Manifestation au bord du Lac (Jn 21,1-19)

Parallèle : (Lc 5,1-11)

3ème dimanche Pâques (C) Jn 21,1-19
Saints Pierre et Paul 29 juin, Jn 21,15-19

Après la manifestation de Jésus à Marie de Magdala puis aux disciples et à Thomas, l’évangile se poursuit avec un autre chapitre qui nous emmène à une ultime rencontre avec le Christ ressuscité.

La première partie de cet article est disponible au format podcast (cf. ci-dessous) : Le repas au bord du lac 6/7 (Jn 21,1-14)

Jean Jouven et la pêche miraculeuse, 1706

Je m’en vais à la pêche (21,1-3)

21, 1 Après cela, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. 2 Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. 3 Simon-Pierre leur dit : « Je m’en vais à la pêche. » Ils lui répondent : « Nous aussi, nous allons avec toi. » Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.

L’épilogue

Cette section fait mémoire de l’ensemble de l’Évangile depuis le chapitre 1 au chapitre 20. On y retrouvera des disciples appelés lors du premier chapitre : Nathanaël et Pierre. Le chapitre 20 est évoqué par Thomas. La pêche miraculeuse n’est pas non plus sans rappeler la multiplication des pains, en Jn 6, au bord de ce même lac et le disciple bien-aimé l’épisode de la Passion. L’évangéliste ajoute même pour la première fois, la mention des fils de Zébédée. Toute l’Église, dans sa diversité, se rassemble autour du personnage de Pierre qui fera l’unité : c’est lui qui par son initiative amène les autres disciples dans une seule et même barque. Là aura lieu une ultime manifestions de Jésus à ses disciples (21,1-14) qui sera suivi du dialogue entre Jésus et Simon-Pierre (21,15-25).

Ils ne prirent rien

C’est finalement le retour à une vie ordinaire qui semble s’imposer aux disciples : comme si la présence de Jésus ne fut qu’une parenthèse. « Je m’en vais à la pêche ». En même temps, les disciples demeurent ensemble dans cette diversité que nous avons notée : c’est bien l’Église qui s’embarque. Le récit met en évidence l’échec de l’activité halieutique des disciples, leur mission ne mène à rien. Par leurs propres moyens, les filets sont vides. La mention de la nuit n’est pas seulement une indication chronologique, elle souligne ces ténèbres encore présentes aux disciples. Une fois de plus, le rédacteur johannique insiste sur la nécessaire présence de Jésus ressuscité : c’est à sa parole que la mission va réussir au-delà de l’imaginable, dans une surabondance étonnante.

Sebastiano Ricci, la pêche miraculeuse, 1695

Pêche miraculeuse (21,4-7)

21, 4 Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. 5 Jésus leur dit : « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? » Ils lui répondirent : « Non. » 6 Il leur dit : « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. » Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons. 7 Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau.

C’est le Seigneur !

Les disciples eux-mêmes entrent dans le mystère pascal, passant de la nuit au matin, de la mer au rivage, de l’échec à la surabondance. Le Ressuscité prend, une fois encore, l’initiative de la rencontre : Auriez-vous quelque chose (littéralement : des poissons) à manger  ? Le Seigneur vient révéler le manque comme autrefois avec la Samaritaine (4,10). Face à l’échec des disciples, Jésus vient bouleverser leur perspective : c’est de l’autre côté qu’il faut jeter le filet, du côté droit, celui de la grâce divine. La parole du Ressuscité est désormais un des lieux de sa présence, et cette Parole demeure efficace : elle donne vie en surabondance à l’image de cette pêche. C’est à ce don que le disciple reconnaît le Ressuscité. Celui qui était au plus près de Jésus pour son dernier repas lors du lavement des pieds (13,23), celui qui était présent lors passion et celui qui était au tombeau vide, voyant et croyant (20,1-10), le reconnaît en premier : c’est le Seigneur.

Instruit par ce disciple, Simon-Pierre le reconnaît à son tour. Sa plongée dans la mer dit tout son attachement à Jésus (nous sommes à cent mètres du rivage ; cf. 21,8). Sa nudité recouverte pourrait évoquer son respect vis-à-vis du Seigneur ou aussi bien son état d’homme marqué par le péché, tel Adam et Eve se couvrant devant Dieu au jardin d’Eden (Gn 3,7). Avec Pierre et le disciple bien-aimé c’est l’ensemble de la communauté qui est amenée au rivage où se tient Jésus.

James Tissot, La seconde pêche miraculeuse, 1894

Descendus à terre (21,8-11)

21, 8 Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. 9 Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain. 10 Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. » 11 Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré.

153 poissons

Il y a là un paradoxe narratif : si la pêche fut miraculeuse et surabondante, si Jésus leur demandait un peu de poissons à manger… déjà, sur le rivage, les attendent un feu de braise et du poisson. La rencontre avec le Ressuscité se place ainsi au cours d’un repas déjà servi. La grâce précède les disciples. La demande de Jésus ajoute encore à cette incohérence : Apportez donc de ces poissons. La mission des hommes, ici la pêche miraculeuse, rejoint leur destinataire : le Christ. Ainsi la mission n’est pas destinée au contentement des seuls disciples, mais a pour mission de ramener au Christ et non à ses pasteurs.

Ce lourd filet que les autres disciples ont traîné sur le rivage, Pierre vient le prendre lui seul. La mention des 153 poissons a suscité beaucoup d’interrogations : pour saint Jérôme, il correspondrait aux espèces de poissons recensés et symboliserait l’ensemble de la famille humaine. Saint Augustin, quant à lui, y voit la somme des 17 premiers chiffres y associant la même symbolique.

Quel que soit la modalité du décompte, le nombre de 153 vise une totalité. Ce nombre permet d’insister sur le poids et la quantité de poissons que Pierre amène seul sur le rivage sans que le filet ne se déchire, comme il en était de la tunique de Jésus (19,24). C’est le Christ, et sa Parole, qui fait et l’unité des disciples et la réussite de sa mission universelle qu’il avait annoncée : et non pas pour la nation seulement, mais encore afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.11,52 et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi. 12,32. La mission du Christ et de son Église prend sa source dans la Parole et dans la Passion.

Jan van der Elburcht, Le repas au bord du lac, 1500

Le repas (21,12-14)

21, 12 Jésus leur dit alors : « Venez manger. » Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur. 13 Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. 14 C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.

Le feu au lac

Le Christ préside maintenant le repas. Il convoque ses disciples à recevoir de lui la nourriture. Désormais tous savent qu’il est le Seigneur. Ce repas prend la forme nette d’un repas eucharistique : Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne. Il vient attester la foi des disciples non seulement en sa Présence vivante, en sa Parole, mais conforte également leur foi en Celui qui se donne en nourriture (6,51) et qui a souffert sa Passion pour révéler la Gloire du Père.

Le repas devient le lieu de la réconciliation entre Jésus et ses disciples. La mention du feu de braise (21,9) ou brasero rappelle au lecteur ce même brasero (anthrakian/ἀνθρακιὰν) de la cour du grand-prêtre où Pierre se tenait (18,18). Les disciples qui l’avaient renié ou laissé seul (16,32) sont rétablis aujourd’hui dans sa communion. Cette restauration, à l’initiative du Christ, appelle ainsi le dialogue particulier entre Pierre et Jésus.

Cette seconde partie de cet article est disponible au format podcast (cf. ci-dessous) : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? 7/7 (Jn 21,15-25)

St Pierre Gallicante, Jérusalem

Simon, m’aimes-tu ? (21,15-17)

21, 15 Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » 16 Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » 17 Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis

Tu sais que je t’aime

Le dialogue entre Pierre et Jésus met en relief une triple question : ‘M’aimes-tu ? à la laquelle Pierre répond par un triple ‘Oui Seigneur’, écho positif à son triple reniement. Mais le texte grec porte en lui quelques nuances. Car si Jésus pose ses deux premières questions avec le verbe aimer (agapaô/ἀγαπάω), Pierre répond avec un autre verbe chérir (philéô/φιλέω). Il faudra la troisième question pour que les verbes soient similaires avec le verbe chérirphiléô utilisé par Pierre. Qu’en est-il de ces différences ? À la suite de St Augustin, beaucoup de commentateurs ont voulu voir dans cet échange entre Pierre et Jésus, le rappel de la trahison du disciple et la faiblesse de ce dernier incapable, comme tout homme, à se situer sur le même amour que Jésus, un amour supérieur, théologal. Simon-Pierre se contenterait de se situer sur le plan de l’affection humaine (chérir – philéô). En dernier lieu, c’est le Christ qui s’abaisse au même plan que lui, le rejoignant dans sa fragilité. C’est à partir de là que le Christ pourra l’amener plus loin : jusqu’à la suivance et au martyre dont il sera question peu après.

D’autres commentateurs, montrent pourtant que les verbes agapaô et phileô sont, dans l’évangile de Jean, souvent interchangeable, et qu’il y a ici plus un effet de style que de sens. On entendait ainsi en 5,20 que le Père aime (philéo) le Fils, et en 16,27 car le Père lui-même vous aime (philéô) parce que vous m’avez aimé (philéo). Les exemples ne manquent pas. Il n’y a là aucun amour de moindre qualité. D’une manière ou d’une autre, Jésus montre avant tout sa volonté d’aimer, au-delà même du reniement de son disciple, lui confiant une mission cruciale.

Sois le berger de mes agneaux

Sans entrer encore là dans le jeu subtil des différences entre ‘être le berger des agneaux’ et ‘être le pasteur des brebis’, le Christ inscrit la réponse aimante de Pierre dans une mission ecclésiale et universelle. Aimer le Christ, c’est revêtir pour Pierre une autorité pastorale. Celle-ci n’est pas une mission parmi d’autres, elle est celle du « bon pasteur, du vrai berger qui donne sa vie pour ses brebis » (10,11). Par son triple acquiescement à l’amour privilégié de son Seigneur Pierre reçoit de lui sa mission. Une fois de plus, Jésus confie son autorité à son apôtre et disciple. C’est dans la logique de cet amour livré que Pierre est invité à suivre Jésus, jusqu’au bout.

Rubens, La charge confiée à Pierre, XVIIe

Suis-moi (21,18-19)

21, 18 Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. » 19 Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »

Un autre te mettra ta ceinture

Le rôle de bon et vrai berger dévolu maintenant à Simon-Pierre est associé de manière stricte à celui de témoin de la gloire de Dieu pour le salut de ses frères, et cela jusque dans la mort. Ce n’est pas tant la mort de Simon-Pierre qui est annoncé mais sa fidélité dans le témoignage, jusque dans la mort. L’autorité pastorale devient un service aimant et risqué pour le bien de la communauté des autres disciples. Telle est la mission reçue pour Pierre.

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