St Jean Baptiste (veille 24 juin)
Le premier personnage rencontré, dans l’évangile de Luc, ne sera ni Jésus, ni Joseph, ni Marie, mais un couple âgé, de la classe sacerdotale, futurs parents de Jean baptiste, personnage contemporain de Jésus et très réputé dans le Judaïsme du Ier siècle. Il prêche dans le désert et baptise dans le Jourdain pour le pardon des péchés dans l’attente de la venue du Royaume. Selon les évangiles et l’historien Flavius Josèphe, le roi Hérode Antipas le fit arrêter et décapiter en raison de ses discours virulents à son encontre. Je résume et pour en savoir plus, je vous renvoie à la série du podcast : « Jean, le baptiste ».
Cet article est aussi disponible en podcast dans la série ‘Il est né le biblique enfant‘.
Le récit de Luc
Dans les quatre évangiles, la rencontre avec le baptiste constitue la première scène du ministère du Jésus, à l’occasion du baptême au Jourdain. Luc est le seul à raconter le récit de sa naissance : une histoire d’un couple sans enfant et d’une intervention angélique, à la manière des récits de naissances vétérotestamentaires (cf. « Il est né le biblique enfant »).
Le récit de la naissance de Jean est conséquent. Luc dans son évangile alterne les événements qui concernent Jean et Jésus. L’annonce de la naissance du baptiste (1,5-25) précède ainsi celle du Christ (1,26-38), comme sa venue monde (1,57-66) précède la Nativité (2,1-21). Au centre Luc a placé la rencontre, la visitation (1,39-56) entre les deux mères : Élisabeth et Marie. Le parallèle est volontaire. Les deux enfants participent à l’avènement du règne de Dieu même si leur naissance, comme leur vocation, est très différente. Les deux figures sont même à l’opposé l’une de l’autre dans leur récit de naissance. Luc surprend son lecteur. Avec l’annonce de la naissance de Jean, le récit nous place au Temple de Jérusalem avec son père Zacharie. Un cadre grandiose qui aurait dû être celui de l’annonce de la venue du Sauveur. Or celle-ci aura lieu dans un autre lieu : un village de Galilée sans renommée, dans la maison d’une simple jeune fille.
Un couple âgé (1,5-7)
Lc 1 5 Il y avait, au temps d’Hérode le Grand, roi de Judée, un prêtre du groupe d’Abia, nommé Zacharie. Sa femme aussi était descendante d’Aaron ; elle s’appelait Élisabeth. 6 Ils étaient l’un et l’autre des justes devant Dieu : ils suivaient tous les commandements et les préceptes du Seigneur de façon irréprochable. 7 Ils n’avaient pas d’enfant, car Élisabeth était stérile et, de plus, ils étaient l’un et l’autre avancés en âge.
Zacharie et Élisabeth
Ces premiers versets présentent le cadre et les personnages : un couple dont l’épouse est stérile, schéma classique des récits bibliques de naissance. Mais, à ce malheur s’en ajoute un second : le couple est âgé, ce qui rend inenvisageable la naissance d’un enfant sinon grâce une intervention divine. Cette situation nous renvoie à celle d’Abraham et de Sara dans le livre de la Genèse (Gn 12-21). Zacharie et Élisabeth sont également qualifiés de la même manière que le patriarche : ils sont justes devant Dieu, pétris de la parole de Dieu et fidèles aux commandements du Seigneur. Cette qualité de foi est confortée par leur origine sacerdotale.
On ne peut faire plus saint ni plus pieux : irréprochables, dit le texte. Pourtant malgré leur probité, Zacharie et Élisabeth n’ont pas d’enfant. Cette situation constitue un drame pour ces croyants juifs de la fin Ier siècle de notre ère : ils ne peuvent vivre du commandement : Soyez fécond, croissez et multipliez-vous sur la terre (Gn 1,26). Dans la Bible, la femme stérile subie le mépris de beaucoup qui voit dans cet état, une malédiction divine, ce que les récits vont dénoncer.
L’ange du Seigneur (1,8-11)
1,8 Or, tandis que Zacharie, durant la période attribuée aux prêtres de son groupe, assurait le service du culte devant Dieu, 9 il fut désigné par le sort, suivant l’usage des prêtres, pour aller offrir l’encens dans le sanctuaire du Seigneur. 10 Toute la multitude du peuple était en prière au dehors, à l’heure de l’offrande de l’encens. 11 L’ange du Seigneur lui apparut, debout à droite de l’autel de l’encens.
Au sein d’un culte
Le récit de l’évangéliste Luc insiste sur le cadre cultuel. Zacharie est prêtre du Temple de Jérusalem. Il est désigné pour assurer l’un des rites tandis que les fidèles prient. Il offre l’encens au sein du sanctuaire, cette partie du Temple réservée à la seule classe sacerdotale.
Là, apparaît l’ange du Seigneur dans une sorte de face à face. Luc écrit ce récit de manière à nous suggérer un autre épisode biblique : la manifestation de Dieu à Isaïe (Is 6). Le Seigneur apparaissait alors au prophète dans le Temple, au milieu de la fumée d’encens, pour annoncer le jugement divin à son peuple.
De même, le récit de Luc nous met en présence d’un homme appelée Zacharie, qui ressemble à Abraham, et d’un ange du Seigneur qui se manifeste comme pour Isaïe au sein du culte du Temple. Le lecteur est ainsi averti. Il devine qu’il va être question de la venue d’un enfant. Mais avec de telles descriptions, il sait aussi combien cette annonce va concerner l’Alliance de Dieu et l’avènement du Jugement. Ce que confirme le message de l’ange.
Le message de l’ange (1,12-17)
1,12 À sa vue, Zacharie fut bouleversé et la crainte le saisit. 13 L’ange lui dit : « Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée : ta femme Élisabeth mettra au monde pour toi un fils, et tu lui donneras le nom de Jean. 14 Tu seras dans la joie et l’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance,15 car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira pas de vin ni de boisson forte, et il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère ; 16 il fera revenir de nombreux fils d’Israël au Seigneur leur Dieu ; 17 il marchera devant, en présence du Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie, pour faire revenir le cœur des pères vers leurs enfants, ramener les rebelles à la sagesse des justes, et préparer au Seigneur un peuple bien disposé. »
Le nazir
L’annonce est typique. Une naissance impossible est rendue possible par l’action de Dieu, le Créateur et maître de la vie. Comme pour le récit de la naissance de Samson (Jg 13), nous sommes en présence du même régime du Naziréat (Nb 6). Tout comme Samson, l’enfant est destiné à être saint et jouer un rôle pour le salut des fils d’Israël.
Dans la Bible, la naissance miraculeuse ne se résume pas à un don pour les seuls parents. Elle est toujours destinée à l’avenir du peuple. La mission de l’enfant est comparée à celle d’un autre prophète : Élie. Ce prophète d’autrefois (1R 18-2R 1) était attendu avant l’avènement du Messie selon la tradition juive et le livre du prophète Malachie (Ml 3, 23). L’enfant aura donc pour mission, une fois adulte, de préparer le terrain en appelant à la conversion ou, pour reprendre l’expression biblique, la mission de préparer et rendre droits ses sentiers (Is 43,3). L’enfant est donc promis à un grand destin. Il rassemble, déjà, en lui toutes les promesses advenues par les prophètes d’Elie à Isaïe.
Le doute de Zacharie (1,18-23)
1,18 Alors Zacharie dit à l’ange : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? Moi, en effet, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge. » 19 L’ange lui répondit : « Je suis Gabriel et je me tiens en présence de Dieu. J’ai été envoyé pour te parler et pour t’annoncer cette bonne nouvelle. 20 Mais voici que tu seras réduit au silence et, jusqu’au jour où cela se réalisera, tu ne pourras plus parler, parce que tu n’as pas cru à mes paroles ; celles-ci s’accompliront en leur temps. » 21 Le peuple attendait Zacharie et s’étonnait qu’il s’attarde dans le sanctuaire. 22 Quand il sortit, il ne pouvait pas leur parler, et ils comprirent que, dans le sanctuaire, il avait eu une vision. Il leur faisait des signes et restait muet. 23 Lorsqu’il eut achevé son temps de service liturgique, il repartit chez lui.
Une sanction ?
La sanction de Zacharie, devenu muet, est-elle la conséquence de son éventuelle incroyance ? Parler de punition divine ne serait pas tout à fait juste. D’une part, Luc nous prépare au contraste avec l’acceptation de Marie. La foi de Zacharie, prêtre irréprochable du Temple, ayant une connaissance des Écritures, des rites, est marquée par un doute sérieux. À l’inverse, une jeune fille de province, en Galilée, analphabète, répond de manière favorable au Seigneur. À travers Zacharie, le récit annonce, déjà, la surdité de la classe sacerdotale lors du futur ministère et procès de Jésus. Mais une autre interprétation est aussi possible.
Le mutisme de Zacharie n’est pas une punition. Il s’agit d’un principe narratif assez présent dans la Bible où le message d’un ange se confronte au doute du bénéficiaire. Ce dernier demande une confirmation, une preuve tangible et concrète. Ici la preuve de l’action de Dieu se manifeste dans le mutisme du père. Et de fait, le peuple a lu ce signe dans son silence : Quand il sortit, il ne pouvait pas leur parler, et ils comprirent que, dans le sanctuaire, il avait eu une vision.
La fin d’un monde
Le silence d’un des prêtres des plus pieux et des plus irréprochables peut maintenant laisser place à la parole inspirée d’un autre personnage qu’est l’épouse. Élisabeth va maintenant endosser le rôle principal. Le mutisme de son mari signe la fin d’une époque, celle de la présence d’une classe sacerdotale de Dieu au Temple dont le temps liturgique est achevé. S’ouvre une page nouvelle, un temps nouveau, celui d’une présence divine incarnée dont les femmes deviennent les premiers prophètes et prophétesses : Élisabeth et Marie, remplies d’Esprit Saint.
1,41 Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint.
Effectivement à partir de cet instant, Élisabeth devient le sujet principal de cet épisode.
Élisabeth (1,24-25)
1, 24 Quelque temps plus tard, sa femme Élisabeth conçut un enfant. Pendant cinq mois, elle garda le secret. Elle se disait : 25 « Voilà ce que le Seigneur a fait pour moi, en ces jours où il a posé son regard pour effacer ce qui était ma honte devant les hommes. »
Il a posé son regard
Le père est muet mais la mère aussi se tait. L’annonciation du baptiste commence dans le bruit du Temple et finit dans la discrétion et l’humilité. Élisabeth ne parle pas, du moins pas publiquement. Cependant nous entendons ses paroles qui révèlent déjà l’œuvre de miséricorde de Dieu, thème privilégié dans l’œuvre de Luc : le Seigneur pose son regard sur l’humiliée, efface la honte, et le péché… et fera parler les muets. Ce que le texte raconte à propos d’Élisabeth annonce déjà la suite : l’avènement d’un Sauveur pour les accablés.