et le risque de subir le même sort que leur maître. Mais n’y a -t-il que cela ? Ces portes évoquent celles du procès où Pierre se tenait près de la porte, dehors (18,16). La crainte des disciples rappellerait ainsi le reniement de Pierre, c’est-à-dire leurs reniements. Cet enferment des disciples fait pourtant suite à l’annonce de Marie de Magdala, de la victoire du Christ sur la mort et son élévation auprès du Père. Mais ces disciples demeurent dans la crainte, comme pétrifiés, incapables de se mouvoir, prisonniers d’eux-mêmes craignant tout aussi bien la croix des hommes, que le jugement de Dieu. Mais, si les portes de leur foi sont verrouillées, il y a une issue, une porte qui s’offre à eux :
Jn 10,7 Jésus reprit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. […. 9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir.
Voici que Jésus se tient au milieu d’eux. Non pas à côté, non en face, mais au sein même de leur crainte. Jésus les rejoint sans bruits, sans éclairs, sans manifestation merveilleuse, paisiblement.
La paix soit avec vous (20,21-23)
20, 21 Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » 22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Paroles de Paix
Les disciples, tels ces brebis de la parabole, ont une voix, une parole à entendre qui celle du crucifié- ressuscité : « la paix soit avec vous ». Ce n’est pas simplement une salutation habtituele, c’est aussi un don : ce qui leur manquait, cette paix du Seigneur, c’est-à-dire la pleine concorde et communion. Cette parole de paix, est suivi d’un acte : Comme il parlait, il leur montra ses mains et son côté. C’est bien celui qui a donné sa vie pour ses amis (15,13) qui se manifeste à eux. Voilà ce qu’il leur manquait, la paix du Ressuscité, la paix de celui qui les a aimés jusqu’au bout et les aime encore.
Cette paix est même redoublée. L’évangéliste Jean aime décrire cette surabondance d’amour depuis le vin à Cana (2,6), aux pains multipliés de Galilée (6,13) jusqu’à la myrrhe du tombeau (19,39). Ce passage suit le même schéma : une salutation (‘paix’) accompagné d’un geste (‘il souffla’), tel un rite sacramentel. Le Christ fait naître ses disciples à la communauté ecclésiale. Il les crée à nouveau comme au temps de la Genèse où Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol et insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant (Gn 2,7). La communauté des disciples par le don du souffle, de l’Esprit Saint, devient un témoignage vivant de l’amour de Dieu. Si Jésus n’est plus visible aux yeux des hommes, il le devient par la communauté créée à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26). C’est ce que soulignent les paroles de Jésus : « Recevez l’Esprit Saint; ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.»
Don de l’Esprit
Le don de l’Esprit vient accomplir la prière de Jésus et sa promesse de ne jamais abandonner les siens.
- Jn 14,26 le Paraclet, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. 27 Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre.
- Jn 16,13 lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu’il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. 14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et il vous le communiquera. 15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c’est pourquoi j’ai dit qu’il vous communiquera ce qu’il reçoit de moi.
Ce don de l’Esprit représente cette fidélité et cette présence de Dieu, de son Christ à ses disciples. L’Esprit Saint devient le garant de cette communion et de cette alliance entre Dieu et les hommes que son Fils vient de sceller sur la croix. L’Esprit Saint, dans l’évangile de Jean, est le souffle même du Christ leur donne accès à cette vérité qu’est son propre mystère : l’incarnation du Verbe fait chair (Jn 1) et sa glorification jusque sur la Croix (Jn 20). Mais ce don de l’Esprit dit encore que Jésus donne et se donne, qu’il se démet de tout pouvoir pour la Gloire du Père et le salut du monde : ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus.
Ce pouvoir de remettre les péchés n’appartenait qu’à Dieu et à son Messie. Mais une fois encore, Dieu donne et se donne, livrant sa vie et maintenant confiant son autorité à ses disciples. Le pardon des péchés est remis dans les mains de la communauté. Cette communauté doit inscrire sa vie dans le mystère de l’incarnation et de la croix. Ce pouvoir de miséricorde, n’est pas un pouvoir de domination, mais un pouvoir de don manifesté par l’amour mutuel. Ce don nécessite ainsi un abandon : ce dont Thomas fera l’expérience.
Thomas n’était pas avec eux (20,24-25)
20, 24 Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. 25 Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Cette section de l’article est disponible au format podcast (cf. ci-dessous). L’incrédulité de Thomas (5/7) Jn 20,24-31
L’absent
Alors que l’absent qu’est le Christ se rend présent, l’un des apôtres qui aurait dû est présent était absent. Et paradoxalement, cet apôtre absent se plaint de ne pas avoir vu et touché le Seigneur présent au milieu des disciples. Nous nageons en plein paradoxe. Thomas, le disciple absent, représente déjà ces futurs disciples qui vont rejoindre la communauté après la manifestation du Seigneur.
Dans l’évangile selon Jean, Thomas n’est pas tant la figure de celui qui doute que le personnage de l’Évangile, qui par ses questions soi-disant innocentes, oriente le croyant vers la foi en Christ :
- Jn 11, 14 Jésus leur dit alors ouvertement : « Lazare est mort, 15 et je suis heureux pour vous de n’avoir pas été là, afin que vous croyiez. Mais allons à lui ! » 16 Alors Thomas, celui que l’on appelle Didyme, dit aux autres disciples : « Allons, nous aussi, et nous mourrons avec lui. » [Lazare]
- Jn 14,5 Thomas lui dit: « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ? » 6 Jésus lui dit: « Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va au Père si ce n’est par moi. 7 Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le connaissez et vous l’avez vu. »
Ici, le récit introduit la question du « voir » et du « croire ». Il faut voir pour croire comme Saint Thomas dit l’adage populaire tiré de cet épisode de l’évangile. Cette interrogation de Thomas est destinée avant tout au lecteur de l’évangile qui lui n’a pas connu de son vivant ni la croix, ni le ressuscité. Finalement, que et qui doivent-ils croire puisque même le Ressuscité n’est plus visible ? Thomas permet à l’évangéliste de répondre à ce questionnement, en plusieurs étapes. Thomas veut voir de ses yeux ce crucifié ressuscité, mais aussi le toucher. On saisit bien qu’il souhaite une confirmation concrète de la résurrection de Celui qu’il a connu. Le voir et le toucher infirmeraient l’hypothèse d’un fantôme ou d’une hallucination.
Mais bien plus, car le questionnement de Thomas ne concerne pas tant la réalité du ressuscité que la parole de ses compagnons. Thomas à l’inverse de ses frères dans la foi, n’a pas vu le Seigneur. Il ne met pas sa foi en ses compagnons. Il veut voir et rencontrer Jésus par lui-même, en dehors du témoignage de la communauté, c’est-à-dire de la foi de l’Église.
Cesse d’être incrédule (20,26-29)
20, 26 Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » 27 Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » 28 Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » 29 Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Huit jours plus tard
Le récit se situe dans un cadre liturgique d’une assemblée : huit jours plus tard, un autre premier jour de la semaine. Cette indication est d’importance, car elle donne à la manifestation du Ressuscité un cadre éminemment ecclésial. Le Seigneur se donne à voir, huit jours plus tard, un même premier jour de la semaine, un dimanche, jour de la célébration du repas du Seigneur. La volonté personnelle « Je veux voir » de Thomas doit rejoindre le « nous avons vu » de la communauté.
La scène se déroule suivant le même schéma que la première manifestation aux disciples. Jésus se tient au milieu d’eux, et nous entendons une salutation de paix suivi d’un geste ou plutôt ici invitation au geste dont on ne sait s’il sera effectif.
En définitif justement, Thomas n’a plus besoin de toucher, il croit comme les autres disciples parce qu’il a vu : « nous avons vu le Seigneur » (20,25). Cette présence du Seigneur au sein de l’assemblée des disciples a suscité en lui la foi qui reconnaît en Jésus bien plus que l’envoyé du Père, mais la figure même de Dieu et la présence de sa Seigneurie. « Mon Seigneur et mon Dieu » Cette profession de foi clôture ainsi l’ensemble de l’Évangile qui, dans le prologue, affirmait cette même divinité et seigneurie du Christ Jésus : 1,1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. 2 Il était au commencement tourné vers Dieu.[…] 1,18 Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé.
L’évangile : une parole pour croire sans voir
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. La foi de Thomas et des disciples n’aura plus besoin d’un « voir », la parole de Jésus rapporté par l’évangile du disciple bien-aimé suffit désormais à faire naître la foi. Ce verset fait écho aux paroles de Jésus à Nathanaël au début de l’évangile:
1, 50 Jésus lui répondit: «Parce que je t’ai dit que je t’avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes.» 51 Et il ajouta: «En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme.
Ce passage du « voir et croire » au « croire sans voir », destiné à tous les croyants, est un chemin que l’évangéliste fait faire à ses lecteurs depuis la découverte du tombeau vide. En effet le récit a comme point de départ Marie de Magdala qui cherche le corps de son seigneur, elle ne le voit pas ou plutôt elle ne voit que l’absent et demeure dans l’incompréhension. Seul le disciple bien-aimé, celui-là seul qui fut aux côtés de Jésus à la Cène et au pied de la croix, peut voir et croire en contemplant le tombeau vide. Il vit et il crut. Mais il faut maintenant sur la parole de ce même disciple, sur le témoignage de son évangile, croire sans voir.
Les figures de Marie et de Thomas encadrent le récit de la manifestation de Jésus à ses disciples. Ces deux disciples rencontre le Ressuscité, les deux veulent le retenir ou le toucher. Marie dira aux disciples ‘J’ai vu le Seigneur’, et les disciples transmettent ce même témoignage à Thomas ‘nous avons vu le Seigneur’. Mais pour Marie comme pour Thomas, ainsi que pour les disciples, c’est la parole de Jésus qui oriente vers le « croire sans voir »
- Jn 20, 18… J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’il m’a dit.
- Jn 20,20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. …
- Jn 20 ;27 Jésus dit à Thomas: « …cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. »
La foi de Thomas ne naît pas du fait seul qu’il ait vu le Seigneur, mais résulte de la Parole même du Christ, son commandement : cesse d’être incrédule, sois croyant. La foi au Ressuscité naît de l’écoute du verbe fait chair donné à entendre et à contempler par le témoignage du disciple bien-aimé.
Beaucoup d’autres signes (20,30-31)
20 30 Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. 31 Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Pour que vous croyiez
La conclusion de l’évangile vient interpeler l’ensemble des lecteurs croyants. A leur tour, ils sont invités à croire la parole ecclésiale de l’évangile. Ce dernier a été écrit dans le dessein d’affermir la communauté dans la foi au Christ crucifié-ressuscité, depuis le Jourdain jusqu’à la maison des disciples. Une foi qui, dans la conviction du rédacteur, ouvre à la vie que vient révéler l’amour livré du Christ.
Ces deux derniers versets représentent une conclusion du livre à une étape de sa rédaction. Car l’évangile se poursuit tout au long du chapitre 21 et se termine par une seconde conclusion faisant référence à la mort du disciple bien-aimé.