Nativité (nuit) Lc 2,1-14,
Nativité (aurore) Lc 2,15-20,
Marie mère de Dieu (1er jan.) Lc 2,16-21
Dans l’évangile selon saint Luc, les bergers jouent un rôle important, voire le premier, dans la narration. Ils nous permettent de comprendre la naissance du Christ Jésus à la lumière de Pâques. Déjà.
Retrouvez une partie de cet article en podcast dans la série ‘Il est né le biblique enfant‘.
Un recensement (2,1-5)
2, 1 En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – 2 ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. – 3 Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. 4 Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. 5 Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Une question d’histoire et de chronologie
D’un point de vue historique, il y eut bien un recensement en Judée, mais ce dernier eut lieu en l’an 6/7 de notre ère, soit plus de dix ans après la naissance de Jésus. Nous savons aujourd’hui que les calculs du moine Denys le Petit, qui, en 532, établit l’année de la naissance du Christ et le début de l’ère chrétienne, étaient erronées. Jésus a pu naître aux environs des années 6/7 avant notre ère. La date du 25 décembre fut choisie de manière symbolique : à partir du 25 décembre les nuits se font plus courtes, et la lumière du jour brille de plus en plus (du moins, dans l’hémisphère nord).
Il est difficile d’établir l’année de la naissance de Jésus. Les récits de naissance présent chez Matthieu et chez Luc, sont très différents (cf. épisode dédié) et ne constituent pas des chroniques historiques. Si l’on s’en tient à ses deux évangiles (Mt 2,1 ; Lc 1,5), Jésus serait né quelques années avant la mort d’Hérode le grand en l’an -4. Cependant, selon l’historien antique, Flavius Josèphe, Publius Suplicius Quirinius (Lc 2,2) gouverna la Syrie, dont la Judée dépendait, de l’an 6 à 9 de notre ère. Flavius Josèphe confirme qu’en cette période fut ordonné un recensement en Judée. Mais ni Matthieu, ni Luc, ne cherchent à reconstituer l’histoire, mais à donner sens à celle-ci.
Ainsi, comme tout recensement, celui-ci ne nécessitait aucun déplacement de la population vers sa ville d’origine, chacun étant compté en son lieu de vie. Alors pourquoi, Luc oblige-t-il Joseph à se déplacer à Bethléem, à l’occasion d’un recensement ?
Sur toute la terre
Un recensement de toute la terre … l’expression est exagérée permet à Luc d’illustrer un monde soumis à l’autorité de l’empereur et aux puissances mondaines. Cette obligation de déplacement permet à Luc d’insister sur l’état de soumission d’Israël et des nations, subissant le joug romain. Luc reprend le motif que de l’oppression chanté précédemment par Zacharie, obligeant Joseph à un certain exil. La confrontation entre la naissance de Jésus à Bethléem et le recensement d’Auguste sur toute la terre, offre au salut annoncé une perspective universelle. Face au pouvoir romain, un successeur s’annonce pour le trône de David, comme l’ange l’avait promis à Marie.
Le roi et le recensement
L’évocation de ce recensement permet, aussi, à Luc de rappeler la lignée davidique à laquelle Joseph appartient (Lc 3,23-38). Bethléem est la ville de naissance de David, celui qui fut berger et, parmi le plus jeune et moins fort de ses frères, choisi pour devenir roi (1S 16). Mais ce même roi qui, oubliant sa stature de serviteur du Seigneur, organisa également le recensement de son peuple. Ce dénombrement est considéré, dans ce passage (2S 24), comme un grand péché qui amène la peste sur Israël, pour amener, enfin, le roi au repentir :
2S 24, 17 David, en voyant l’ange frapper le peuple, avait dit au Seigneur : « C’est moi qui ai péché, c’est moi qui suis coupable ; mais ceux-là, le troupeau, qu’ont-ils fait ? Que ta main s’appesantisse donc sur moi et sur la maison de mon père !
Le repentir de David le renvoie à son statut de ‘simple’ berger qui sert un troupeau qui ne lui appartient pas, mais à Dieu. L’épisode du recensement rappelle ainsi les deux postures royales : celle du roi-tyran, à laquelle Luc associe le pouvoir romain, et celle du roi-berger qui annonce le Royaume de Dieu à venir : 12,32 Sois sans crainte, petit troupeau : votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume.
Dans une mangeoire (2,6-7)
2, 6 Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. 7 Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Emmailloté et couché
Jésus naît donc à Bethléem, ville de David. Mais pour lui ni palais, ni maison, mais une pièce attenante, servant d’étable. Le Fils de Dieu est mis au monde, à l’écart – pour ne pas dire écarté – et n’a pour seul berceau qu’une mangeoire. En ces quelques versets, Luc nous renvoie déjà à la Passion, à l’abaissement total du Sauveur. L’enfant emmailloté et couché dans la mangeoire évoque le suaire et le corps de Jésus déposé au tombeau de Pâques. Jésus naît à l’écart, comme il mourra à l’écart de la ville. Cependant, ce n’est pas un destin fatal qui est ici annoncé, mais une victoire de Dieu au milieu de ce recensement oppressant. Car l’enfant divin de la mangeoire préfigure déjà le salut.
Des bergers dehors (2,8-14)
2, 8 Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. 9 L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. 10 Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11 Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. 12 Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » 13 Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant : 14 « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »
L’armée céleste
La scène, à y regarder de près, est terrifiante. Un ange apparaît dans la Gloire de Dieu quand une troupe céleste innombrable le rejoint. Même à l’Annonciation, nous n’avons pas eu un tel déploiement céleste. La scène est terrible : ange et troupe ou armée céleste comme si un combat allait advenir. Pourtant ces anges se manifestent à de vulgaires bergers. Le monde céleste au plus haut rejoint sur la terre, les plus bas, ces bergers. Ceux-ci ne sont guère appréciés de leurs contemporains. Ils vivent dehors, eux aussi, à l’écart. Et ce mode de vie ne leur permet pas de suivre les lois de pureté… Ils appartiennent à une catégorie sociale des plus méprisées. À Bethléem, ville de David, ces bergers, humiliés, pauvres, vivant à l’écart, nous renvoient encore à la figure du berger-roi. La scène se passe de nuit est vient, déjà, accomplir les paroles chantées par Zacharie qui annonçait : grâce à la tendresse, à l’amour de notre Dieu quand nous visite l’astre d’en haut, pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix (1,78-79). Cette paix de Dieu et son amour ont pris désormais chair dans ce sauveur qui n’est encore qu’un nouveau-né.
Il vous est né un sauveur
Il vous est né un sauveur. Non pas « Il est né un sauveur ». Mais il vous est né. L’annonce ne vise pas à exprimer un fait mais implique les auditeurs. Il est né pour vous, et pour vous sauver. Les premiers destinataires du message divin ne sont ni les notables, ni de pieux religieux pas même les puissants oppresseurs, mais de simples bergers. Ils sont les premiers avertis, après Marie, eux qui sont considérés comme les derniers. Ils sont les premiers à accueillir la grande joie et la bonne nouvelle (v.10). Cette dernière expression peut se traduire par évangile, mot traduisant une bonne nouvelle à l’occasion d’une victoire. Or cette grande joie et ce Sauveur du peuple, dort dans une petite mangeoire. Luc, vous l’avez compris, aime les contrastes.
L’énigme de la mangeoire
L’évangéliste introduit dans ce récit de naissance un élément perturbant sur lequel il va insister par trois fois : le nouveau-né est couché dans une mangeoire (v.7.12.16). Cette insistance dépasse le détail historique d’autant que les évangiles ne sont pas des reportages in situ. Luc veut attirer notre attention sur cet élément, qui ressemble presque à un message codé de radio Londres.
Cette phrase est ainsi reprise dans la scène de l’ange apparaissant aux bergers et leur disant : Il vous est né un Sauveur ; et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né couché dans une mangeoire. La mangeoire sert donc de code, de signe que seuls les bergers peuvent comprendre.
Eux, qui n’ont pas le savoir des scribes, des lettrés, eux sauront où et qui est l’enfant sauveur. Car des enfants dans une mangeoire ça ne court pas les rues, ça court d’autant moins qu’il est emmailloté.
L’adoration (2,15-21)
2 ,15 Lorsque les anges eurent quitté les bergers pour le ciel, ceux-ci se disaient entre eux : « Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, l’événement que le Seigneur nous a fait connaître. » 16 Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans la mangeoire. 17 Après avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été annoncé au sujet de cet enfant. 18 Et tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers.19 Marie, cependant, retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. 20 Les bergers repartirent ; ils glorifiaient et louaient Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, selon ce qui leur avait été annoncé. 21 Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l’enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l’ange lui avait donné avant sa conception.
Après avoir vu
Si Marie et Joseph furent contraints de se rendre à Bethléem, les bergers y viennent libres et volontaires. Ainsi, avec la naissance du Sauveur, la marche des bergers annonce la délivrance à venir. De leur nuit, ils viennent vers le jour du Seigneur. Cet événement que Dieu leur a fait connaître a déjà bouleversé leurs vies.
Les bergers voient et racontent. Tout comme plus tard les femmes à la vue des êtres célestes au tombeau vide (Lc 24,9), tout comme les disciples d’Emmaüs à la vue d’un simple pain rompu (Lc 24,32). La contemplation et la parole des bergers anticipent l’annonce de la résurrection. Une parole qui étonne et détonne. Ceux qui en sont les porteurs n’ont pas la science des lettrés, la pureté des religieux, ils ne sont que de simples va-nu-pieds qui deviennent porte-parole de Dieu. Les bergers sont déjà disciples.
Marie et la parole des bergers
Marie retenait tous ces événements et les méditait en son cœur. Les événements dont il est question ici, inclus en premiers, dans ce contexte, les paroles des bergers. Celle qui pourtant a mis au monde le divin enfant annoncé par l’ange, vient de saisir la parole des bergers et, ainsi, le réel destin de l’enfant.
Le témoignage des bergers éclaire la naissance du Sauveur d’une autre lumière. Le messie-Roi apporte la Paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. L’enfant est déjà un salut et une victoire. Il apporte une délivrance et la joie au peuple, en commençant par les plus petits. L’amour de Dieu vient aux hommes dans un monde opprimé. Ce n’est pas la guerre qui vient, et l’armée des anges n’a pour armes que le chant. S’il y a une révolte, les premiers révolutionnaires sont des bergers qui rendent Gloire à Dieu pour la venue d’un enfant Sauveur, nommé Jésus, Dieu-sauve, un nom des plus courant à l’époque mais qui prend déjà tout son sens. Tout est bien bas, bien paisible mais là s’exprime le commencement de la victoire du Messie.
Bonjour.
De ce point de vue, je pourrais vous donner raison. Cependant, je me permets rappeler que le texte de la nativité selon Luc a d’abord été écrit dans un objectif théologique et ne correspond pas à une chronique ou à un enquête historique. L’histoire ne confirme pas ce “recensement” à l’époque supposé de la naissance de Jésus. Et surtout, comme je l’ai indiqué dans l’article, ceux-ci n’exigeaient aucun déplacement : on recensait les habitants des villes indépendamment de leur origine tribale – dont ne se souciaient guère les romains.
De même, il n’est nullement question d’auberge dans le texte. Ces établissements sont plutôt rares (pour ne pas dire inexistant) en ce premier siècle de Judée, et surtout dans le petit village de Bethléem. On comptait sur l’hosptilité qui représentait un devoir obligé.
Revenons à cette étable. En France, et en Europe, avant le XXe s., effectivement, l’habitat humain côtoyait le logement du bétail. Cela pour des raisons d’économie de logement et permettant l’hiver de pouvoir bénéficier de la chaleur des bêtes. Il fut autrement dans le pourtour méditerranéen du Ier s., et particulièrement en Judée. Nous pouvons trouver des palestiniennes, du XIX e, qui ont un espace, en bas, réservé non pas au bétail mais à quelques animaux de trait ou de somme. Mais dans le Judaïsme, la notion de séparation demeure quand même importante pour des questions de “pureté”.
Cela dit, je peux suivre totalement votre raisonnement. Notamment pour une femme d’accoucher sous le regard des hommes. Mais là n’est pas l’insistance de Luc. Dans sa stratégie narrative, l’évangéliste déplacr tous les lieux habituelle, et attendu, pour une Révélation. Il oblige le lecteur à porter un autre regard. Ainsi, la troupe (en grec : l’armée) céleste ne vient pas faire la guerre aux armées de Rome, mais chanter pour des bergers qui eux-mêmes sont ‘à l’écart’ dans les champs, de nuit. De même, le SAUVEUR annoncé n’est pas un adulte FORT et PUISSANT, mais un nouveau-né. Il ne nait pas dans un Palais, ni près d’un Temple, ni au milieu d’une resplendissante lumière, mais, aussi ” l’écart” de manière inattendu pour un ‘Fils de Dieu, Sauveur’. C’est ce que je voulait pointer du récit de Luc.
Merci pour votre remarque.
la pièce attenante… est ce un rejet? au contraire, c’est l’étable, le meilleure choix. D’une part dans les auberges il n’y a qu’une pièce commune, donc impensable d’y faire accoucher une femme au milieu des hommes autre part l’étable est la pièce la plus chaude!!! (en France au xxème siècle combien de paysans avaient les animaux en dessous d’eux si ce n’est pas “à côté”!).
La mangeoire est celle accrochée au mur pour que Jesus ne soit pas “écrasé” par les animaux!! rien que du très normal!!